Maroc : Benkirane II, le retour des technocrates

Le remaniement du 10 octobre au Maroc a mis un terme à une crise gouvernementale qui aura duré six mois. Et marqué le retour en force du RNI et des technocrates.

Quinze nouveaux ministres ont fait leur entrée au gouvernement. © Ho/AFP

Quinze nouveaux ministres ont fait leur entrée au gouvernement. © Ho/AFP

Publié le 25 octobre 2013 Lecture : 6 minutes.

"Au travail !" C’est par cette injonction que le roi Mohammed VI a invité ses ministres à se remettre à l’ouvrage après la traditionnelle photo de famille qui a suivi le remaniement du 10 octobre. Quinze ministres ont fait leur entrée au gouvernement, d’autres ont changé de poste. De quoi clore un interminable feuilleton qui avait tourné à la telenovela. Cinq jours plus tard, la consigne du souverain était mise à exécution : un conseil de gouvernement pour présenter les grandes lignes de la loi de finances 2014, suivi d’un autre avec le roi pour en approuver le projet et enfin un dernier pour la mettre dans le circuit. "Il était temps de relancer la machine, se félicite le ministre Nabil Benabdallah. Nous devons faire preuve de responsabilité en ces temps de crise."

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Une négociation serrée

Entre le retrait de l’Istiqlal du gouvernement, et le remaniement ministériel, qui a fait la part belle au Rassemblement national des indépendants (RNI), la longue attente d’Abdelilah Benkirane aura duré six mois. Le Premier ministre a dû mettre beaucoup d’eau dans son thé pour constituer un nouveau cabinet. À l’arrivée, Benkirane, qui avait refusé le diktat du patron de l’Istiqlal Hamid Chabat sur le remaniement, a accepté un accord très favorable à Salaheddine Mezouar, chef de file du RNI, avec huit ministres. "Mezouar a obtenu bien plus que ce que nous avions demandé", note, mi-moqueur mi-amer, un istiqlalien. Depuis qu’il a fait voter le retrait de son parti, Hamid Chabat est devenu l’opposant le plus audible du Parti de la justice et du développement (PJD, islamiste), comme le montre la bataille féroce entre les deux formations lors d’une législative partielle à Moulay Yaacoub, le 3 octobre.

Réputé proche des milieux d’affaires, le RNI est un parti plutôt centriste. Son leader, Salaheddine Mezouar, avait constitué une alliance éphémère de huit partis (le "G8") contre les islamistes en novembre 2011. Les députés RNI n’ont cessé ensuite d’insister sur le faible rendement du gouvernement, notamment en matière économique. Une polémique a même opposé Mezouar et deux fortes têtes du PJD (le chef du groupe parlementaire Abdellah Bouanou et le député d’Oujda Abdelaziz Aftati) au sujet de primes croisées versées entre Mezouar, alors ministre des Finances, et Noureddine Bensouda, trésorier général du royaume. Des documents liés à ces primes, à première vue légales mais controversées, avaient alors fuité opportunément dans la presse favorable au PJD. L’affront est-il lavé ? Les deux hommes entendent aller de l’avant, mais la négociation, très dure, a certainement pâti de cet épisode.

Départ d’El Othmani : un coup dur pour le PJD

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Le cas Mezouar n’a pas été le plus simple à traiter. Le patron des bleus (c’est la couleur du RNI) a réclamé pour son parti un ministère des Finances de plein exercice, ce qui signifiait pour Benkirane de renoncer à Idriss Azami Idrissi, ministre délégué au Budget. Or Azami est l’oeil du PJD dans les finances du royaume. De tous les membres de la garde rapprochée de Benkirane, ce fonctionnaire plutôt discret est le seul connaisseur des arcanes du puissant ministère, puisqu’il y a accompli une grande partie de sa carrière. Ministre de l’Économie et des Finances de 2007 à 2012, Mezouar semblait tout indiqué pour succéder à Aziz Akhannouch, le ministre de l’Économie et des Finances par intérim nommé cet été par le roi. Pour l’anecdote, Akhannouch, ministre de l’Agriculture depuis 2007 sous la bannière du RNI, avait quitté le parti pour entrer dans le premier gouvernement Benkirane, en janvier 2012. Rejoindra-t-il son port d’attache ? "Le RNI ? Ils ne sont pas rancuniers", s’amuse un observateur avisé de la vie politique marocaine.

Face à la volonté de Benkirane de conserver Azami, Mezouar aurait alors sorti la carte du ministère des Affaires étrangères. À la tête de la diplomatie marocaine, le patron du RNI aura les coudées franches. En tout cas plus que son prédécesseur, Saadeddine El Othmani (PJD), cornaqué par un poids lourd de la diplomatie marocaine en la personne de Youssef Amrani. Mezouar sera épaulé par une ministre déléguée de son propre parti, Mbarka Bouaida (38 ans), une des figures montantes du RNI. Fille d’un entrepreneur sahraoui propriétaire de la société d’hydrocarbures Petrom, cette native de Guelmim a déjà été élue députée en 2007 et a siégé au conseil de la ville de Casablanca en 2009. Le départ de Saadeddine El Othmani est un coup dur pour le PJD, obligé de renoncer à la fois à un ministère important et à un de ses hommes forts. "Erreur de casting", selon les uns, El Othmani paie, pour d’autres, le fait d’avoir exprimé mezza-voce une ligne moins favorable au renversement du président égyptien, Mohamed Morsi. Ce psychiatre a rapidement déménagé ses effets personnels dans son nouveau cabinet de Rabat.

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Benkirane II marque le retour en force des technocrates. Pas seulement parce que le RNI est, de longue date, un parti très accueillant pour les hommes d’affaires et les têtes bien faites, mais aussi parce que des postes importants ont été attribués à des personnalités sans attaches partisanes (elles sont désormais 8 sur 39). Le ministre de l’Intérieur, Mohamed Hassad, retrouve ainsi le gouvernement, après avoir été ministre des Travaux publics sous le règne de Hassan II (1993-1995). Pur produit de la technocratie maroco-française (X, Ponts), Hassad a été PDG de la Royal Air Maroc. Non partisan, c’est un haut fonctionnaire qui a fait ses preuves dans la territoriale depuis 2001. Mohammed VI l’a nommé successivement wali [équivalent d’un préfet] de la province de Marrakech, puis à Tanger-Tétouan, deux régions que le "nouveau règne" a voulu dynamiser. En plus des questions sécuritaires, Hassad est attendu sur les élections communales, prévues en 2014.

Benkirane assume ses choix

Pour son prédécesseur, Mohand Laenser, il était difficile de cumuler la fonction avec son étiquette de secrétaire général du Mouvement populaire (MP). Il est maintenu au gouvernement, chargé de l’Urbanisme et de l’Aménagement du territoire. La nomination à l’Éducation nationale de Rachid Belmokhtar, qui a déjà rempli les mêmes fonctions sous Hassan II (de 1995 à 1998), confirme la volonté de Mohammed VI de ne pas laisser la réforme éducative à la merci des rivalités politiciennes. De là à voir la main du Palais derrière ces nominations… Abdelilah Benkirane dément vigoureusement. "Le roi ne m’a jamais imposé aucun nom, a déclaré le chef du gouvernement dans une interview aux chaînes de télévision Al Aoula et 2M. Au Maroc, il n’y a pas de cohabitation à la française. J’assume mes choix et mes décisions."

Le choix de Mohamed Boussaïd présente un autre visage de la technocratie marocaine. Le nouveau ministre de l’Économie et des Finances a en effet déjà été ministre sous la bannière du RNI. En 2004, il intégrait le gouvernement Jettou II… aux côtés d’un certain Salaheddine Mezouar. Après un passage au Tourisme, il a été nommé wali de région à Agadir (2010) et à Casablanca (2012). Il devra composer avec Idriss Azami Idrissi, l’oeil de la primature au Budget. Le projet de loi de Finances qu’il présente au Parlement est optimiste. Boussaïd pourra compter sur une collaboration plus immédiate de son collègue Moulay Hafid Elalamy, ministre de l’Industrie, du Commerce, de l’Investissement et de l’Économie numérique. PDG du holding Saham et ex-président de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), Elalamy est investi d’une mission clé : redonner le sourire au secteur privé. Ce patron charismatique s’est distingué ces dernières années par ses investissements audacieux, notamment en Afrique et dans la presse, et la création d’un concours MHE Jeunes Entrepreneurs. Au travail tout le monde, patrons compris !


Mbarka Bouaida est ministre déléguée
aux Affaires étrangères. © DR

Mesdames les ministres

Le premier gouvernement Benkirane comptait une seule femme, ce qui avait fait jaser. Aujourd’hui, elles sont six. L’unique élue du précédent cabinet, Bassima Hakkaoui, ministre de la Solidarité, de la Famille, de la Femme et du Développement social, est un cadre dirigeant du PJD et la figure de proue du combat des islamistes contre les féministes. Son profil avait déçu une partie de la société civile (associations des droits de l’homme, féministes) et de l’opposition parlementaire, fâchées en outre de constater une régression de la parité. À titre de comparaison, le premier gouvernement El Fassi comptait, en 2007, sept femmes. Cette fois, "tous les partis ont fait un effort", confie une source gouvernementale : Fatema Marouane (Artisanat) et Mbarka Bouaida (déléguée, Affaires étrangères) sont du RNI, Soumiya Benkhaldoun (déléguée, Enseignement supérieur) du PJD, Hakima El Hiti (déléguée, Environnement) du Mouvement populaire (MP) et Charafat Afilal (déléguée, Eau) du Parti du progrès et du socialisme (PPS).

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