Quinze ans, c’est assez !
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Béchir Ben Yahmed
Béchir Ben Yahmed a fondé Jeune Afrique le 17 octobre 1960 à Tunis. Il fut président-directeur général du groupe Jeune Afrique jusqu’à son décès, le 3 mai 2021.
Publié le 25 octobre 2013 Lecture : 4 minutes.
La gouvernance en Afrique. L’indice Mo-Ibrahim, qui en observe l’évolution depuis plus de dix ans, a donc présenté, le 13 octobre, son diagnostic pour 2013.
Il constate que le niveau global de cette gouvernance continue de s’améliorer d’année en année. Mais trop lentement et inégalement selon le pays ou la région du continent.
Les dix premiers pays du classement, mieux gouvernés que les quarante-deux autres, sont, à l’exception de l’Afrique du Sud (classée 5e), petits ou moyens par la population : Botswana (2e), Namibie (6e), Ghana (7e), Tunisie (8e), Lesotho (9e), Sénégal (10e).
Mais ce sont les îles africaines qui font meilleure figure : Maurice (1re), Cap-Vert (3e), Seychelles (4e), São Tomé-e-Príncipe (11e).
Et, notez-le : le peloton de tête rassemble les pays les plus démocratiques du continent !
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La Fondation Mo Ibrahim, qui publie cet indice, décerne, si elle trouve l’homme ou la femme qui en est vraiment digne, un prix annuel de bonne gouvernance. Il est attribué à un ancien chef d’État ou de gouvernement, élu démocratiquement et qui s’est signalé par sa bonne gouvernance (avant de quitter le pouvoir volontairement, au terme normal de son mandat tel que le définit la Constitution de son pays).
Très richement doté, ce prix créé en 2007 n’a pu être attribué qu’à trois reprises, les membres du jury n’ayant pu le décerner ni en 2009, ni en 2010, ni en 2012, faute de candidat méritant ; ils n’en ont pas trouvé non plus en 2013.
Dans les 52 pays pris en compte, pour un continent de plus de 1 milliard d’habitants, il ne s’est donc trouvé, au cours des cinq dernières années, à l’exception de Pedro Pires, ancien président du Cap-Vert, qui a été distingué en 2011, aucun chef d’État ou de gouvernement qui, ayant quitté ses fonctions au bon moment et en laissant l’empreinte d’un bon dirigeant, aura mérité le prix de la bonne gouvernance.
Le constat qu’il fait est accablant. Mais pourquoi en est-il ainsi et que faire pour que ça change ?
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La raison principale de ce triste état des choses ? Elle est dans le graphique ci-contre, qui révèle un mal africain : trop de présidents qui, faute de savoir quoi faire et où aller après avoir quitté le pouvoir, s’y incrustent.
Ce mal est africain, parce que sur les 19 présidents qui ont accédé au pouvoir au siècle dernier et s’y accrochent à ce jour, 14 – les trois quarts – sont africains !
Les 4 présidents en place depuis plus de trente ans sont tous africains ; 8 sur 10 de ceux qui ont accédé au pouvoir il y a plus de vingt ans le sont aussi !
L’usure du pouvoir ? Ils ne connaissent pas !
Et ils ne tiennent compte ni de l’âge moyen de leur population, inférieur à la longévité de leur pouvoir, ni des limites que leur imposent les Constitutions de leurs pays (limites qu’ils repoussent sans cesse !).
Comme moi, vous aurez remarqué, en outre, que les 5 présidents des autres continents qui rivalisent avec les nôtres en la matière sont tous des dictateurs avérés…
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Un dirigeant peut estimer, en son âme et conscience, que, même s’il est au pouvoir depuis plus de vingt ans, son départ créerait plus de problèmes qu’il n’en résoudrait.
L’exemple qui va se présenter d’ici peu est celui de Blaise Compaoré. Il n’a que 62 ans, mais occupe la fonction de président du Burkina depuis vingt-six ans et s’interroge sur l’opportunité de briguer en 2015 un autre (et ultime ?) mandat.
Idriss Déby Itno (63 ans et vingt-trois ans au pouvoir), Abdelaziz Bouteflika, Paul Kagamé, Denis Sassou Nguesso, entre autres, vont avoir à se poser la même question.
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Il y a une trentaine d’années déjà, deux présidents africains de gros calibre, Habib Bourguiba et Félix Houphouët-Boigny, avaient opté, "dans l’intérêt de leurs deux pays", pour "la présidence à vie" (en leur faveur). Ils avaient même traité de "déserteur" leur homologue Léopold Sédar Senghor lorsque celui-ci a quitté volontairement le pouvoir, en 1980, au profit d’Abdou Diouf, qu’il avait choisi et adoubé.
La fin de ces deux grands hommes, leur succession et l’histoire de leur pays, la Tunisie et la Côte d’Ivoire, ont montré qu’ils avaient tous les deux eu tort et que c’est "le déserteur" qui avait vu juste.
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Nous ne pouvons espérer guérir notre continent de ce mal africain qu’est l’excessive longévité au pouvoir d’un trop grand nombre de nos dirigeants si nous acceptons de le traiter au cas par cas, car c’est trompeur.
Il est établi qu’un homme, fût-il génial, ne peut présider aux destinées d’un pays plus de quinze ans sans être atteint par l’usure du pouvoir, qui en fait, progressivement, le jouet de son entourage.
Il faut donc une règle qui s’applique à tous et à tous les pays. Ce pourrait être la règle des quinze ans. Au-delà, même si cela ne se voit pas, le régime patine, tourne en rond, fait du surplace.
Quinze ans c’est assez ! Car, au-delà, c’est malsain : on entre dans une zone dangereuse et on court le risque que ça finisse mal.
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Le général de Gaulle, parti en 1969 au bon moment, avait dit : "Mieux vaut partir cinq ans trop tôt que cinq minutes trop tard." Règle appliquée par Nelson Mandela : il a cédé le pouvoir cinq ans trop tôt pour ne pas courir le risque d’y rester trop longtemps.
"La règle des quinze ans" devrait donc être la règle numéro un de la bonne gouvernance. Il me paraît nécessaire de l’établir comme une norme de décence : le maximum de temps qu’un homme ou une femme puisse décemment passer à la tête d’un pays qui se veut civilisé et se targue d’une bonne gouvernance.
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