Karim Miské : « La guerre contre l’autre est une guerre contre soi »
Karim Miské est l’auteur de « Juifs et musulmans, si loin, si proches », un documentaire retraçant quatorze siècles de cohabitation et de ruptures entre juifs et musulmans.
Juifs et musulmans, meilleurs ennemis
Il suffit qu’on aborde la question d’Israël, et la brouille entre la communauté juive et la communauté musulmane semble insurmontable… Elles partagent pourtant des siècles d’histoire et de culture. Enquête sur un couple déchiré.
On ne choisit pas ses sujets au hasard. Après avoir traité de la complexité des rapports Nord-Sud et Orient-Occident et questionné les identités dans plusieurs documentaires ainsi que dans un polar remarqué (Arab Jazz, éd. Viviane Hamy, 2012), Karim Miské a exploré, ces trois dernières années, les arcanes de quatorze siècles de relations entre juifs et musulmans. Il livre ainsi Juifs et musulmans, si loin, si proches, un film efficace, en quatre parties, avec toutes les nuances indispensables à la compréhension de ce projet risqué et audacieux. Une sorte de quête identitaire pour ce Français d’origine mauritanienne par son père (le diplomate et intellectuel Ahmed Baba Miské), né à Abidjan en 1964 et qui a parfois vécu comme une provocation le fait d’être étiqueté "musulman".
Une amitié compliquée entre enfants juifs et musulmans
Très tôt, en effet, les questions d’identité et de minorité se présentent à lui, sur fond de politique. Comme en cette année 1973, marquée par le conflit du Kippour qui va compliquer, sans l’amoindrir, son amitié d’écolier avec un juif dont la famille avait quitté la Tunisie à la suite des violences survenues en écho d’une autre guerre israélo-arabe, celle des Six Jours, en 1967. "Il y avait un hiatus absurde entre des idées politiques et cette amitié avec quelqu’un considéré comme étant du camp adverse", se souvient Karim Miské. Et d’ajouter : "Au fil des décennies, il est devenu presque impossible d’être à la fois juif et arabe. Mais à la lumière de l’Histoire, on ne peut pas être arabe sans avoir une identité juive, et vice versa. La guerre contre l’autre est une guerre contre soi, il y a une guerre civile au fond de chaque personne." Un constat qui constitue le fil conducteur de son film.
>> Lire aussi : Mohammed Aïssaoui : "Dire que Juifs et Arabes ont marché ensemble reste tabou"
Pour aborder avec subtilité ces questions sensibles, Karim Miské s’est plongé dans les livres et a exhumé une histoire qu’il a portée à l’écran à l’aide de documents d’archives, d’images d’animation et d’entretiens. Lui-même se révèle volubile quand il évoque les grands personnages qu’il a découverts. Comme cet érudit juif converti à l’islam, Ka’ab al Ahbar (VIIe siècle, dans l’actuel Yémen), ou encore le grand rabbin Saadia Gaon (Xe siècle, Mésopotamie), qui rédigea en arabe un "commentaire" de la Bible hébraïque. Autant d’intellectuels qui contribuèrent à la compréhension mutuelle des deux mondes… et dans les pas desquels, à sa façon, marche aujourd’hui Karim Miské.
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