« La Saison de l’ombre » : Léonora Miano et les maux de l’absence
Dans son dernier roman, La Saison de l’ombre (éditions Grasset), Léonora Miano s’intéresse aux Africains qui n’ont pas été déportés pendant la traite négrière. Mais qui en ont quand même été victimes.
Qui n’a pas essuyé une larme en découvrant dans Racines, d’Alex Haley, le personnage de Kunta Kinté, guerrier noir capturé par des hommes blancs, marqué au fer rouge avant d’être arraché à sa terre mandingue ? Dans La Saison de l’ombre, qu’elle publie aux éditions Grasset (en lice pour le prix Femina), Léonora Miano a choisi de s’intéresser non pas à ceux qui ont été déportés, mais à ceux qui sont restés. Ceux à qui l’on a arraché des êtres qu’ils aimaient et dont le monde s’effondre.
Pour cela, Miano nous emmène dans un village mulongo, où douze hommes se sont volatilisés par une nuit de gros incendie. Ebeise, la matrone du clan, suggère que les mères des disparus soient éloignées de la communauté, seul moyen d’éviter que leur chagrin ne se répande et fragilise le groupe. Le roman s’ouvre sur ces recluses abandonnées à leur désarroi. Loin d’être un plaidoyer contre la traite négrière, le texte de Miano recrée plutôt un peuple antécolonial avec ses croyances, ses histoires d’amour, ses haines et ses intrigues. Et surtout ses multiples habitants : ceux qui ont vainement attendu jusqu’à leur dernier soupir un hypothétique retour des disparus ; ceux qui cherchent sans savoir où regarder ; ceux qui, désemparés, n’ont jamais trouvé la bonne attitude face à ces événements…
Spiritualité
L’auteure franco-camerounaise contribue là à révéler une histoire peu connue. Celle de cette majorité de Subsahariens qui n’étaient ni captifs ni trafiquants d’esclaves. Elle interpelle sur une période de l’Histoire qui a duré plusieurs siècles et a des répercussions sur la manière dont les Africains se perçoivent aujourd’hui et sur leur rapport aux autres. L’autre grand mérite de l’auteure est d’avoir utilisé leurs mots, leurs sensations, pour raconter le destin de ces hommes et ces femmes, décrire de l’intérieur la destruction de leur univers, qui avait sa poésie et sa spiritualité propres. Cette spiritualité, Miano, qui dit écrire en musique, nous la restitue habilement par un recours abondant à la langue douala (qui pourrait dérouter le lecteur, mais ne sonne jamais faux) et à un style volontairement incantatoire. Elle confesse avoir voulu écrire un texte sensible, qui mette au premier plan l’humanité des personnages. Elle y parvient.
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