Les Juifs de Djerba retiennent leur souffle
D’un côté, la chute de Ben Ali les a rendus plus libres. De l’autre, l’arrivée au pouvoir des islamistes inquiète les juifs de l’île.
Juifs et musulmans, meilleurs ennemis
Il suffit qu’on aborde la question d’Israël, et la brouille entre la communauté juive et la communauté musulmane semble insurmontable… Elles partagent pourtant des siècles d’histoire et de culture. Enquête sur un couple déchiré.
Ne pas se fier aux ruelles désertes de Hara Kebira. Ce quartier chaulé de blanc de Houmt Souk, la "capitale" de l’île, bruisse de vie. Il suffit de franchir le seuil de la yeshiva, l’école talmudique, pour entrer de plain-pied dans le quotidien d’une des plus anciennes communautés de Tunisie, celle des juifs de Djerba. Les femmes s’affairent aux tâches ménagères, tandis que des adolescents psalmodient le Talmud. Rien ne différencie cet espace d’une maison arabe, si ce n’est les mezouzot fixées au linteau des portes – ces rouleaux de parchemin attirent la protection divine.
Des appels à exterminer les juifs
"Les grands changements, on ne connaît que ça, c’est toute notre histoire. Un petit groupe du peuple errant a trouvé refuge ici après la destruction du temple de Jérusalem [en 587 av. J.-C.]. Depuis, malgré les guerres, les invasions, la succession des régimes, nous sommes chez nous à Djerba et nous n’avons jamais été persécutés", assure Fraym, un jeune bijoutier qui perpétue la tradition familiale du commerce de l’argent. Et il ne chôme pas : avec les réfugiés libyens, des tonnes de métaux précieux ont été discrètement vendues dans les échoppes de Houmt Souk.
>> Lire aussi : le crépuscule des Juifs de Tunisie
En apparence, donc, rien n’a changé à Hara Kebira. Mais la communauté s’adapte, comme tous les Tunisiens, au climat postrévolution. Tous ont en mémoire les appels à exterminer les juifs lancés par Ismaïl Haniyeh, le Premier ministre de Gaza, lors de sa visite en Tunisie en 2012, mais aussi par certains imams dont les prêches haineux ont été retransmis à la télévision. "Avant les élections, des actes de vandalisme isolés nous ont visés. Cela incite à la prudence", estime Haym, originaire de Zarzis, sur la rive continentale. Préoccupations légitimes mais souvent instrumentalisées : début octobre, à Hara Kebira, des enfants ont interrompu la sieste d’un certain Jamil et la dispute a tourné à l’altercation violente – un fait divers anodin monté en épingle par les plus communautaristes.
"Finalement, nous avons plus de liberté qu’avant. D’une certaine manière, sous Ben Ali, nous étions étroitement surveillés sous prétexte de nous protéger", assure Mridah Uzan, dont le fils Moshe, une pointure en économie, a laissé New York pour revenir à Djerba. De quoi susciter un regain d’optimisme chez une communauté qui, depuis l’indépendance, a perdu près du tiers de sa population.
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