Zone franc, zone d’ombre
Kako Nubukpo est le ministre togolais de la Prospective et de l’Évaluation des politiques publiques.
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Kako Nubukpo
Économiste, commissaire chargé de l’agriculture, des ressources en eau et de l’environnement à l’Uemoa
Publié le 13 janvier 2014 Lecture : 3 minutes.
Le temps est à la rénovation de la maison Françafrique. En témoigne la tonalité de la conférence économique de Bercy, qui s’est tenue le 4 décembre, à Paris, en marge du sommet de l’Élysée. Elle a été le théâtre de ce renouveau, tant par la composition de la salle, avec une présence remarquée des personnalités du monde des affaires, que par le contenu des discours « décomplexés », affirmant haut et fort le caractère désormais égalitaire d’une relation historiquement dominée par la France.
On ne peut que s’en réjouir, mais il faut se garder de crier trop tôt victoire, car plusieurs zones d’ombre subsistent dans cet unanimisme qui pourrait bien n’être que de façade.
Spécialisation appauvrissante
D’abord, bien plus que l’augmentation des flux commerciaux prônée par le ministre français de l’Économie et des Finances, Pierre Moscovici, c’est le contenu de ces flux qui importe.
Élargir la zone CFA serait anachronique, économiquement inefficace et politiquement maladroit.
Si l’Afrique se contente de doubler ses exportations de matières premières en direction de la France, elle ne fera que conforter sa spécialisation primaire au sein du commerce international – spécialisation dite “appauvrissante”.
En revanche, si elle effectue une véritable montée en gamme de ses exportations, elle pourra créer de nouveaux emplois et donner de la valeur ajoutée supplémentaire à ses produits.
Avatar de la colonisation
Ensuite, l’élargissement de la zone Franc au Nigeria et à l’Angola, préconisé dans son rapport par l’ancien ministre français des Affaires Étrangères, Hubert Védrine, paraît anachronique, en plus d’être économiquement inefficient et politiquement maladroit. La zone Franc est souvent perçue comme le dernier avatar de la colonisation française, le dernier symbole de la « Françafrique monétaire ». Son exhumation, voire son élargissement, irait à contre-courant du discours sur la rénovation économique des relations entre la France et le continent.
Sur le plan strictement économique, élargir le franc CFA d’Afrique de l’Ouest à un pays pétrolier comme le Nigeria rendrait difficile la conduite d’une politique monétaire optimale pour l’ensemble de la zone, dans la mesure où les économies de la sous-région sont, pour la plupart importatrices de pétrole, et ne seraient presque jamais dans la même phase du cycle économique.
Cette proposition est également politiquement maladroite, à l’heure où les négociations entre l’Union européenne (UE) et la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) sur les Accords de partenariat économique (APE) piétinent – des négociations dans lesquelles le Nigeria apparaît comme le fer de lance de ces pays réfractaires à la signature d’un accord perçu comme une réminiscence du « pacte colonial ».
Ceux-ci en effet ne veulent pas d’un accord qui prendrait les atours d’une relation déséquilibrée entre la nouvelle métropole (l’UE) déversant ses surplus agricoles et industriels sur les nouvelles colonies (la CEDEAO), obligées de procéder à un désarmement tarifaire mortifère pour leur industrie naissante.
Double impuissance
Lire aussi :
Rapport Védrine-Zinsou : la guerre (économique) a commencé !
Qu’est-ce que la zone franc ?
La délicate évolution du F CFA
Enfin, la tonalité générale de ce sommet, qui s’est tenu dans le double contexte du décès de Nelson Mandela et du début de l’intervention française en Centrafrique, a suscité un certain malaise chez les intellectuels africains. Le sentiment dominant fut celui d’une double impuissance, à la fois face au décès du meilleur d’entre eux, véritable icône mondiale du sacrifice pour l’intérêt supérieur, et face à l’incapacité manifeste de l’Afrique à s’organiser pour la défense de son propre territoire.
Ce double deuil (celui d’un idéal et celui de la souveraineté), intervenu qui plus est en terre française, donne un goût de cendre au concept de nouveau partenariat économique entre la France et l’Afrique.
L’acceptation d’un partenariat économique, aussi légitime qu’il puisse paraître, ne peut ni ne doit épuiser l’impératif pour l’Afrique de se doter d’une vision endogène de son développement à long terme. Nous devons pouvoir examiner froidement la valeur ajoutée des partenariats que l’on nous propose. Le développement de l’Afrique ne peut pas se contenter d’être le résultat d’une série d’initiatives et de rapports plus ou moins improvisés, plus ou moins désintéressés. Il doit être être le fruit d’un consensus général entre les filles et fils du continent. Emprunter cette voie est, à n’en point douter, le meilleur hommage que l’on puisse rendre à Nelson Mandela.
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