Sommet de Kigali : une occasion historique d’en finir avec les maladies négligées 

Organisé ce 23 juin dans la capitale rwandaise en marge du sommet du Commonwealth, le forum sur le paludisme et les maladies tropicales négligées doit être l’occasion de rappeler aux décideurs politiques l’importance de l’innovation médicale et des partenariats, pilotés et soutenus par les Africains, dans la lutte contre ce fléau.

Le ministère de la Santé de l’État de Lagos et ses partenaires organisent une marche de sensibilisation pour la journée mondiale de lutte contre le paludisme à Alausa, Ikeja, au Nigeria, le 26 avril 2022. © ADEKUNLE AJAYI/NurPhoto via AFP

  • Monique Wasunna

    Médecin et chercheuse en maladies infectieuses basée à Nairobi (Kenya). Elle dirige le bureau Afrique de l’initiative Médicaments contre les maladies négligées (DNDi).

Publié le 22 juin 2022 Lecture : 4 minutes.

Il y a trente ans, l’un de mes patients, un jeune garçon atteint de leishmaniose viscérale, est mort dans mes bras. La leishmaniose viscérale, aussi appelée fièvre noire, est une maladie parasitaire négligée, endémique en Afrique de l’Est, qui touche principalement les enfants de moins de 15 ans. Ce jeune patient était originaire de Baringo, une région du Kenya affectée par la maladie et située à 250 km de Nairobi. À l’époque, le traitement qui aurait pu le sauver était très difficile d’accès dans son village.

Plus de 1,7 milliard de personnes menacées

C’est cette tragédie qui m’a amenée, alors jeune médecin, à consacrer ma vie à la découverte et au développement de meilleurs médicaments contre les maladies tropicales négligées (MTN). La leishmaniose viscérale n’est qu’une de ces nombreuses maladies infectieuses qui, chaque année, tuent, handicapent et défigurent des millions de personnes. Elles affectent aussi les moyens de subsistance des familles et l’éducation des enfants, et constituent ainsi un frein au développement socio-économique des pays concernés en maintenant les communautés atteintes dans un cycle d’extrême pauvreté.

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Même si 1,7 milliard de personnes dans le monde sont menacées par les maladies négligées, les seuls traitements disponibles sont trop souvent toxiques, longs, peu efficaces, ou impossibles à administrer dans les zones reculées – quand ils existent. C’est pourquoi tous les regards de la communauté des chercheurs et des militants des MTN sont tournés vers le Rwanda, où se tient le 23 juin le Sommet de Kigali sur le paludisme et les MTN en marge de la réunion des chefs de gouvernement du Commonwealth.

À Kigali, décideurs politiques, institutions de recherche médicale africaines et internationales, société civile et industrie pharmaceutique discuteront d’actions concrètes pour lutter contre les maladies négligées – notamment en soutenant l’innovation. Des efforts qui s’alignent sur les objectifs de la feuille de route MTN de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui vise à éliminer 20 maladies en tant que problèmes de santé publique d’ici à 2030.

Ces objectifs ne pourront être atteints sans des efforts de recherche, menée notamment sous l’impulsion des nations et des scientifiques africains. Nous avons démontré que c’était possible. En RDC par exemple, des chercheurs d’instituts de recherche nationaux, travaillant étroitement avec le ministère de la Santé, et des partenaires internationaux ont réussi à mettre au point des médicaments révolutionnaires contre la maladie du sommeil, l’une des pathologies les plus négligées au monde.

Nous pouvons reproduire ce succès dans d’autres cas. Les trois décennies que j’ai passées sur le terrain avec mes collègues chercheurs et avec les communautés atteintes par la leishmaniose viscérale m’ont convaincue que l’innovation médicale et les partenariats, pilotés et soutenus par un leadership africain déterminé, sont essentiels pour lutter efficacement contre les MTN.

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Ce modèle a déjà amené des résultats spectaculaires. Jusqu’à récemment, les personnes atteintes de leishmaniose viscérale devaient passer de longs mois à l’hôpital pour y recevoir de douloureuses injections quotidiennes. Mais, grâce à de nouveaux traitements, la durée d’hospitalisation a été divisée par deux, et nous développons le tout premier traitement entièrement par voie orale de la maladie.

Début juin, l’OMS a aussi recommandé un traitement plus court, plus efficace et plus facile à administrer pour les personnes co-infectées par la leishmaniose viscérale et le VIH. Un traitement élaboré grâce à des études cliniques menées en Éthiopie et en Inde par mon ONG, l’organisation de recherche à but non lucratif Initiative médicaments contre les maladies négligées (DNDi) et ses partenaires éthiopiens, indiens et internationaux. Des dizaines de milliers de patients vont bénéficier de cette innovation.

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La science, ça marche !

Mais pour trop d’autres maladies, nous manquons toujours de traitements adéquats. La cécité des rivières, par exemple. Cette maladie dite filarienne est causée par des vers parasitaires qui migrent vers la peau, les yeux et d’autres organes, provoquant des démangeaisons, des affections cutanées qui défigurent et, finalement, la cécité. Environ 240 millions de personnes sont menacées par cette maladie, dont un grand nombre se trouvent d’ailleurs de l’autre côté de la frontière du Rwanda où se déroulera le sommet, dans la RDC voisine.

Le traitement actuel de la cécité des rivières consiste en des administrations massives et régulières d’ivermectine à toutes les personnes vivant dans les zones endémiques. Ce médicament tue les vers juvéniles, mais pas les vers adultes, qui restent dans l’organisme, obligeant à répéter ces campagnes d’administration massive pendant de nombreuses années. Nous avons donc besoin d’un médicament sûr, efficace, abordable, et capable de tuer tous les vers, juvéniles comme adultes. Nous y travaillons : en coopération avec les autorités de santé de la RDC et du Ghana, ainsi qu’avec deux entreprises pharmaceutiques, nous avons déjà identifié deux molécules prometteuses et espérons apporter ces nouveaux traitements aux patients dans les prochaines années. Mais pour de nombreuses autres maladies négligées, les besoins restent immenses.

Le Sommet de Kigali offre une occasion historique de soutenir l’innovation médicale. Décideurs politiques, donateurs et industriels doivent s’engager publiquement à investir dans la recherche pour trouver de meilleurs médicaments et outils de diagnostic. Alors que, à travers le continent, les communautés sont confrontées à une aggravation du risque posé par des maladies dont la propagation est amplifiée par le réchauffement climatique – c’est le cas de la leishmaniose –, les gouvernements africains ne peuvent pas se permettre d’être attentistes.

L’élimination des MTN constitue d’abord l’un des moyens les plus efficaces de développer leurs économies ; mais, avant tout, je suis intimement convaincue, en tant que médecin, que des centaines de millions de personnes sur le continent méritent de vivre sans la menace des MTN sur leur bien-être, leur famille et leurs moyens de subsistance. Et que les enfants de Baringo et d’ailleurs ont le droit à une vie saine et heureuse, avec l’assurance d’avoir près d’eux, quand la maladie frappe, des médicaments sûrs, efficaces, et simples d’utilisation, pour les soigner et les guérir.

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