Tunisie : islam, libertés, régime présidentiel… Ce qu’il faut retenir du projet de nouvelle Constitution

Le projet de nouvelle Constitution a été révélé le 30 juin dans la soirée. JA fait le point sur les principales évolutions de la – potentielle – future loi fondamentale tunisienne.

Manifestation du Front de salut national, opposé au président, à Tunis, le 19 juin 2022. © NOUREDDINE AHMED/Shutterstock/SIPA

Publié le 1 juillet 2022 Lecture : 4 minutes.

Conformément à ses engagements, le président Kaïs Saïed a fait publier au Journal officiel le projet de Constitution qu’il soumettra à référendum le 25 juillet. La mouture proposée est une refonte totale de la loi fondamentale, qui désormais porte essentiellement la vision du président.

La proposition issue des travaux effectués par l’Instance consultative mise en place n’a pas été prise en compte. « On a l’impression que c’était une mise en scène pour compenser l’absence de débat », estime un membre de Mourakiboune, organe indépendant de contrôle des élections.

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« Personne n’a demandé une autre Constitution. Au terme de la consultation nationale, les citoyens s’étaient prononcés pour un amendement du texte, mais Kaïs Saïed est passé outre », rappelle l’ancien député indépendant Hatem Mliki.

Depuis la remise par l’Instance consultative de sa proposition, le silence du palais présidentiel dix jours durant a entretenu toutes les spéculations. Le pays a retenu son souffle toute la journée du 30 juin, sans même que le contenu du projet de loi fondamentale soit connu, l’opinion étant d’ores et déjà divisée entre ceux qui soutiennent le projet de Kaïs Saïed et ceux qui sont opposés à la concentration des pouvoirs entre ses mains.

La Tunisie, pays de la Oumma islamique

Articulé en 8 chapitres sur 17 pages, le projet constitutionnel propose une refonte totale du système. Le texte est précédé d’un préambule qui revient sur les revendications de la révolution et fustige la gabegie de la gouvernance depuis 2011, un argument récurrent chez Kaïs Saïed.

Le préambule se réfère également « au passé glorieux d’un pays réformateur », mais fait débuter l’émancipation le 17 décembre 2010, date du début du soulèvement populaire qui provoquera la chute du régime Ben Ali. Le texte évoque « des réformes qui ont grandement échoué », dans les mêmes termes que la Constitution iranienne de 1978.

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Première évolution notable : Kaïs Saïed a choisi de rompre avec l’article 1 qui disposait que « la Tunisie est un État libre, indépendant et souverain, l’islam est sa religion », et qui entretenait une commode ambiguïté autour de la question de l’appartenance religieuse depuis l’indépendance.

Désormais, la Tunisie est considérée dans les articles 5,6 et 7 comme partie intégrante de la Oumma islamique, de la communauté arabe et du Grand Maghreb, une notion qui n’a plus cours depuis longtemps. Comme pour mieux ancrer le volet religieux, le texte indique que « l’État seul doit œuvrer à la concrétisation des finalités de l’islam, et il n’est plus fait mention du caractère civil de l’État », note le juriste Chokri Mamoghli. « Kaïs Saïed fait porter l’étendard de l’islam uniquement à l’État, les partis ne se mêleront plus de religion, mais il fonde un État religieux », analyse un constitutionnaliste.

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Concentration des pouvoirs

Quelques heures avant la publication du texte, le politologue Hamadi Redissi craignait « qu’un régime présidentiel du point de vue constitutionnel ne soit une dictature individuelle du point de vue politique ». Kaïs Saïed est allé plus loin et propose aux Tunisiens une loi fondamentale qui le rendrait, en pratique, quasiment intouchable.

Il est la clef de voûte de tout le système, dont il orchestre les tâches. Le gouvernement est une instance qui lui obéit à lui seul et qui n’a pas à répondre de son action devant des parties tierces. L’Assemblée n’a plus aucun pouvoir et ne peut exercer le retrait de confiance, ni exiger une reddition des comptes, d’autant que la création d’un Conseil national régional et territorial consacre le système de gouvernance par la base cher à Kaïs Saïed.

« L’exécutif contrôle le législatif, il n’y a plus de séparation des pouvoirs », déplore l’ancien député Mondher Belhaj Ali. Le nouveau texte réduit le pouvoir judiciaire à une fonction et exclut la possibilité pour les juges de faire grève. La prise de contrôle concerne aussi la Cour constitutionnelle, où siègeront des magistrats, curieusement experts en droit public, désignés par le président.

Le chapitre 3 et les articles de 81 à 85 définissent le rôle de l’Assemblée et celui du Conseil national régional qui, selon l’article 85, a « une fonction de contrôle sur la mise en œuvre du budget et des plans de développement ». Dans tous les cas, « la loi réglemente les interactions entre l’Assemblée des représentants du peuple et le Conseil national régional et territorial ». Le chapitre 4, relatif à la fonction exécutive, énumère, sur près de 25 articles, les prérogatives très étendues du président et cadre, dans les articles 101 et 102, ses relations avec le gouvernement qu’il désigne et qui doit lui rendre des comptes.

Moins d’un mois pour décider

Les instances constitutionnelles ne sont pas reconduites : exit la Haica, régulateur de l’audiovisuel, l’Instance anticorruption et celle contre la torture. Seule l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie) est mentionnée dans le projet de Constitution.

Les inquiétudes portaient également sur les libertés et le statut de la femme. Les principes d’égalité semblent être reconduits sans être explicités, tout comme l’exercice des libertés individuelles, qui reste néanmoins encadré par un code de moralité dont on ignore le contenu.

Un élément qui ajoute à la perplexité, alors que le président affirme que les mesures transitoires et l’état d’exception resteront en vigueur jusqu’aux législatives du 17 décembre 2022. « Des législatives pourquoi et avec qui ? », s’interroge un soutien de Kaïs Saïed qui déchante, tandis que sur les réseaux sociaux, un mouvement d’opposition au projet prend forme et appelle à voter « Non » au référendum du 25 juillet 2022. Il reste moins d’un mois aux Tunisiens pour analyser le texte et choisir, ou non, de l’adopter.

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