Citoyenneté et islamisme : le double paradoxe tunisien

Mohamed Aloulou est cardiologue, ancien ministre tunisien de la Jeunesse et des Sports (17 janvier – 1er juillet 2011).

Publié le 7 novembre 2013 Lecture : 3 minutes.

En démocratie, il est légitime et même inévitable que les syndicats se préoccupent activement de la politique de leur pays. Le politique ne décide-t-il pas des choix économiques et sociaux qui déterminent les conditions de vie du citoyen, lesquelles sont précisément la raison d’être des syndicats ? En revanche, il est anachronique sinon injustifiable que des imams abusent de leur autorité morale et s’immiscent dans la politique pour prôner un pouvoir théocratique, qui plus est dans une République (séculière) où rien ne risque de menacer la liberté de croyance ou l’exercice de la foi.

À ce jour, en Tunisie, dans le sillage du printemps de la révolution, fleurit et sévit un double paradoxe aussi étrange que dangereux. D’un côté, des imams prétendent incarner la volonté divine en appelant vertement à l’instauration d’une théocratie dont ils seraient, bien entendu, les tuteurs désignés. De quoi consolider l’hégémonie du parti islamiste Ennahdha, fort de l’autocratie de fait qu’il impose de par la confortable majorité dont il jouit avec ses alliés de la troïka au pouvoir – Ettakatol, Congrès pour la République (CPR) – au sein de l’omnipotente Assemblée nationale constituante (ANC). De l’autre côté, les ténors de l’absolutisme nouveau reprochent aux syndicats de se mêler de politique, considérant qu’ils outrepassent ainsi leur champ d’intervention naturel et empiètent de façon intrusive sur leur fief. Fait troublant, des despotes naissants refusent que des institutions historiques patriotes et citoyennes s’inquiètent de la situation catastrophique dans laquelle a été plongé leur pays et réagissent par des moyens civiques aux menaces qui pèsent sur les droits et les intérêts de leurs adhérents, sans aspirer nullement à prendre le pouvoir ou à gouverner.

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Pis, dans la transition démocratique que nous traversons, de tels paradoxes ont pu être admis et banalisés, couverts et justifiés, jusque dans leurs dérives les plus violentes, par des autorités pour le moins complices. Ainsi, pour avoir osé manifester une velléité de présence citoyenne, l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) a été harcelée et punie par les sous-traitants attitrés de la persécution au profit du pouvoir en place, à savoir des milices musclées qui terrorisent et bastonnent et des imams zélés qui bannissent et bâillonnent.

Le paradoxe n’est qu’apparent, puisque la notion de citoyenneté (l’un des fondements de la démocratie) n’est pas de mise chez les islamistes (théocrates), qui – en principe – se croient investis de la mission (sacrée) de dominer, le pouvoir étant leur destin, et la politique leur monopole.

Le paradoxe n’est qu’apparent, puisque la notion de citoyenneté (l’un des fondements de la démocratie) n’est pas de mise chez les islamistes (théocrates).

Partant, la menace de dictature sous couvert de l’absolu persiste, surtout que des imams d’un autre âge continuent de semer le fanatisme, la haine et la discorde. Ils diabolisent et frappent d’anathème – funeste présage – ceux qui gênent leurs visées hégémoniques, au premier rang desquels les syndicalistes, et exigent le respect de leur droit à décider du sort de leur pays.

La juste providence a voulu que ce soit l’UGTT qui contribue aujourd’hui à offrir l’espoir d’une solution équitable à la crise grave qui accable et lamine le pays. Une fois encore, depuis sa création, ce grand syndicat est au rendez-vous de l’histoire militante de la nation, comme il l’a été en participant à la lutte pour l’indépendance, puis à l’édification de cet État moderne aujourd’hui menacé. La sage et impartiale initiative de l’UGTT a obtenu le ralliement d’autres acteurs éminents de la société civile, comme l’Utica (patronat), l’Ordre des avocats et la Ligue tunisienne des droits de l’homme (LTDH), et suscité l’espoir et le soutien de la quasi-totalité de l’opinion publique. L’UGTT aura eu le mérite de forcer, avec tact et mesure, les protagonistes politiques à s’asseoir autour d’une table et à discuter en plaçant l’intérêt de la nation au-dessus de tout.

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Les Tunisiens responsables sont restés nationalistes d’instinct et de raison, ouverts et tolérants. Fiers et jaloux de leur culture autant que de leurs acquis modernistes, ils ont enfin compris la nécessité de s’unir sans calcul ni délai pour limiter les dégâts et sauver l’essentiel. Ainsi conservent-ils toutes leurs chances de se prémunir contre un retour à la dictature et de faire échec aux adeptes de l’absolutisme intransigeant qui s’emploient à vouloir briser leurs rêves et à tuer leurs espoirs.

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