Cinéma : Saïd Hamich, marier l’art et l’oseille

Avec sa jeune maison, Barney Production, ce Marocain déterminé entend bien produire un cinéma de qualité tourné vers le public. Et vers l’Afrique.

Saïd Hamich affirme : « les films coûtent très cher et le côté artiste bohème n’existe plus. » © Christophe Lebedinsky pour J.A.

Saïd Hamich affirme : « les films coûtent très cher et le côté artiste bohème n’existe plus. » © Christophe Lebedinsky pour J.A.

NICOLAS-MICHEL_2024

Publié le 24 octobre 2013 Lecture : 4 minutes.

Producteur de cinéma : les mots claquent comme une promesse de starlettes dénudées, de bagnoles de luxe et de tapis rouge. Mais gaffe ! Si le septième art ensorcelle sur grand écran, il est impitoyable guerre des nerfs en coulisses, course-poursuite sanglante derrière le magot qui ouvrira la porte de l’acteur « bankable » et financera le tournage à Copacabana, caïpirinhas comprises. Mais on s’égare parce que Saïd Hamich, installé dans ses petits locaux de Belleville (Paris), représente cette catégorie de producteurs qui vivotent de projets qui leur tiennent à coeur, en attendant celui qui, peut-être, un jour, leur permettra la culbute. De fait, il n’est né ni avec une cuillère en argent dans la bouche, ni avec les intégrales d’Andreï Tarkovski et de Stanley Kubrick soigneusement rangées dans le meuble télé du salon.

Non, il est né à Fès (Maroc) en février 1986, de parents d’origine modeste. Son enfance, ce sont les nouveaux quartiers de cette ville, où vit la classe moyenne. Il y est élevé par sa mère, couturière, puisque son père travaille dans le sud de la France, près de Bollène, durant l’année. Il joue au foot, fréquente une école privée « assez dure où l’on fait beaucoup de maths et beaucoup d’arabe ». Le divorce de ses parents le catapulte de l’autre côté de la Méditerranée, à l’âge de 11 ans. « Sur le moment, je ne l’ai pas bien vécu et j’ai mis du temps à accepter le fait d’être en France, se souvient-il. Surtout par rapport au français, qui n’était pas ma langue maternelle et que j’étudiais peu à l’école. Mais bon, je suis arrivé dans un petit village où j’étais suivi de manière quasi personnalisée. J’ai pu rattraper le niveau sur quatre ans. » Ce qui l’intéresse alors, c’est le sport et les sciences, qui lui permettent de s’accrocher. « Je ne connaissais rien à la culture, mes parents n’étaient pas portés sur la question, dit-il. Je n’avais pas dans l’idée de faire du cinéma, mais un ami proche – le fils de l’écrivain Yves Bichet – en rêvait. » C’est ainsi qu’il commence à se gaver de films, « de manière intuitive ».

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S’il n’a pas de plan de carrière en tête, il rêve d’une trajectoire différente, originale, et quand après le bac (2004) il s’agit de choisir entre des études en sciences et la Sorbonne nouvelle en cinéma, il opte pour la seconde solution. Et le voilà débarqué à Paris à 18 ans, sans le sou. « J’étais boursier et j’ai travaillé pour le Centre Pompidou… où j’ai tout fait. À la fac, j’ai construit ma culture cinéphilique et tout est devenu objet d’étude. » Trois ans plus tard (2007), la Fémis (École nationale supérieure des métiers de l’image et du son) s’impose. « Acteur ? Ce n’est pas du tout dans mon caractère, affirme cet homme pudique. La production me correspond plus. » Dès la deuxième année d’école, il crée Barney Production, dont le logo est un lapin (« Je ne voulais pas un truc trop intellectuel… ») et commence à produire deux ou trois films par an. Un métier d’équilibriste consistant à « accompagner un produit du début à la fin », entre le monde d’un réalisateur et la réalité des financements (aides, subventions, avances sur recettes, etc.). « Les films coûtent très cher et le côté artiste bohème n’existe pas, souligne-t-il. Il faut sans cesse démarcher pour pouvoir préfinancer. La rencontre avec le public est de moins en moins un gage de faisabilité. »

Drari, réalisé par son ami Kamal Lazraq, a obtenu le deuxième prix de la Cinéfondation à Cannes, en 2011.

À l’école, Hamich a produit une dizaine de films, et presque autant depuis avec sa société. Drari, réalisé par son ami Kamal Lazraq, a obtenu le deuxième prix de la Cinéfondation à Cannes, en 2011. Les Lumières de l’Europe (Boris Lojkine), sur les migrants africains au Maroc, sortiront en 2014. Entre-temps, Saïd Hamich a aussi travaillé sur Les Chevaux de Dieu, de son compatriote Nabil Ayouch. L’Afrique, on l’aura noté, est dans ses gènes d’homme et d’entrepreneur. « J’ai très envie de faire de la coproduction avec l’Afrique. Notamment avec la Tunisie ou le Maroc. Il y a bien sûr du déchet, mais la stratégie de subvention pour la cinématographie locale est souvent positive sur le plan de l’image comme sur celui de l’économie », déclare celui qui se dit prêt à regarder plus au sud, vers le Nigeria et Nollywood, « où il y a une production de flux importante ». Le jeune homme, qui rêve de faire de Barney Production (deux salariés, un stagiaire, moins de 100 000 euros de budget par an) une boîte « spécialisée dans un cinéma d’auteur ouvert au public », semble porté par une rare détermination et une exigence de cohérence. Deux qualités saluées, en 2012, par la Fondation Jean-Luc Lagardère, qui lui a accordé une bourse de 50 000 euros. Une reconnaissance qui lui a offert, comme il le dit, « une plus grande légitimité ».

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