Maroc : Aziz Akhannouch lance le méga-chantier de la santé
Mi-juin, le chef du gouvernement a présenté sa réforme de la santé pour accompagner la généralisation de la couverture sociale. Une réforme titanesque et très attendue, mais dont les effets ne seront pas immédiats. Le détail.
Face au Parlement, le 13 juin dernier, le chef du gouvernement Aziz Akhannouch a présenté les contours de la grande réforme de son quinquennat : celle de la santé. Alors que la généralisation de la protection sociale va bon train – l’Assurance maladie obligatoire (AMO) devrait couvrir près de 22 millions de Marocains supplémentaires d’ici la fin de l’année –, l’État doit se préparer à une forte augmentation de la demande en soins.
Déserts médicaux, pénuries de personnel médical et paramédical, manque d’infrastructures, mauvaise gouvernance, problème de financement… Les carences de l’hôpital public marocain sont nombreuses.
Un indicateur de taille en témoigne : 90 % des moyens financiers mobilisés par l’AMO vont au secteur privé. Les Marocains préfèrent s’endetter, voire s’appauvrir, pour accéder au privé plutôt que de se faire soigner dans le public.
Le royaume consacre 6 % de son PIB aux dépenses de santé, dont 25 % sont financées par les recettes fiscales. Plus de 59,9 % des coûts liés à la santé sont à la charge des ménages. D’ici 2035, l’État souhaite ramener cette part, qui pèse très lourd dans le budget des Marocains, à 30 %.
Vers une régionalisation de la santé ?
Voilà pourquoi le gouvernement propose une refonte totale du secteur de la santé articulée autour de trois axes : la mise à niveau des infrastructures, la gouvernance et les ressources humaines.
Sur le papier, le gouvernement a d’ores et déjà conçu une nouvelle organisation de l’offre sanitaire, dont le but est de renforcer le réseau médical local et régional. Point de départ de cette restructuration, nommée Groupement sanitaire de territoire (GST) : les Établissements de santé primaires (ESP), destinés aux soins de proximité et « point de référence » des patients pour la médecine générale, la pédiatrie, l’obstétrique et les soins intensifs.
Viennent ensuite les Centres hospitaliers provinciaux (CHP) appelés à fournir eux aussi des soins de base et des soins plus spécialisés (ophtalmologie, réanimation), puis les Centre hospitaliers régionaux (CHR), positionnés sur des spécialités médicales régionales ou inter-régionales comme l’oncologie ou la neurochirurgie.
Au sommet de la pyramide, les Centres hospitaliers universitaires (CHU), qui devront à la fois gérer tous les établissements dépendants d’un GST et assurer leurs missions principales : développement d’une expertise sur plusieurs spécialités de pointe, développement de la recherche scientifique et renforcement de la formation médicale.
Pour coiffer l’ensemble de cette chaîne, le gouvernement compte créer une Haute Autorité de la régulation intégrée de la santé (HARIS), une super-structure, dotée d’un Haut Commissaire et d’une autonomie financière, chargée de la mise en œuvre et du suivi de la stratégie de l’État.
Dans ce nouvel organigramme, le ministère de la Santé ne serait plus qu’une sorte d’intermédiaire entre la HARIS et les acteurs de la santé. Du côté des professionnels du secteur, certains redoutent déjà une « usine à gaz », où la bureaucratie et les cadres administratifs prendraient le pas sur la médecine et le personnel soignant.
Concrètement, le gouvernement Akhannouch a débloqué une enveloppe de 6 milliards de dirhams (566 millions d’euros) pour la réhabilitation des infrastructures, dont 1,5 milliard de dirhams affecté à la construction de deux nouveaux CHU à Rabat et Laâyoune, et 3,4 milliards de dirhams alloués à la construction ou à la mise à niveau de CHP et de CHR. Fin 2021, l’Agence française de développement (AFD) avait d’ailleurs consenti un prêt de 150 millions d’euros pour participer à cette vaste opération de remise à niveau.
Le défi des ressources humaines
L’autre grand chantier auquel le gouvernement compte s’attaquer est celui des ressources humaines, sans doute le talon d’Achille du secteur de la santé. Le rapport du Conseil national des droits de l’homme (CNDH) d’avril estime les besoins marocains à 32 000 médecins dans le secteur public, alors qu’ils ne sont que 13 662 actuellement.
« Un médecin marocain sur trois exerce à l’étranger et la loi 31-21 relative à l’exercice des médecins étrangers au Maroc n’en a attiré que 48 en l’espace d’un an », souligne l’économiste Abdelghani Youmni. Le royaume dispose de seulement 7 médecins et 8 infirmiers et sages-femmes pour 10 000 habitants. La faute à un manque d’attractivité financière et à des conditions de travail parfois difficiles.
Un chiffre très en deçà des normes de l’OMS, qui estime qu’en dessous de 23 professionnels de santé pour 10 000 habitants, le taux de couverture de soins est insuffisant. D’ici 2035, le Maroc ambitionne donc d’atteindre un rapport de 45 soignants pour 10 000 habitants à travers trois leviers : la revalorisation des salaires (+ 350 euros en moyenne d’ici janvier 2023), un accès aux études de médecine facilité et un cursus de formation ramené à six ans au lieu de sept actuellement.
Au Maghreb, c’est au royaume que les médecins du secteur public sont le mieux payés (environ 1 100 euros en moyenne par mois, contre 450 euros en Algérie et 365 en Tunisie). Mais un interne marocain gagne moins de 300 euros par mois et environ 800 euros en début de carrière lorsqu’il est titularisé, sans compter son affectation arbitraire dans une zone choisie par l’État pendant plusieurs années (souvent des régions reculées ou enclavées).
Par ailleurs, « la durée de formation d’un spécialiste ou d’un chirurgien varie entre douze et quinze ans. Les praticiens dans le système de santé ont rarement des vies privées équilibrées, une contrepartie en revenus semble essentielle. Une réflexion sur des passerelles de temps de travail entre public et privé pourrait résoudre en partie cette soif légitime de gagner correctement sa vie », estime Abdelghani Youmni.
L’éternel problème du financement
Cette ambitieuse réforme de la santé pose aussi la question du financement. Le 20 juin, la Banque mondiale a accordé un prêt de 500 millions de dollars au royaume afin d’appuyer les politiques de développement, notamment celles liées à la résilience du système de santé. Seulement, une réforme structurelle et un système pérenne ne peuvent être exclusivement financés par l’endettement.
Les leviers de financements existent : réforme de l’assiette fiscale et réduction de l’économie informelle, par exemple. « Pour réussir cette réforme volontariste, l’assiette du financement de la santé devrait être basée sur des prélèvements obligatoires et non sur des cotisations quasi volontaires », affirme Abdelghani Youmni. Pour l’instant, le gouvernement n’a rien évoqué de tel.
Autre possibilité pour le gouvernement : s’appuyer sur la béquille du secteur privé. « On croit à tort que l’État a perdu la main sur la santé à cause du secteur privé, mais en réalité il a perdu la main sur les inégalités sociales et territoriales. Pendant des années, le privé a résorbé les failles, ainsi que l’absence de moyens humains et matériels du secteur public, notamment dans le nord et le sud du Maroc », estime Youmni.
Actuellement, le privé représente 356 cliniques, 12 000 médecins et 9 719 lits, contre 158 hôpitaux (et 2 000 centres de santé) et 23 000 lits pour le public. « L’hôpital public veut faire des économies, le privé des bénéfices, mais dans tous les cas, ce n’est jamais gratuit, ce sont les contribuables et les cotisants qui payent.
Pour que le système de santé soit efficace et que cette réforme porte ses fruits, il faut poursuivre les partenariats public-privé, qui, tout en se substituant à l’effort budgétaire des pouvoirs publics moyennant une rente, permettent en principe d’améliorer et d’optimiser les performances des systèmes de santé. En Turquie, la révolution du système de santé a permis, entre 2002 et 2020, et grâce au partenariat public-privé, d’augmenter le nombre de professionnels de santé de 36 %, de réduire le coût de 35 % pour les citoyens, et d’atteindre plus de 176 000 lits », argumente encore l’économiste.
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