Argentine : Cristina Kirchner lâche la barre
Opérée d’urgence à la suite d’un mystérieux traumatisme crânien, la présidente est en convalescence pour un mois. Son absence en pleine campagne électorale est fâcheuse. Elle pose surtout beaucoup de questions.
Buenos Aires, dimanche 13 octobre. Une voiture grise quitte l’hôpital Fundación Favaloro. Assise à l’arrière, la présidente regarde les journalistes massés derrière des barrières. Après six jours d’hospitalisation et une lourde opération – la résorption d’un hématome dans la région du cerveau -, Cristina Kirchner regagne sa résidence d’Olivos, où elle restera en convalescence, sous contrôle médical, pendant un mois. Jusqu’au dernier moment, elle a tout fait pour éviter une intervention chirurgicale, mais rien à faire : le traumatisme crânien consécutif à une chute, le 12 août, dans des circonstances peu claires, était trop important.
Pendant tout l’été, elle avait couru de meeting en meeting – des élections législatives ont lieu le 27 octobre. La voilà donc contrainte de quitter le devant de la scène alors qu’elle traverse la pire période de sa carrière politique. Élue deux fois à la Casa Rosada (en 2007 et 2011), la veuve de Néstor, l’ancien président décédé en 2010 d’une crise cardiaque, fait face à une chute sévère de sa cote de popularité. Sa santé défaillante suscite la sympathie de ses compatriotes, mais 43 % d’entre eux n’en ont pas moins une opinion négative de son action. Au mois de mai, les accusations d’enrichissement illicite et de blanchiment d’argent portées à la télévision contre elle et son défunt mari ont eu un effet dévastateur.
La vérité est que la flamboyante Cristina, qui n’hésite pas à défier la terre entière, finit par lasser tout le monde.
La vérité est que la flamboyante Cristina, qui n’hésite pas à défier la terre entière – du FMI, qui la menace d’un "carton rouge" (Christine Lagarde) pour sa fâcheuse tendance à falsifier les chiffres de l’inflation, à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en passant par les fonds vautours qui lui réclament le paiement de créances en souffrance -, finit par lasser tout le monde. Lors du dernier sommet du G20, en septembre à Saint-Pétersbourg (Russie), ses collègues l’ont carrément snobée : lorsqu’elle est montée à la tribune et a commencé son discours, ils ont ostensiblement débranché leurs casques.
Même sa visite, pleine d’humilité et de simplicité, au nouveau pape, son compatriote Jorge Mario Bergoglio, n’a pas suffi à redorer son image. En Argentine même, son gouvernement fait face à un feu roulant de critiques. Il faut dire que l’inflation culmine à 25 %, que l’insécurité augmente et que la corruption atteint des proportions effrayantes. Bref, les années fastes du kirchnérisme semblent loin.
L’économie est en berne
"Il y a dix ans, le couple Kirchner a su tirer profit de la croissance pour asseoir sa légitimité, explique l’économiste Gustavo Lazzari. Aujourd’hui, l’économie est en berne et la pérennité du kirchnérisme en tant que force politique majoritaire devient problématique." À la fin de l’été, le gouvernement a pris des mesures pour lutter contre l’insécurité et réduire les impôts des classes moyennes. Sera-ce suffisant ? Pas sûr. Avant les législatives, le Front pour la victoire (FPV), le parti présidentiel, paraît en perte de vitesse. Dans la province de Buenos Aires, Sergio Massa, un ex-familier du couple Kirchner devenu l’étoile montante de l’opposition, devance de onze points Martín Insaurralde, le candidat soutenu par la chef de l’État.
Après son opération, Kirchner a été contrainte, conformément à la Constitution, de déléguer ses pouvoirs au numéro deux du gouvernement, Amado Boudou. L’ennui est que celui-ci est sous le coup de poursuites judiciaires. Et qu’il est le moins populaire des membres du gouvernement. En pleine campagne pour les législatives, on pourrait rêver meilleur atout électoral ! Jusqu’ici, la présidente ne l’avait d’ailleurs pas laissé s’y impliquer. Et le gouvernement a pris son temps avant de confirmer officiellement son intérim. En janvier 2012, Boudou avait déjà joué ce rôle pendant vingt jours, Kirchner était alors en convalescence après une opération de la thyroïde. Cette fois, Juan Manuel Abal Medina, son chef de cabinet, jure que la présidente continue de gouverner et que Boudou se contente d’inaugurer les chrysanthèmes.
"Mesa Chica"
À en croire les spécialistes de la Casa Rosada, Cristina Kirchner consulte quotidiennement Máximo, son fils de 36 ans, l’un des rares à jouir de sa totale confiance avec Florencia, sa soeur (23 ans). Officiellement, Máximo vit à Río Gallegos, en Patagonie, est allergique aux médias et ne s’occupe pas de politique. En réalité, il est le plus influent des conseillers de sa mère – un tout petit cercle baptisé la "mesa chica" (littéralement : la "petite table") -, avec Carlos Zannini, son secrétaire particulier. Beaucoup murmurent que c’est ce dernier, fidèle parmi les fidèles du clan Kirchner, qui prend dans l’ombre les décisions importantes.
Quoi qu’il en soit, les communiqués médicaux rassurants – mais flous – rendus publics par le gouvernement ne sont pas sans rappeler ceux publiés par les autorités vénézuéliennes dans les semaines qui ont précédé la mort de Hugo Chávez. Le mystère entretenu sur les circonstances exactes du traumatisme cérébral subi par la présidente encourage les spéculations les plus folles. Selon certains, elle aurait fait une chute dans son avion présidentiel. D’autres croient savoir qu’elle se serait blessée en jouant avec son petit-fils. "Les informations au compte-gouttes… L’annonce de son opération au tout dernier moment… Tout cela nourrit le scepticisme des Argentins", commente Gustavo Lazzari.
Les analystes politiques s’accordent à estimer que la convalescence de la présidente aura des conséquences sur le scrutin du 27 octobre. Si le FPV venait à perdre sa majorité au Parlement, Cristina verrait, à 60 ans, s’envoler tout espoir de modifier la Constitution afin de briguer un nouveau mandat en 2015. Dans cette hypothèse, Daniel Scioli, l’actuel gouverneur de la province de Buenos Aires, serait sans doute candidat à sa succession. Mais le kirchnérisme peut-il survivre aux Kirchner ?
Cristina Kirchner et Amado Boudou lors de la cérémonie de leur
investiture, à Buenos Aires, le 10 décembre 2011. © Daniel Garcia/AFP
Amado Boudou, l’homme à la moto
En fonction depuis 2011, le vice-président Amado Boudou, 50 ans (il est d’origine française), s’est surtout fait connaître jusqu’ici par les casseroles judiciaires qu’il traîne derrière lui : enrichissement illicite, trafic d’influence, blanchiment d’argent… Jusqu’à tout récemment, une quarantaine de chefs d’inculpation étaient retenus contre lui. Beaucoup ont depuis été abandonnés, mais les Argentins désapprouvent massivement (70 %) l’intérim que, constitutionnellement, il est appelé à exercer. Ancien ministre de l’Économie à qui l’on a naguère prêté une liaison avec la présidente, Boudou a toujours cultivé une image de rockeur, fan de guitares électriques et de Harley-Davidson. "Il est fait pour chevaucher une moto, pas pour gouverner", a récemment estimé Felipe Solá, un ex-député kirchnériste. Lorsque l’opération de la présidente a été annoncée, Boudou se trouvait d’ailleurs au Brésil, où les médias locaux n’ont pas manqué de le photographier sur une grosse cylindrée. Il est alors rentré d’urgence et a tenté de rassurer ses compatriotes : n’a-t-il pas déjà assuré l’intérim de Cristina en janvier 2012 ? Il avait fait à l’époque ce qu’on attendait de lui : se faire le plus discret possible. Pour faire oublier ses frasques.
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