Berlusconi : Enrico Letta, l’homme qui a désarçonné le Cavaliere
Ce n’est pas un tueur. Juste un centriste modéré doublé d’un Européen convaincu. C’est pourtant Enrico Letta, le jeune président du Conseil, qui a fini par avoir la peau de Silvio Berlusconi.
Si son français parfait est teinté d’un léger accent alsacien, c’est qu’Enrico Letta, le président du Conseil italien, a vécu dans son enfance à Strasbourg, où il a fréquenté l’école publique. Les pérégrinations de Giorgio, son père, illustre mathématicien spécialiste du calcul des probabilités, ont fait de lui un polyglotte accompli et un fervent Européen.
Descendant d’une famille en grande partie décimée par le tremblement de terre d’Avezzano, en 1915, ce Pisan d’adoption diplômé en sciences politiques et en droit communautaire a démarré sa carrière politique sur les chapeaux de roue. Dès 1991, il préside aux destinées de l’organisation de jeunesse de la Démocratie chrétienne (DC), le parti qui domina la politique italienne de la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu’à 1994. Cette année-là, totalement discréditée par les scandales et rebaptisée Parti populaire italien (PPI), l’ex-DC est lourdement défaite aux élections par Forza Italia, la formation créée quelques mois plus tôt par un certain Silvio Berlusconi…
Le jeune Enrico est à bonne école. "Chez nous, on ne parle jamais de politique à table", confie Maria Teresa, sa tante. Sans doute, mais la politique n’est jamais très loin. Son oncle, le journaliste Gianni Letta, fut maintes fois ministre sous Berlusconi, dont il fut un peu le Richelieu. Par la suite, Enrico deviendra pour sa part le Mazarin de Romano Prodi. En 1997, il devient vice-président du PPI, et les choses s’accélèrent. Il divorce de sa première épouse, se remarie avec Gianna Fregonara, journaliste au quotidien Il Corriere della Sera, et, en 1998, à l’âge de 32 ans, devient le plus jeune ministre de l’histoire de l’Italie (record battu depuis par Giorgia Meloni, ministre de la Jeunesse à 31 ans).
Après s’être fait la main aux Affaires européennes dans le gouvernement de Massimo d’Alema, il prend, en 1999, les commandes du ministère de l’Industrie. Pas une mince affaire, l’Italie étant quand même la septième puissance industrielle mondiale. Mais le néophyte s’en sort plutôt bien. En 2001, il est élu député, rejoint l’année suivante Démocratie et Liberté (DL), un nouveau parti chrétien social, accède au Parlement européen (2004) et, deux ans plus tard, en démissionne pour devenir sous-secrétaire d’État à la présidence du Conseil des ministres auprès de Prodi. "C’est un phénomène promis à un grand avenir", jugent les analystes politiques.
Sortir du blocage institutionnel
Onze ans plus tard et beaucoup de cheveux et de dioptries en moins, le pronostic est confirmé : depuis le mois d’avril, Enrico Letta dirige le gouvernement de coalition mis en place pour sortir du blocage institutionnel provoqué par l’absence d’une majorité au Sénat. Il hérite d’une situation économique désastreuse, ne dispose que de l’appui incertain d’un Parlement continuellement au bord de l’implosion et doit tenir compte de la propension de l’Union européenne à retoquer les lois de finance concoctées par les Italiens.
"Ses compatriotes attendent de lui qu’il s’allie avec la France pour contrer la politique d’austérité imposée par Berlin", explique le journaliste Stefano Montefiori. Avec son prédécesseur Mario Monti, auquel il est souvent comparé, Letta a en commun une indéniable pondération. Mais son approche des dossiers est très différente. Il a beaucoup de distance vis-à-vis des querelles politiciennes, ne perd jamais de vue les problèmes de fond et suit son chemin en évitant les changements de cap trop brutaux.
Fan de Walesa et de Mandela
À 47 ans, personne ne l’accuse d’avoir pris la grosse tête. Il conduit sa Fiat, s’occupe de ses trois fils et continue de vivre dans le Testaccio, l’un des plus anciens quartiers de Rome, aujourd’hui très branché. Fan de bandes dessinées, de Dire Straits, de Lech Walesa et de Nelson Mandela, c’est un catholique conservateur et modéré dont le parcours n’est entaché d’aucun scandale. Après l’ineffable Silvio Berlusconi, c’est le profil type du dirigeant dont rêvent les Italiens !
Aujourd’hui membre du Parti démocrate (PD), une formation de centre gauche née sur les décombres des vieux partis (DC et Parti socialiste) balayés lors de l’opération Mains propres, dans les années 1990, le locataire du Palazzo Chigi est un homme de consensus : Berlusconi l’apprécie, et l’imprévisible Beppe Grillo, fondateur du Mouvement 5 Étoiles, l’accepte, faute de mieux. Seuls les extrémistes, de gauche comme de droite (Ligue du Nord), le rejettent. Il sait que la fragilité de son gouvernement tient à sa large diversité.
Fin septembre, sur le point de perdre son immunité parlementaire après une condamnation (définitive) par la justice pour fraude fiscale, Berlusconi tente le tout pour le tout et déclenche une énième crise politique en ordonnant à ses ministres de démissionner. Sans majorité au Parlement et sans gouvernement, Letta fait preuve du plus grand sang-froid. Il refuse la démission des ministres berlusconiens, pose la question de confiance au Parlement et trouve un allié inattendu en la personne d’Angelino Alfano, ministre de l’Intérieur, secrétaire politique national du Peuple de la liberté (le parti berlusconien) et fidèle d’entre les fidèles du Cavaliere. Ce dernier renâcle, hurle à la trahison, mais n’a d’autre choix que de céder : le gouvernement de coalition est provisoirement sauvé.
Une lourde responsabilité
La partie se joue désormais entre Letta et Alfano, deux centristes qui, à bien des égards, se ressemblent. "Je sens peser sur moi une lourde responsabilité, plus lourde que la capacité de mes épaules à la supporter", disait Letta lors de sa désignation comme président du Conseil. Six mois plus tard, le constat n’a pas dû beaucoup changer.
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