RDC : quand les Congolais deviennent maîtres de la parole

Plusieurs concours d’éloquence créés ces dernières années rencontrent un franc succès. Objectif : aider les jeunes à structurer leurs idées et à mesurer l’importance du débat contradictoire.

Lors du Concours féminin d’éloquence, à Kinshasa, en mai 2022.

Publié le 18 août 2022 Lecture : 5 minutes.

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Ils organisent les principaux concours d’art oratoire en langue française depuis Lubumbashi, la capitale du Haut-Katanga, qui fait figure de ville pionnière en la matière en RDC. Juriste et agrégée de langue française, Nelly Tshela Mutay est à l’origine du Concours féminin d’éloquence, qui s’adresse aux collégiennes et lycéennes âgées de 13 à 17 ans. L’association lushoise Les Talents a, elle, mis en place un concours d’éloquence interuniversitaire. Quant à Me Jacques Mukonga, avocat d’affaires au barreau de Lubumbashi et, entre autres, premier prix du prestigieux concours d’art oratoire de la Conférence internationale des Barreaux (CIB), à Lausanne, en 2018, il a créé le « Concours d’éloquence Tshimbadi », à la faculté de droit de l’université de Lubumbashi (Unilu). Il orchestre également des « Procès d’histoire » dans le cadre de son association Congo-Culture et anime des débats dans son club Éloquence.

Tous sont partis du même constat : s’il y a certes quelques exceptions, la plupart des lycéens et étudiants ont du mal à bien écrire et à s’exprimer en public, en particulier les jeunes filles, souvent plus timides que les garçons. À l’appréhension de prendre la parole s’ajoute « la difficulté de concevoir, structurer et exprimer des idées de manière claire », précise Jacques Mukonga.

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Au cours des études secondaires et supérieures congolaises, y compris dans les facultés de droit, on apprend rarement l’art de la rhétorique. « Nous n’intégrons pas les techniques d’expression orale dans l’enseignement », confirme Tshela Mutay. S’il existe, ici et là, des initiatives pour former les jeunes à la prise de parole, elles sont ponctuelles et informelles. D’où l’idée de structurer l’enseignement de l’art oratoire à travers des concours. « C’est une manière d’obliger les jeunes à s’impliquer, en faisant l’effort de s’inscrire, et à persévérer, en s’efforçant de suivre toutes les étapes jusqu’à la finale », insiste Live Makufa, chargée d’administration à l’association Les Talents.

De plus en plus de candidats

La finalité de l’exercice diffère d’un concours à l’autre. Celui organisé par Les Talents vise à donner aux jeunes diplômés la possibilité de s’ouvrir au monde professionnel, de décrocher un travail, de se valoriser auprès d’un employeur ou de défendre un projet entrepreneurial. Le concours Tshimbadi – du nom d’un célèbre avocat du barreau de Lubumbashi –, qui compte déjà six éditions, doit permettre à un jeune avocat d’apprendre à mieux plaider. Le Concours féminin d’éloquence a quant à lui pour objectif de donner à des collégiennes et lycéennes « les outils de base » pour concevoir, organiser et exprimer une idée.

Les compétitions sont annoncées sur les réseaux sociaux, parfois par des spots promotionnels diffusés dans les médias audiovisuels. Les organisateurs sont également en contact avec les responsables des établissements scolaires, des universités et des associations culturelles étudiantes. Le bouche-à-oreille fait le reste. Au fil des années, le nombre de candidatures et de villes associées augmente. Ainsi, la première édition du concours de Tshela Mutay s’est déroulée à Kinshasa en 2020, la deuxième s’est tenue en 2021 à Lubumbashi, comme celle de mars 2022, qui a réuni une cinquantaine de lycéennes originaires de Kinshasa, de Lubumbashi et de Bunia (Ituri). Quant au nombre de candidats aux Talents, il est passé de 140 en 2021 à 180 cette année, où la compétition mobilisait des étudiants de Kinshasa, de Lubumbashi et de Kolwezi (Lualaba), issus d’une vingtaine d’universités. Deux nouvelles provinces devraient y être associées pour l’édition 2023.

Un socle commun de connaissances

Ces concours obéissent au même schéma. Avant la finale, chaque candidat doit franchir une série d’étapes, au cours desquelles il sera formé, coaché, jaugé, éventuellement éliminé. Entre l’inscription, la validation de la candidature et la proclamation des résultats, jusqu’à trois mois peuvent s’écouler. Parce qu’il n’y a point de rhétorique sans la maîtrise de l’écrit, la première étape de la compétition invite donc le candidat à lire, à effectuer des recherches pour se documenter sur le sujet proposé (généralement tiré au sort), à élargir sa culture générale et à faire preuve de sa capacité de démonstration, arguments à l’appui. « Il faut instaurer des habitudes de lecture », insiste Nelly Tshela.

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Vient ensuite la formation à la rhétorique proprement dite. Cours pratique, matériels didactiques sous forme de vidéos, de manuels et de livrets… Les coachs utilisent tous les supports pour arriver à leurs fins. Réputé maître en la matière, Jacques Mukonga a beaucoup écrit sur l’art oratoire. De même que Tshela Mutay, auteure du manuel Module expression orale. Apprendre à communiquer : une compétence vitale.

Les sujets proposés sont variés. Tshela Mutay, dont le concours se tient la première semaine de mars, en marge de la journée internationale des droits de la femme – « pour que mars ne soit pas seulement un mois pendant lequel les jeunes filles portent des pagnes, mais pendant lequel elles outillent leurs cerveaux » –, privilégie les sujets sur l’écologie, le respect de la nature et les sujets d’actualité. « Pour la 4e édition, je voudrais que les filles parlent des soft skills [capacité d’adaptation, créativité, autonomie…] », ajoute-t-elle. Les Talents, dont la compétition est également organisée en mars, font plancher leurs candidats sur des sujets généraux ou philosophiques comme « La liberté et le temps » ou « Doit-on se méfier des uns des autres ? »

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Bien évidemment, les lauréats sont primés. Les Talents propose quatre distinctions : or, argent, bronze et ishango – du nom de la localité congolaise où l’on a découvert des os, appelés « bâtons d’Ishango », considérés comme les ancêtres de la calculatrice. Les coachs et les jurys, composés de personnalités des milieux académiques, des affaires et du monde culturel (avocats, universitaires, chefs d’entreprise, etc.), sont eux-mêmes formés « afin que tous aient la même approche de l’art oratoire », précise Live Makufa.

Nécessaire débat contradictoire

L’art oratoire enseigné et favorisé par ces concours dépasse la seule dimension rhétorique. Outre apprendre à s’informer, concevoir, développer et exprimer une idée, c’est aussi l’apprentissage et l’acceptation du débat contradictoire qui sont en jeu. Chaque concours comporte en effet une étape où deux candidats s’affrontent sur un sujet, chacun défendant un point de vue.

Cette approche est particulièrement visible dans les Procès d’histoire qu’organise Congo-Culture. « Dans la littérature consacrée à des personnages historiques, certains livres sont à charge, d’autres plus nuancés sur le rôle qu’ils ont joué. Nous faisons revivre ces controverses dans nos procès. Nous avons mené les procès de Léopold II, de Mobutu, de Tshombe et de Lumumba », explique Jacques Mukonga. Et ce dernier d’insister : « Il est important de laisser vivre le débat contradictoire, de permettre aux gens de continuer à réfléchir, même si c’est difficile dans le contexte actuel, marqué par une tendance à la radicalisation des opinions. Ces concours sont au carrefour de nombreux enjeux sociaux. »

Est-ce ce besoin, parfois étouffé, de vrais débats, de liberté de parole et de tolérance qui explique le succès de ces concours ?  En tout cas, des initiatives du même genre naissent un peu partout : au grand séminaire Saint-Paul, on veut organiser un débat contradictoire ; dans certains lycées, les préfets demandent à être formés à la rhétorique ; et les vidéos sur les procès d’histoire sont très visionnées… À l’évidence, la demande est bien réelle. Reste à renforcer l’offre.

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