Maroc : le retour itinérant du Festival Gnaoua
Après deux ans de silence forcé en raison de la pandémie, le public marocain a pu retrouver les rythmes traditionnels du désormais célèbre Festival Gnaoua et musiques du monde. Renommé pour l’occasion Gnaoua Festival Tour, le circuit musical est passé par Essaouira, Marrakech, Casablanca et Rabat.
« On vous a manqué hein ? Deux ans c’était long, n’est-ce pas ? » Ainsi s’adresse au public – rassemblé pour l’occasion sur l’esplanade du stade Mohammed-V – le joueur de guembri (guitare à trois cordes) Mehdi Nassouli. En cette soirée du 17 juin, les Casaouis assistent sur leurs terres à une édition inédite du Festival Gnaoua et musiques du monde d’Essaouira. Les restrictions sanitaires exigeant des jauges réduites, cette 23e cuvée est marquée sous le sceau de l’itinérance. Ne se réservant pas au seul public souiri (nom des habitants d’Essaouira), la caravane musicale a sillonné le royaume du 3 au 24 juin pour aller à la rencontre d’un peuple féru de cette tradition ancestrale.
Transe des musiciens
Une heure avant le début du show, jeunes et moins jeunes, visages locaux et occidentaux attendent fébrilement l’ouverture des barrières permettant d’accéder au parvis de l’enceinte. Une fois l’accès autorisé par le service d’ordre, les spectateurs investissent calmement l’espace et attendent l’arrivée du célèbre maâlem (maître-chanteur) Abderrahim Oughassal. Comment le public de la ville blanche accueillera-t-il cet évènement, d’ordinaire dévolu à la place Moulay-el-Hassan d’Essaouira ?
Après un début timide, l’assistance se laisse entraîner par la transe du vieil homme et de ses jeunes compagnons. Tel un chef qui mène ses troupes, il emporte ses ouailles et le public, qui se lâche enfin. Les quelque centaines de personnes présentes tapent dans leurs mains, accompagnant la transe des musiciens qui jouent convulsivement de leurs qarqab (cymbales-castagnettes caractéristiques de la musique tagnaouite). Créé par des descendants d’esclaves subsahariens réunis dans des confréries musulmanes, le gnaoua accorde un rôle primordial à la transe. Et ce soir, grâce au rythme saccadé et frénétique de la prestation scénique, on comprend ce que recèle ce terme.
Concert-fusion
Mais la recette qui fait le succès du festival depuis 1998 vient après : le concert-fusion. Une prestation qui associe sonorités traditionnelles et artistes internationaux. Ce soir-là, le trio Assala le matérialise avec brio. Composé du pianiste israélien Omri Mor, de Mehdi Nassouli et de Karim Ziad, ex-batteur de la star du raï Cheb Mami, le trio alterne entre cadence tagnaouite, folk et blues. Là est la particularité de ce rendez-vous : arriver à mêler des rythmes modernes avec la musique traditionnelle marocaine. Parvenir à marier la virtuosité du pianiste Omri Mor avec le talent de Mehdi Nassouli, sans que cela soit anachronique. Leur complicité saute aux yeux.
Dans chaque ville le public est venu en masse et cela démontre encore une fois la vitalité de la culture gnaouie
Les trois hommes sont rapidement rejoints par Ismaïl Rahil, le maâlem régional de l’étape. Parmi les maîtres gnaouas présents ce soir, c’est lui qui l’emporte à l’« applaudimètre ». Ses refrains sont connus de l’assistance et le lien avec le public est indéniable. À son contact, on croit par moment entendre le trio Assala amorcer des prémisses d’une chanson de Marvin Gaye ou d’Elvis Presley, mais les rythmes marocains qu’il apporte viennent s’y mêler en toute harmonie, comme une agréable piqûre de rappel du savoir-faire et de l’authenticité marocaine.
Surprise de la soirée, l’irruption de la franco-marocaine Hindi Zahra, lauréate d’une Victoire de la musique dans la catégorie « Album de musique du monde » en 2011, est venue ajouter une touche à la fois arabe, gitane et indienne s’incorporant parfaitement dans le ton mystico-festif de la soirée. La veille, sur cette même scène, la star du gnaoua Hassan Boussou était venu donner le ton, accompagné de la jeune Soukaina Fahsi et du batteur français Cyril Atef. Le public bédaoui a apprécié, et il n’a pas été le premier.
Jauge réduite
Les 3 et 4 juin, Essaouira avait réuni 50 000 spectateurs lors de la première étape de ce parcours artistique. En marge de l’évènement, Karim Ziad a expliqué à la presse marocaine que le « but était d’organiser une édition où le public ne soit pas aussi nombreux que les éditions précédentes. » Chaque année, ce sont en moyenne 300 000 spectateurs qui s’amassent à Essaouira, la perle de l’Atlantique. Le 10, c’était au tour de Marrakech d’être conquis. Comme celui de Casablanca, le public de la ville ocre a vu à l’œuvre l’ensorcelante Hindi Zahra.
Ces rendez-vous réussis ont donné du fil à retordre aux organisateurs. « Cela a été un véritable challenge en termes d’organisation. Nous avons tout réalisé en trois mois, poursuit Tazi. La recherche de financements, de sponsors et de partenaires, la programmation, le repérage des lieux, les dispositifs techniques qui ont été multipliés par quatre, la politique tarifaire, la communication… L’événement que nous organisons habituellement sur quatre jours à Essaouira dure cette année trois semaines ! » L’année prochaine, le festival devrait retrouver ses quartiers place Moulay-el-Hassan, à Essaouira. C’est, du moins, ce qui est prévu…
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