Madagascar : Rajoelina, ce n’est qu’un au revoir
Il a fini par céder et a renoncé à se présenter à l’élection du 25 octobre. Mais Andry Rajoelina n’est plus ce jeune loup naïf qui avait pris le pouvoir il y a presque cinq ans. Et il est déterminé à continuer à jouer un rôle.
C’est par une citation qu’Andry Rajoelina a fait ses adieux au concert des nations, le 25 septembre, à l’occasion de l’Assemblée générale de l’ONU. Il était midi à New York. À Antananarivo, la nuit venait de tomber. La citation est un emprunt à un théologien américain : "La différence entre le politicien et l’homme d’État est la suivante : le premier pense à la prochaine élection, le second pense à la prochaine génération."
Rajoelina aimerait tellement être considéré comme un chef d’État… En 2011, quand après deux années d’ostracisme il avait enfin été autorisé à parler à New York, il avait jubilé. Enfin, il en était ! Comme pour un fan anonyme d’une rock star ayant l’occasion unique de rencontrer son idole, son service de presse avait multiplié les communiqués relatant ses nombreuses rencontres et le montrant, images à l’appui, aux côtés des grands de ce monde. Mais cela n’avait pas suffi. Il n’était toujours pour une grande partie de la classe politique malgache qu’un ancien DJ et, pour la communauté internationale, qu’un putschiste.
Alors en janvier dernier, quand il a annoncé qu’il ne serait pas candidat à la présidentielle, il s’est auto-attribué la stature d’homme d’État. Tant pis si, cinq mois plus tard, il revenait sur sa parole en présentant sa candidature – avant de se retirer définitivement en août sous la pression de l’Union africaine et de la France. Aujourd’hui encore, alors qu’il s’apprête à quitter le palais d’Ambohitsorohitra près de cinq ans après l’avoir investi (le premier tour de l’élection a eu lieu le 25 octobre, le second est prévu pour le 20 décembre), il ne cesse de marteler : "En tant qu’homme d’État, je…"
"Show man"
Lui, un chef d’État ? Ce n’est pas l’image qu’il renvoyait quand nous l’avons rencontré en juin, sur le tarmac de l’aéroport d’Ivato, au pied d’un jet en partance pour la ville de Toliara. Rajoelina était alors candidat à l’élection présidentielle, qui était à ce moment-là prévue en juillet. Comme d’habitude, son épouse, Mialy, était en beauté : lunettes de soleil, chemisier de soie beige, jupe noire et talons hauts, très hauts. Lui était vêtu comme un sportif du dimanche : polo orange, jogging et baskets bleus. Certes, l’ensemble paraissait venir tout droit des Champs-Élysées, où son épouse adore faire les boutiques. Mais tout de même…
Explication quelques heures plus tard à Toliara. Le soleil est à son zénith. Rajoelina arpente le macadam tout frais d’un boulevard qu’il doit inaugurer quand, à mi-chemin, il accélère le pas, monte les genoux et court ! Et la petite dizaine de ministres, de députés et de fonctionnaires qui l’entourent, les gardes du corps et les journalistes font de même… Pas de doute, Rajoelina est un "show man". Son élément, c’est la scène, pas les Conseils de ministres. Au micro, entre deux morceaux de musique, il prend les Malgaches à partie, alterne les blagues et les discours guerriers, les promesses improvisées et les pas de danse, comme au bon vieux temps, quand il faisait bouger les clients en boîte de nuit.
À Toliara, il a inauguré un lotissement, un boulevard, une cité universitaire et un hôpital. À chaque fois, il a coupé un cordon ou dévoilé une plaque sur laquelle figure son nom en lettres capitales. "Si le terme existait, on pourrait dire qu’il est atteint d’"inaugurite" aiguë", persifle l’un de ses anciens ministres. La semaine suivante, à Fianarantsoa, autre ville du Sud, il lançait les travaux de construction d’un stade et inaugurait un autre hôpital. "J’ai fait construire cet endroit pour qu’un jour le peuple se souvienne de moi, déclarait-il. Je vous autorise même à emprunter mes prénoms pour vos progénitures qui verront le jour dans cet établissement."
"Rajoelina a un ego surdimensionné et un orgueil mal placé. C’est un danger pour le pays." L’homme qui parle ainsi est l’un de ceux qui l’ont fait président en 2009, en injectant de l’argent pour mobiliser les masses et en pesant sur l’armée. Aujourd’hui, il n’a pas de mots assez durs pour dénoncer "la dérive" du jeune homme et admettre "l’erreur de casting" dont lui et les autres parrains du soulèvement qui a fait tomber Marc Ravalomanana sont "coupables". Il faut dire qu’être maire d’une capitale à 33 ans et chef d’État à 34 ans, cela a de quoi déboussoler.
>> Lire aussi : Silence, on coule
TGV ? Tequila, Gin, Vodka
Andry Rajoelina, 39 ans depuis le 30 mai, dont près de cinq années passées à la tête de l’État sans autre légitimité que celle d’un soulèvement restreint à la capitale, n’aurait jamais dû faire de politique. Il est issu de la petite bourgeoisie de Tana. Adolescent, son truc, c’était la fête. Des mauvaises langues disent qu’il ne doit pas son surnom, "TGV", à son ascension fulgurante, comme l’affirme la légende, mais à son penchant pour les soirées arrosées. TGV ? Tequila, gin, vodka. Mélange explosif !
À 20 ans, c’est un DJ à la mode. À 24, un entrepreneur qui vient de se lancer sur le marché des panneaux publicitaires. Baccalauréat en poche, il apprend sur le tas. Doué pour les affaires, il peut compter sur le soutien des Razakandisa, une famille richissime qui l’a pris sous son aile depuis son mariage avec une de leurs filles, Mialy. À l’époque, il est loin d’imaginer qu’il fera de la politique. Même quand Ravalomanana, qui n’apprécie guère cette étoile montante, menace son business. Le père d’un ami d’enfance se souvient : "On lui a fait beaucoup de misères. Un jour, je lui ai demandé : "Pourquoi tu te laisses faire ?" Il m’a répondu : "Que voulez-vous que je fasse ? Je ne vais quand même pas faire de politique !""
Eh bien, si ! En 2007, le maire de Tana, un proche de Ravalomanana, tente de l’entraver. Le président voit d’un mauvais oeil le rachat par Rajoelina d’une radio et d’une télé. Rajoelina comprend que pour sauver ce qui peut l’être il doit briguer la mairie de Tana, où se trouve le gros de son chiffre d’affaires. "Au début, jamais il ne s’est dit qu’il serait président. Il a fait ça pour son business", confie Augustin Andriamananoro, un ami que Rajoelina a nommé ministre avant de le placer à la tête d’un organisme public.
La galaxie Rajoelina : conseillers officiels et officieux, ils constituent sa garde rapprochée.
© Photo : AFP et DR Infographie : Elena Blum
Laisser une trace
Tout va alors très vite. En novembre, il crée l’association Tanora malaGasy Vonona (TGV, comme son surnom). Traduction : "jeunes Malgaches prêts". En décembre, il l’emporte à la surprise générale (63 % des voix). C’est le début de la confrontation avec Ravalomanana.
La suite est connue. Le président fait tout pour bloquer les projets de Rajoelina, puis ordonne la fermeture de ses médias. Manifestations. Pillages. Tuerie du 7 février 2009. Rajoelina se réfugie à l’ambassade de France – le pays qui le soutient dans l’ombre – puis, avec l’aide de la bourgeoisie traditionnelle et de l’armée, prend le pouvoir le 17 mars 2009.
Lorsqu’il était maire, "TGV" avait un objectif : reconstruire l’Hôtel de ville ravagé par un incendie en 1972. Pour "laisser une trace", dit l’un de ses amis. La même ambition le guide depuis qu’il dirige le pays. Ces trois dernières années, il a amputé les budgets des ministères pour gonfler celui de la présidence. Cet argent a permis de construire des hôpitaux d’excellence, des stades, des routes, des logements, un coliseum… Des chantiers "inutiles" et "opaques", selon ses adversaires.
Rajoelina n’est certainement pas un Machiavel, mais il n’est pas non plus ce jeune homme naïf que se plaisaient à décrire les diplomates étrangers lors de sa prise de pouvoir. À l’époque, plusieurs ambassadeurs ne lui donnaient pas trois mois à la tête du pays. "On s’était trompés", reconnaît l’un d’eux. S’il est encore là, ajoute un autre, c’est surtout "grâce à son entourage" : quelques hommes d’affaires à l’appétit insatiable et de fins politiciens qui jouent un rôle majeur dans ses prises de décision.
Mais Rajoelina a un atout qui lui est propre : il sait ce que le peuple veut entendre. "Comme nous tous, il a été nourri de patriotisme et de foi", relève un éditorialiste. La foi, c’est sa mère, une catholique pratiquante, qui la lui a inculquée ; le patriotisme, c’est son père, un colonel reconverti dans les affaires. Dieu : il en est question dans tous ses discours et dans tous ses actes. "Il est arrivé qu’il prenne une décision après avoir lu la Bible", indique un proche. Quand Ravalomanana présente sa femme à sa place pour briguer la présidence, Rajoelina cite la Genèse pour dénoncer l’entourloupe.
Retour à Toliara, au mois de juin. Ou plutôt à 36 000 pieds d’altitude, dans l’avion qui ramène le président à Tana. Contrairement à ce qu’affirment ses détracteurs, il n’a "pas vu Jésus", se défend-il au cours d’un entretien accordé à Jeune Afrique, mais il assure qu’il reçoit "des messages". Et de se lancer dans de longues explications exaltées que la ministre de la Justice, assise à ses côtés, boit comme du petit-lait en feignant de lire… la Bible.
Investi d’une mission
Souvent, poursuit-il, il se réveille au milieu de la nuit et demande au Seigneur de le guider. Il prie, ferme les yeux et ouvre le livre sacré au hasard. Et ça ne manque presque jamais : il tombe sur un verset qui répond au problème du moment. Un exemple ? Il sort du sac de Mialy un ordinateur, ouvre une version électronique de la Bible et apostrophe sa voisine. "Madame la ministre, chapitre XXVIII, versets 1 et 2… "Le méchant prend la fuite sans qu’on le poursuive. Le juste a de l’assurance comme un jeune lion. Quand un pays est en révolte, les chefs sont nombreux. Mais avec un homme qui a de l’intelligence et de la science, le règne se prolonge." Je suis tombé sur ce passage le jour où la France m’a proposé de fuir le pays en 2009. Ça m’a donné la force de rester", explique Rajoelina.
Depuis, il se sent investi d’une mission. "Il est convaincu qu’il est le guide que les Malgaches attendaient", indique l’un de ses amis. En juin, il était persuadé qu’il l’emporterait dès le premier tour. Aujourd’hui, il est certain qu’il reviendra "tôt ou tard". En 2018, à l’occasion de la prochaine présidentielle, ou peut-être même avant, si son poulain (Hery Rajaonarimampianina) l’emporte et fait de lui son Premier ministre. Dans l’avion qui nous ramenait à Tana, nous lui avons posé cette ultime question : "Vous avez été chef d’État à 34 ans, que ferez-vous à 50 ans ?" "Peut-être serai-je encore président", a-t-il répondu.
L’influente Mialy Rajoelina
Mialy Rajoelina, née Razakandisa (une riche famille merina), dit ne pas faire de politique et préférer se consacrer aux oeuvres sociales via son association caritative, Fitia. Quand on évoque avec son mari la possibilité qu’il s’éternise au pouvoir, elle fait même la moue. Mais "il ne faut pas la croire une seconde", assure une source qui la connaît très bien. "Cette femme est une ambitieuse. C’est elle qui a poussé son époux à prendre le pouvoir, elle qui le pousse à y rester", poursuit notre source, qui rappelle que, à chacun des rounds de négociations organisés par les médiateurs en 2009 et 2010, elle était là. "Elle aime trop les avantages du pouvoir, à commencer par l’argent, pour accepter de s’en éloigner", confie un diplomate français qui se souvient que, lors de ses séjours en France, elle faisait fermer les boutiques de luxe de la capitale pour faire ses courses.
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