Photographie : les regards croisés de Savignan et Tshabangu

Durant quinze ans, le Sud-Africain Andrew Tshabangu et le Réunionnais René Paul Savignan se sont intéressés ensemble aux pratiques religieuses de leurs pays, entrelaçant leurs points de vue.

Esiguqweni, zondi, soweto de René Paul Savignan. © René Paul Savignan

Esiguqweni, zondi, soweto de René Paul Savignan. © René Paul Savignan

ProfilAuteur_SeverineKodjo

Publié le 21 octobre 2013 Lecture : 2 minutes.

Il y a ces visages de pierre, yeux clos, traits tendus, happés par la douleur du désespoir et plongés dans le recueillement comme si l’on déversait un trop-plein de souffrances du haut d’un abîme sans fond. Et il y a ceux, au contraire, souriants, réponse à la promesse d’une vie heureuse. Pour les premiers, le photographe sud-africain Andrew Tshabangu et son ami réunionnais René Paul Savignan ont choisi le noir et blanc. Comme une évidence à la solennité de ces instants saisis, à la tension palpable de ces moments de piété. Pour les seconds – rares -, le Français a préféré la couleur, notamment pour les portraits de famille. Mais tous les clichés disent dans l’intimité une pratique religieuse récurrente, tantôt quotidienne tantôt occasionnelle, que met en lumière l’exposition "Bridges" présentée jusqu’au 27 octobre à la Maison des métallos, à Paris.

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Il aura fallu quinze ans aux deux amis pour réaliser ce projet sur les coutumes religieuses dans leurs pays respectifs. Tout commence en 1996, lorsqu’ils font connaissance aux Rencontres de Bamako. Ils se découvrent alors une même préoccupation : "Le thème de la spiritualité était un défi pour nous deux", explique Andrew Tshabangu, qui pratique habituellement une photographie sociale, témoin de l’atmosphère des townships de Soweto. "Nous ne voulions pas l’aborder de l’extérieur, mais proposer un regard intérieur ; ce qui supposait de rencontrer les communautés religieuses que nous allions photographier", précise-t-il. Une manière aussi d’éviter le piège de l’exotisme.

Des pratiques religieuses plurielles

Chacun découvre le pays de l’autre et multiplie les voyages, qui à La Réunion, qui en Afrique du Sud, "deux sociétés multiculturelles, où les pratiques religieuses sont plurielles, parfois à l’intérieur d’une famille ou pour un même individu", rappelle Nathalier Gonthier, l’une des commissaires de l’exposition présentée à Durban et à Johannesburg, puis à Saint-Denis (La Réunion) en 2012, dans le cadre de la saison croisée Afrique du Sud-France. Les deux photographes travaillent main dans la main. Ils se rendent ensemble aux cérémonies de deuil, aux séances de prière, aux processions… "Chacun a servi de guide à l’autre. Nous voulions croiser nos approches. Mais à force, nos styles se sont confondus. Quand j’étais à La Réunion, je devenais l’ombre de René Paul Savignan, et inversement. Nous n’avons pas voulu signer nos photos pour donner à voir ensemble ce que l’on a fait ensemble", confie le Sud-Africain.

Il est souvent impossible de savoir qui est l’auteur des photographies tant les deux artistes sont devenus un seul regard, une seule voix, qui cherche à transmettre une expérience vécue – celle qui tisse un lien social parfois ténu – et non à dire la religion à travers ses institutions ou ses symboles. Les repères se brouillent parfois également. À peine pensons-nous être en Afrique du Sud qu’un détail nous fait douter. Et si nous étions plutôt à La Réunion ? Finalement, peu importe. Ces quatre-vingts photographies donnent à voir au-delà de toute approche documentaire ou ethnographique. Il n’est pas tant question du culte malbar (d’origine indienne), catholique, kabaré (qui vient des cérémonies malgaches que les esclaves ont introduites à La Réunion), pentecôtiste, shembe, sangoma… que de cette attitude si profondément humaine qui cherche dans un ailleurs une justification à notre monde. "Bridges", d’Andrew Tshabangu et René Paul Savignan, jusqu’au 27 octobre à la Maison des métallos, à Paris.

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