Cameroun : « Very Important Prisoners », les VIP du secrétariat d’État à la Défense

Au secrétariat d’État à la Défense du Cameroun, on croise des gendarmes, mais aussi des condamnés. Même si nul ne sait pourquoi ils purgent leur peine ici et non à la prison de Kondengui.

Depuis seize ans, Atangana vit dans une cellule de 7 m². © DR

Depuis seize ans, Atangana vit dans une cellule de 7 m². © DR

GEORGES-DOUGUELI_2024

Publié le 12 novembre 2013 Lecture : 4 minutes.

Ils sont huit à y purger une peine de prison ferme. Trois anciens ministres, quatre ex-directeurs généraux d’entreprises à capitaux publics et un homme d’affaires, tous incarcérés dans des locaux aménagés au sein du secrétariat d’État à la Défense (SED). Aucun d’entre eux ne sait pourquoi il est ici plutôt qu’à la prison centrale de Kondengui. Ce n’est une question ni de grade (l’ex-Premier ministre condamné à vingt ans de prison Ephraïm Inoni est, lui, détenu à Kondengui), ni de dangerosité (tous sont là pour des infractions économiques), encore moins de gravité du délit ou de longueur de la peine.

Ils sont donc "logés" au SED : un camp militaire datant de la colonisation bâti non loin du lac municipal de Yaoundé. Des bâtiments ocre, rongés par l’humidité, sont séparés par des chemins sinueux ; des couloirs escarpés qui perdent le visiteur… Le SED, c’est le quartier général de la gendarmerie mais aussi, depuis mai 2012, une prison pour anciens dignitaires triés sur le volet. Une double fonction officialisée par un arrêté du ministre de la Justice qui a permis de légaliser a posteriori le transfèrement, en 1997, de Titus Edzoa et du Franco-Camerounais Michel Thierry Atangana, les premiers prisonniers du SED, qui y sont toujours détenus.

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Jamais les autorités n’ont justifié leur décision. À Yaoundé, la rumeur veut qu’elle ait été motivée par le souci de mettre Edzoa à l’isolement. L’homme, qui fut le médecin, l’ami, le conseiller du chef de l’État et le très influent secrétaire général de la présidence – avant de tomber en disgrâce et d’être condamné à quinze ans de prison – devait être surveillé de près. Ses ambitions présidentielles déclarées, sa réputation de Machiavel féru d’ésotérisme auraient suscité la méfiance officielle et justifié une vigilance accrue. Non loin de là, Atangana paie cher sa proximité avec l’ancien médecin. Depuis seize ans, tous deux dorment dans des cellules de 7 m2 situées dans les sous-sols du SED.

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Les règles de la communauté

D’autres "pensionnaires" résident dans le camp. Leur prison ? Trois bâtiments organisés en U. D’un côté, les cellules de Marafa Hamidou Yaya, l’ancien ministre d’État chargé de l’Administration territoriale qui s’est vu infliger une peine de vingt-cinq ans de prison, Gilles Roger Belinga, ex-directeur général de la Société immobilière du Cameroun qui a écopé de vingt ans ferme, et Joseph Edou, ex-patron du Crédit foncier du Cameroun, condamné à quarante ans de réclusion. De l’autre, celles de Polycarpe Abah Abah, autrefois ministre de l’Économie et des Finances, qui purge une peine de six ans de prison pour tentative d’évasion en attendant son procès pour détournement d’argent public, et d’Emmanuel Gérard Ondo Ndong, du Fonds spécial d’équipement et d’intervention intercommunale du Cameroun (Feicom) condamné à vingt ans d’enfermement. Quant à Yves-Michel Fotso, l’ancien patron de Cameroon Airlines (Camair), – vingt-cinq ans de prison -, il occupe une cellule dans une autre aile, attribuée à l’escouade du Groupement polyvalent d’intervention de la gendarmerie nationale (Gpig), une unité d’élite des forces armées, gardienne de la prison.

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La petite communauté a ses règles. Le matin, les portes des cellules s’ouvrent à 8 heures. Néanmoins, personne n’est obligé de sortir. On a laissé les prisonniers aménager leur réduit. Luxe suprême, certains ont installé un ballon d’eau chaude dans la douche exiguë. Ils ont l’air conditionné, un téléviseur connecté au câble, une femme de ménage… Craignant un incendie accidentel, Marafa a même fait refaire l’électricité. Quand ils ne lisent pas, ils font du sport. Fotso a investi dans un tapis de course. Des salariés de ses sociétés, ses enfants et sa femme Cécile – épousée à Kondengui en 2011 avant son arrivée au SED – lui rendent visite régulièrement.

Entre 12 heures et 14 heures, on laisse entrer familles, avocats et visiteurs munis d’un permis. Marafa est cependant soumis à un régime particulier : seule une dizaine de personnes, dont ses avocats, sont admises. Outre celle des visites, c’est aussi l’heure du repas, fourni par les proches. Pendant des années, une religieuse s’en est chargée pour Michel Thierry Atangana. Mais elle a été mutée, et Korneil Marie Nkoe, le frère aîné de l’ancien homme d’affaires, a pris sa suite.

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À 17h30, silence total

Ici, il y a peu de droits, mais un régime de faveur, qui peut à tout moment être remis en question par un officier zélé. Comme le 26 septembre, quand un lieutenant a brutalisé les frères d’Atangana – autorisés à partager ses repas – et perturbé une visite du vice-consul de l’ambassade de France. Marafa, en revanche, s’est vu conduire par des gradés auprès de Robert P. Jackson, l’ambassadeur des États-Unis, le 5 juin. Avec l’accord de Paul Biya, le diplomate américain a rencontré le prisonnier dans le bureau du patron de la gendarmerie, Jean-Baptiste Bokam.

À 17 h 30, fin des visites et silence total. Même les gendarmes se font discrets. Ici, les prisonniers respectent les usages du microcosme politico-administratif. On se lève à l’arrivée de "monsieur le ministre", on salue "monsieur le directeur général"… Dans cet entre soi surréaliste, même ceux qui ne s’appréciaient pas naguère se parlent… Le SED et ses illustres pensionnaires sont une curiosité qui fait tache sur la vitrine démocratique que Yaoundé s’efforce de présenter aux yeux du monde.

L’univers carcéral en chiffres

Avec la création, en 2012, de deux prisons secondaires à Yaoundé et à Douala, le Cameroun compte désormais 76 établissements pénitentiaires, dont 10 prisons centrales (région), 48 principales (département) et 18 secondaires (arrondissement). En juillet 2010 s’y entassaient 24 000 prisonniers pour 17 000 places, avec une densité carcérale de 400 %. Depuis 2004, les prisons dépendent du ministère de la Justice et sont administrées par des gardiens formés à l’École nationale de l’administration pénitentiaire (Enap). L’État dépense en moyenne 70 F CFA (0,10 euro) par jour et par détenu. Mais les prisonniers peuvent être autorisés à faire préparer leurs repas à l’extérieur selon une pratique légalisée en… 1954 !

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