Tunisie – Nouvelle Constitution : islam ou pas ?

Le projet de nouvelle Constitution, que le président Kaïs Saïed ne dévoilera que le 30 juin, soulève de nombreuses interrogations et inquiétudes, notamment sur la place de l’islam et la sécularité du futur régime.

Une sympathisante d’Ennahdha embrassant la Constitution lors d’une manifestation contre la dissolution du Conseil supérieur de la magistrature, le 13 février 2022, à Tunis. © Chedly Ben Ibrahim/NurPhoto via AFP

Publié le 23 juin 2022 Lecture : 4 minutes.

« La Tunisie abandonne l’islam comme religion d’État. » L’annonce, relayée par une partie de la presse française ce 21 juin, a fait l’effet d’une bombe. À l’origine de cette « information », une sortie de Sadok Belaïd, le président de la commission pour la nouvelle République, qui avait déclaré quelques jours plus tôt que « l’islam n’est pas la religion de l’État dans la nouvelle Constitution ».

Mais les journalistes sont allés un peu vite en besogne : le texte définitif de la nouvelle Constitution ne sera pas connu avant le 30 juin, et doit ensuite être soumis à référendum le 25 juillet 2022.

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Il n’empêche que la polémique souligne combien les spéculations vont bon train sur le contenu du texte appelé à régir les institutions du pays, même si les travaux de l’instance consultative, qui a élaboré une proposition de loi fondamentale en moins de trois semaines, ont conféré une dimension plus concrète à ce qui n’était jusque-là qu’un projet cher à Kaïs Saïed.

« On veut nous faire croire à des miracles ou plutôt nous faire prendre des vessies pour des lanternes », s’irrite un membre du réseau citoyen d’observation des élections, Mourakiboune.

« Personne n’a demandé une nouvelle Constitution, mais tous souhaitaient que celle de 2014 soit amendée », explique l’ancien député du Courant Démocrate, Hichem Ajbouni. Mais cette opinion, que de très nombreux citoyens partagent, est sans effet sur le processus constitutionnel enclenché par le président Kaïs Saïed, et qui aura pour point d’orgue l’adoption de la Constitution par référendum le 25 juillet.

L’article 1 en question

L’opinion est à fleur de peau : non pas tant à cause des approximations des représentants de l’Instance que par l’omerta imposée par Kaïs Saïed sur le contenu de la Constitution, qu’il se réserve le droit d’évaluer, de corriger et d’amender à sa guise. Lors de sa dernière apparition médiatique, à l’aéroport de Tunis, le 21 juin, face à des pèlerins en partance pour le hajj, Kaïs Saïed a indiqué qu’il allait inscrire la notion de « Oumma islamique » (la communauté des croyants) dans la Constitution, ajoutant que « l’État doit œuvrer pour accomplir les finalités de l’islam et de la charia ». Une déclaration qui, après celle de Sadok Belaïd, n’a pas manqué de laisser les observateurs perplexes : la Tunisie de demain accomplirait donc « les finalités de la charia » sans avoir « l’islam pour religion d’État » ?

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Il est désormais certain que l’article 1 des Constitutions de 1959 et de 2014, qui dispose que « la Tunisie est un État libre et souverain, l’islam est sa religion », sera amendé, voire totalement remanié.

Cela reviendrait à en finir avec une formulation ambigüe – faisant consensus depuis soixante ans – qui instaurait une forme de sécularité et jugulait l’extrémisme religieux. Même les islamistes, qui avaient tenté en 2012 d’inscrire la charia comme source unique des lois dans la Constitution de 2014, avaient accepté, après une levée de boucliers, que l’article 1 demeure inchangé.

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« Ne pas faire référence à l’islam n’est pas un signe de laïcité », souligne un membre de l’Instance consultative pour rassurer les conservateurs. « Le discours sur la laïcité et tous les combats menés depuis 2011 pour consolider un État séculier semblent avoir été vains », commente de son côté un militant démocrate.

Pour ajouter à la confusion, le président de l’Instance consultative, Sadok Belaïd, a indiqué, le 21 juin, sur le plateau d’Ettassia TV, que la mention de l’islam figurera en préambule et assure que « l’islam est un fondement de notre pays ». Face à ces déclarations aussi tonitruantes que contradictoires, les Tunisiens en sont réduits à des spéculations.

Occulter la gouvernance ?

Il est peu probable, cependant, que la nouvelle loi fondamentale ne fasse aucune mention de la religion majoritaire en Tunisie, notamment en raison du conservatisme du président Kaïs Saïed. Une telle tentative relèverait d’une audace que même Habib Bourguiba n’avait pu assumer en son temps.

Mais si le sociologue Mohamed Kerrou estime que « l’islam politique est fini », la conception qu’a le chef de l’État des relations entre la religion et la politique demeure floue. Ce qui ne laisse pas d’inquiéter, certains craignant que « la troisième République, dite de la nouvelle Tunisie, ne soit islamiste ».

Si le professeur de droit constitutionnel et membre de l’Instance consultative, Amine Mahfoudh, assure que « le texte du projet de la nouvelle Constitution proposé au président de la République vise à consacrer un régime démocratique, garantissant les droits, les libertés et l’équilibre entre les pouvoirs », certains s’insurgent déjà. « Dire que l’État concrétisera les finalités de la charia, comme l’a fait Kaïs Saïed, est une erreur. Ce n’est pas le rôle de l’État », proteste le juriste et analyste politique Chedly Mamoghli.

D’autres, tentant de décrypter la pensée présidentielle en la matière, croient remarquer un « tropisme de Kaïs Saïed pour les républiques islamiques », comme cet ancien soutien du chef de l’État qui note une importante présence iranienne à Tunis ces derniers mois.

La question de la place de l’islam est si sensible qu’elle occulte des questions moins symboliques, mais autrement plus concrètes du point de vue de la gouvernance : la concentration des pouvoirs, la place des partis et des corps intermédiaires, ainsi que la structure du nouveau régime.

Le secrétaire général de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) Noureddine Taboubi assure que la manœuvre vise à « détourner l’attention des Tunisiens du régime politique et électoral instauré par la nouvelle Constitution ». Le silence du président sur ces sujets devient d’autant plus inquiétant que même ses relais médiatiques ne s’expriment plus.

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