Thriller : Cynisme et cybercrime

Avec leur nouveau roman, Protocole Magog, Olivier Marbot, Jacques Trauman et Philippe Lavault plongent dans les arcanes du pouvoir en France et en Europe, livrant une description plus vraie que nature des milieux de la banque et du renseignement.

Protocole Magog, roman plus vrai que nature sur les dessous du pouvoir. © Sergey Guneev/SPUTNIK/SIPA

NICOLAS-MICHEL_2024

Publié le 29 juin 2022 Lecture : 3 minutes.

Il a suffi de quelques secondes. Abel Saouaf, informaticien de génie de 28 ans, a été abattu en plein jour, en public, sans que personne ne puisse intervenir. Malgré les caméras de surveillance, le tueur professionnel a disparu sans laisser le moindre indice sur son identité. L’arme du crime ? Un VP9, calibre 9 mm, ultrasilencieux, en général utilisé par les vétérinaires pour achever les chevaux blessés ou malades. Très vite, l’enquête de la commandante de police niçoise Sanda Pleynel s’oriente vers le logiciel auquel travaillait Saouaf dès qu’il avait un instant libre.

Protocole Magog, le nom qu’il avait donné à ce logiciel, donne son titre au nouveau roman de notre collaborateur Olivier Marbot. Pour l’écrire, ce dernier s’est fait accompagner par son habituel comparse, Jacques Trauman, banquier, ancien directeur général de Paribas, et de Philippe Lavault, chef des ressources extérieures de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI). À eux trois, les auteurs cumulent un vif sens de l’intrigue, une connaissance pointue des milieux du renseignement et un vaste savoir sur les réseaux bancaires et informatiques. C’est-à-dire de quoi concocter un thriller efficace regorgeant de détails puisés directement à la source.

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Oligarque

Alors, bien entendu, Protocole Magog rassemble tous les ingrédients du genre, avec son méchant désigné, Bolat Sadykov, richissime homme d’affaires (louches) kazakh, ses tueurs sans foi ni loi, ses espions, ses prostituées et ses yachts de luxe amarrés dans le port de Monaco… Les rebondissements s’enchaînent, les histoires d’amour (ou de sexe) se nouent, et quand survient une attaque informatique majeure paralysant l’ensemble de la France, le spectre d’une guerre en Europe étend son ombre menaçante. Protocole Magog se déploie depuis les locaux d’une petite start-up de Sophia-Antipolis jusqu’aux lambris des grandes banques, des ambassades, des ministères, pour s’achever en visioconférence entre l’Elysée, la Maison Blanche et le Kremlin.

Enarque

Pourtant, ce qui fait la saveur de ce roman, c’est surtout la description acide des milieux décisionnaires en France, réseaux d’énarques et de polytechniciens issus des mêmes moules, parlant la même langue, partageant le même genre d’ambitions, les mêmes fantasmes hétéronormés, baignant quotidiennement dans un bouillon d’hypocrisie où autrui n’est jamais qu’un moyen pour arriver à ses fins.

Couverture du livre "Protocole Magog" © DR

Couverture du livre "Protocole Magog" © DR

Peut-être en raison de leurs expériences cumulées des cercles du pouvoir, les trois auteurs disposent d’un talent remarquable pour décrire les séances d’humiliation publique auxquelles se livrent les dirigeants sur leurs subordonnés, sachant qu’en la matière, tels des poupées gigognes, les chefs des uns sont la plupart du temps les vassaux des autres. Dans ces mondes où le cynisme règne en maître – banque, renseignement, armée, gouvernement – les coups mortels sont assénés sans pitié. Et s’il y a mort d’homme, peu importe, on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs.

Poutine, Biden, Macron

Tout en nous promenant, sans jamais nous perdre, dans les arcanes du codage informatique et des acronymes propres aux divers services de police et de renseignements français (DGSE, SRPJ, DCPJ, OCRGDF, BLCC, etc.) Marbot et consorts inventent une galerie de personnages proprement infects et, c’est à craindre, plus vrais que nature. Et, pour finir, dans les dernières pages de leur roman, ils imaginent une discussion-négociation entre trois chefs d’État qui ne sont jamais nommés mais que l’on reconnaît évidemment : l’Américain Joe Biden, le Français Emmanuel Macron et le Russe Vladimir Poutine. Imaginent ? La réalité n’est pas loin.

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Au président français qui veut frapper le centre de commande de hackers planqués au Daghestan, Poutine répond sans ambages : « Vous demandez beaucoup. Mais je suis prêt à vous apporter mon soutien à une condition […] Je déclare que la frappe française est légitime et je ne réagis pas à l’ingérence manifeste dont certains se sont rendus coupables au Kazakhstan. En échange, je veux l’engagement que, quoi qu’il se passe, l’Otan ne cherchera pas à s’étendre en Europe continentale. Simple question d’équilibre et de réciprocité à l’échelle européenne. » Cela vous rappelle quelque chose ? Réponse étranglée du Français : « Cette fois, c’est toi qui demandes beaucoup. Mais si tu t’engages à calmer tes amis de Wagner au Sahel, je suis prêt à te suivre. »

Protocole Magog, d’Olivier Marbot, Jacques Trauman et Philippe Lavault, Favre, 322 pages, 21 euros.

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