Présidentielle algérienne : la guerre d’El-Mouradia aura-t-elle lieu ?
À six mois du scrutin en Algérie, prévu en avril 2014, et alors qu’aucun parti n’a désigné de candidat, l’hypothèse d’un quatrième mandat d’Abdelaziz Bouteflika semble de plus en plus crédible.
Le Conseil des ministres du 29 septembre a donné le la. En demandant au gouvernement de veiller "à la préparation des prochaines échéances", le président Abdelaziz Bouteflika, qui se remet difficilement des séquelles de son accident vasculaire cérébral survenu le 27 avril, a officiellement lancé la campagne électorale avec, en ligne de mire, la présidentielle d’avril 2014.
Pourtant, malgré ce signal de départ et à moins de six mois du rendez-vous crucial, le bal des prétendants ne semble pas s’être ouvert pour autant. Hormis la candidature de l’ancien Premier ministre Ahmed Benbitour, annoncée en décembre 2012, aucune personnalité d’envergure ni le moindre leader n’a fait part de son intention de se lancer dans la course à El-Mouradia. Comme si l’état de santé d’Abdelaziz Bouteflika inhibait ses concurrents potentiels. Même si, lors de sa dernière sortie publique, le 8 mai 2012, à Sétif, le chef de l’État avait laissé entendre qu’il ne briguerait pas un nouveau mandat et répété que sa "génération avait fait son temps", sa convalescence et son long mutisme ne découragent pas une partie de la classe politique de le voir rempiler pour un nouveau quinquennat.
Plusieurs formations rejoignent le FLN
Sans surprise, le Front de libération nationale (FLN), ancien parti unique et première force politique, dont Abdelaziz Bouteflika est le président d’honneur, n’écarte plus cette éventualité. Amar Saïdani, son nouveau secrétaire général, a entamé son magistère en déclarant qu’il était indécent d’évoquer l’investiture d’un candidat du parti "tant que [le] président d’honneur n’a pas fait part de ses intentions". Depuis, il multiplie les initiatives pour rallier d’autres formations à l’idée d’un quatrième mandat de Bouteflika.
Tombé tel un fruit mûr dans son panier : Amar Ghoul, l’étoile montante des nouveaux Frères musulmans. Membre de tous les gouvernements successifs d’Abdelaziz Bouteflika, l’actuel ministre des Transports est à la tête du Rassemblement Espoir de l’Algérie (dont l’acronyme arabe, TAJ, signifie "couronne"), créé en 2012. Ancien militant du Mouvement de la société pour la paix (MSP, ex-Hamas, proche des Frères musulmans), Ghoul en a démissionné par loyauté envers Bouteflika en janvier 2012, lorsque la direction du MSP a choisi de se retirer de l’Alliance présidentielle formée avec le FLN et le Rassemblement national démocratique (RND). Fort de ses 29 députés, le TAJ a répondu à l’initiative d’Amar Saïdani en constituant une coalition parlementaire au sein de l’Assemblée populaire nationale (APN), scellant l’alliance des deux Amar pour une prolongation de bail au profit de l’actuel locataire d’El-Mouradia.
Une autre formation semble prête à rejoindre le TAJ et le FLN : le Mouvement populaire algérien (MPA) d’Amara Benyounes, ministre de l’Industrie et des PME-PMI. "Si le président Abdelaziz Bouteflika briguait un nouveau mandat, le soutien du MPA serait total et inconditionnel !" a-t-il affirmé lors des travaux de la première université d’été du parti, début octobre.
Quant au Rassemblement national démocratique (RND), autre soutien de poids de Bouteflika, il reste en retrait. Depuis la démission, en janvier, de son secrétaire général, l’ancien Premier ministre Ahmed Ouyahia, le RND n’a toujours pas trouvé d’issue à sa crise interne : Ouyahia n’a pas été remplacé, et le seul candidat qui postulait à sa succession, Abou Bakr Benbouzid, a fini par jeter l’éponge le 11 octobre.
Le RCD, en perte de visibilité
De l’autre côté du spectre politique, les partis d’opposition ne semblent pas pressés de désigner leur candidat. Les islamistes sont divisés. Les Frères musulmans, sous leur déclinaison (MSP, Ennahdha, El-Islah, Front du changement…), sont en quête d’une candidature de consensus. Une idée qui ne séduit pas le Parti des travailleurs (PT, trotskiste), qui indique qu’il tranchera lors de son congrès ordinaire, prévu en janvier 2014. Parmi les autres formations du courant démocratique, le Front des forces socialistes (FFS), doyen des partis d’opposition, semble plus préoccupé par la réhabilitation des martyrs de l’insurrection armée qu’il a menée contre le pouvoir en 1963, et par la succession de son président fondateur, Hocine Aït Ahmed, 86 ans.
Quant au Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD, laïc), il a perdu en visibilité depuis que Saïd Sadi a passé le témoin, en février 2012, après vingt ans de présidence, à Mohsine Bellabes, moins charismatique. Mais à l’approche de l’échéance présidentielle, Saïd Sadi sort de son mutisme. S’il entretient le suspense sur son éventuelle candidature à l’investiture du RCD pour le scrutin d’avril 2014, il multiplie les déclarations et répète à tout-va que "Bouteflika veut mourir au pouvoir". Lors de l’université d’été du parti, le 5 octobre, il a estimé qu’il fallait surtout s’interroger sur les conditions dans lesquelles se déroulera la présidentielle. "On ne peut pas prendre part, a-t-il souligné, à un match où l’arbitre fait partie de l’équipe adverse."
Bouteflika reste invisible
Le RCD semble à cet égard d’accord avec les autres formations de l’opposition, qui réclament plus de garanties pour la régularité du scrutin et souhaitent que son organisation soit confiée à une commission indépendante présidée par une personnalité au-dessus de tout soupçon. Difficile de l’envisager sans une profonde révision de la loi électorale. Or celle-ci n’est pas à l’ordre du jour à l’APN, où l’opposition ne dispose pas d’une majorité suffisante pour imposer une telle réforme.
Les partis d’opposition s’accordent par ailleurs sur la nécessité de reporter le projet de nouvelle Constitution (lire ci-dessous) après le scrutin d’avril 2014, à l’instar du PT de Louisa Hanoune, et du MSP d’Abderrezak Mokri. En septembre, trois personnalités, Abdelaziz Rahabi, ancien ministre de la Communication, Ahmed Adimi, colonel à la retraite et professeur de sciences politiques à l’université d’Alger, ainsi que Mohand-Arezki Ferrad, universitaire et ancien député du FFS, ont créé un "Front du refus" à la révision de la Constitution et à un quatrième mandat d’Abdelaziz Bouteflika, une initiative soutenue par le jeune parti Jil Jadid ("Nouvelle Génération"), de Soufiane Djilali, créé en 2011.
>> Lire aussi : quel leader pour l’opposition ?
Pendant ce temps, Abdelaziz Bouteflika reste invisible. Mais si sa rééducation fonctionnelle l’éloigne du devant de la scène, il n’en demeure pas moins le maître du jeu. Un an après la nomination d’Abdelmalek Sellal à la tête du gouvernement, la présidence a procédé le 11 septembre à un large remaniement ministériel (16 ministres sortants, 12 entrants), reconduisant Sellal et plaçant des proches du chef de l’État aux commandes des ministères stratégiques, notamment Tayeb Belaïz à l’Intérieur (que Bouteflika avait nommé président du Conseil constitutionnel l’an dernier) et Tayeb Louh, l’ancien ministre du Travail, à la Justice. Deux fidèles désormais chargés d’organiser l’élection présidentielle. Après avoir remanié profondément son exécutif et apporté des changements significatifs au dispositif de défense et de sécurité, c’est toujours Abdelaziz Bouteflika qui détient les clés pour 2014. Et la classe politique comme l’opinion restent suspendues à ses lèvres…
Constitution dans les limbes
Au moment où soufflaient les vents révolutionnaires chez les voisins tunisien et libyen, Abdelaziz Bouteflika annonçait, le 15 avril 2011, la mise en oeuvre de profondes réformes politiques et l’adoption d’une nouvelle Constitution. Depuis, la loi sur les partis a permis qu’une vingtaine de nouvelles formations soient reconnues. L’audiovisuel a vu la fin du monopole d’État. De nouveaux textes ont renforcé les libertés publiques : lois sur les associations, dépénalisation des délits de presse, instauration d’un quota de femmes dans les assemblées élues… Seul engagement non tenu : la révision de la Constitution. Après avoir recueilli les propositions et suggestions de personnalités de la société civile et des partis politiques, le chef de l’État a chargé une commission de juristes et d’experts de rédiger un projet de texte. Mais ses problèmes de santé ont bouleversé le calendrier et, même si Fouzia Bendadis, membre de la commission de rédaction de la Constitution, affirme que le texte est fin prêt, nul ne sait ce qu’en fera Bouteflika. Cédera-t-il à l’exigence de l’opposition qui demande que la révision de la Constitution soit laissée à l’appréciation du prochain président de la République ? Rien n’est moins sûr.
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