Hassan Rohani : six mois pour réussir
Attendu au tournant par les conservateurs, mais aussi par Tel-Aviv et Riyad, le président veut parvenir rapidement à un accord sur le nucléaire avec la communauté internationale. Et obtenir en retour la levée des sanctions qui frappent durement son pays.
C’est une course contre la montre qu’il a lui-même engagée, car le temps, à Téhéran comme dans les capitales occidentales, lui est compté. Hassan Rohani s’est donné six mois pour parvenir à un accord avec la communauté internationale sur le nucléaire. Faute de quoi le président iranien ne pourra plus contenir la pression des conservateurs de son pays, opposés à cette main tendue au "Grand Satan", ni empêcher les Occidentaux d’envisager une intervention militaire, comme les y appellent avec insistance Israël et l’Arabie saoudite.
Hassan Rohani et son équipe de négociateurs s’activent donc tous azimuts pour convaincre leurs interlocuteurs, preuves à l’appui, que l’Iran ne développe pas un programme nucléaire militaire. À Genève, les 15 et 16 octobre, lors des deux journées de discussions à huis clos avec les Six (les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU plus l’Allemagne), les délégués iraniens ont ainsi exposé, dans un anglais parfait, les concessions qu’ils pourraient faire et proposé une série de "mesures pour créer la confiance".
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Rompu aux négociations sensibles, Rohani avait peaufiné une stratégie claire et un plan bien charpenté, orchestré par le chef de la diplomatie, Mohammad Javad Zarif, qui, malgré son mal de dos, a ouvert le bal des négociations et multiplié les rencontres bilatérales. Au point de finir dans un fauteuil roulant et de rentrer au pays allongé. "L’objectif final de ces négociations, souligne un diplomate iranien, est double. D’abord, il s’agit pour nous de lever l’inquiétude des Six sur le nucléaire militaire. Ensuite, nous souhaitons obtenir l’assurance que notre programme nucléaire civil pourra être poursuivi et parvenir ce faisant à une levée des sanctions. Ce sera un accord gagnant-gagnant qui requiert de la bonne volonté des deux côtés." Et ce diplomate qui avait participé aux négociations de 2003 aux côtés de Rohani d’ajouter : "Si le temps passe sans que nous parvenions à atteindre les objectifs communs, alors Rohani devra changer de position car, en Iran, les conservateurs sont méfiants et très critiques à l’égard de ces négociations."
Redonner à l’Iran son rang de puissance régionale
La Maison Blanche a qualifié d’"utile" l’exposé de Téhéran. À en croire un diplomate occidental, les Iraniens ont "mis tout ce qu’ils pouvaient sur la table" : de l’interruption de l’enrichissement de l’uranium à 20 % à une réduction du nombre de centrifugeuses en passant par des garanties sur le réacteur d’Arak. Quid de la ratification du protocole additionnel du Traité de non-prolifération (TNP), toujours en suspens ? "Impossible de revenir là-dessus, sauf si on arrive à convaincre le Parlement [tenu par les conservateurs]", confie-t-on dans le camp iranien. En revanche, les Occidentaux n’ont pas donné de détails sur les sanctions qu’ils seraient prêts à lever. "Rohani a encore des cartes dans sa manche pour convaincre les grandes puissances de laisser Téhéran poursuivre son programme nucléaire civil", veut croire un bon connaisseur de la diplomatie iranienne. "Les Occidentaux ont un avantage certain et tiennent Rohani à leur merci. Mais ils mesurent aussi le risque considérable que représenterait un Iran ingérable", souligne l’ancien ambassadeur de France en Iran François Nicoullaud. Toujours est-il que l’effet Rohani a opéré puisque les deux camps se retrouveront une nouvelle fois, les 7 et 8 novembre, à Genève.
Ambitieux, le "mollah diplomate" voit plus loin et entend redonner à l’Iran son rang de puissance régionale de manière à ce qu’il puisse à nouveau jouer un rôle sur la scène internationale, notamment dans le brûlant dossier syrien. C’est non sans une certaine satisfaction que Rohani a reçu à Téhéran, la semaine dernière, l’émissaire de l’ONU et de la Ligue arabe pour la Syrie, Lakhdar Brahimi, dans le cadre de la préparation de la conférence internationale dite Genève 2.
Toute la vie de Rohani, 64 ans, marié et père de quatre enfants, se confond avec les mythes fondateurs de son pays. La légende veut qu’il se soit habillé à l’occidentale pour passer la frontière avec l’Irak, où il rendait visite à l’ayatollah Khomeiny, alors en exil, et qu’il rejoindra plus tard à Neauphle-le-Château, près de Paris. Rohani deviendra député et occupera plusieurs postes à responsabilités. Pendant la guerre avec l’Irak, il est l’un des représentants spéciaux des religieux auprès de l’armée et des Gardiens de la révolution. En 1992, il prend la tête d’un think tank – le Centre de recherches stratégiques – rattaché à la présidence de Rafsandjani, avant d’obtenir, en 1995, un doctorat de droit à l’université calédonienne de Glasgow, en Grande-Bretagne. C’est au sein du centre de recherches que Rohani et des caciques de la présidence de Khamenei (1981-1989) "apprennent à mieux se connaître et à travailler ensemble, souligne Bernard Hourcade, directeur de recherche au CNRS. Ce ne sont pas des réformateurs mais des pragmatiques qui recherchent l’équilibre complexe entre islamisme, nationalisme et ouverture internationale. Rohani n’est pas un charmeur, c’est un apparatchik qui a la confiance du Guide suprême. Aujourd’hui, il y a un consensus entre eux, et c’est sans précédent".
Un sans-faute diplomatique
C’est en 2003 que Rohani a fait ses classes dans l’arène diplomatique en tant que responsable des négociations nucléaires avec la troïka (France, Allemagne, Grande-Bretagne). Il est alors secrétaire général et représentant personnel du Guide au Conseil suprême de sécurité nationale. "Au début, il était crispé et perçu comme un "dur" par les Occidentaux. Mais il a très vite su évoluer, se souvient Nicoullaud, alors à la table des négociateurs comme ambassadeur de France en Iran. Il a su prendre des risques importants en décidant de suspendre l’activité d’enrichissement de l’uranium et en acceptant d’adhérer au protocole additionnel du Traité de non-prolifération, qui instaurait un contrôle renforcé." Même si cet accord – jamais ratifié – a été déchiré en 2005, Rohani a laissé une impression favorable.
À New York, le 24 septembre dernier, le président iranien a répété que l’Iran ne constituait pas "une menace pour le monde", a reconnu l’Holocauste et s’est dit prêt à des négociations sur le nucléaire. Un sans-faute diplomatique bien accueilli par Washington. En marge de l’Assemblée générale de l’ONU, Rohani et son chef de la diplomatie ont multiplié les entretiens bilatéraux, les poignées de mains symboliques avec les chefs d’État, les rencontres avec les influents think tanks américains ou encore les réceptions diplomatiques. Sans oublier la conversation téléphonique historique de Rohani – la première à ce niveau depuis 1979 – avec Barack Obama. Un show à l’américaine mené au pas de charge, comme pour prouver au monde que Téhéran ne cherche plus à gagner du temps. D’autant que son nouveau président n’en a que très peu.
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