Le roi et le journaliste
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François Soudan
Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.
Publié le 14 octobre 2013 Lecture : 2 minutes.
Ali Anouzla. Cela va faire un mois que ce journaliste marocain, directeur du site d’information Lakome, est détenu à la prison de Salé en attendant son éventuel jugement. Chef d’inculpation : "apologie du terrorisme, incitation à l’exécution d’actes terroristes". Motif : avoir publié un lien renvoyant à une vidéo d’Al-Qaïda appelant au jihad au Maroc – en d’autres termes, au régicide – sur fond nauséeux d’homophobie. Autant le dire tout de suite : notre site, jeuneafrique.com, comme beaucoup d’autres, s’est toujours gardé de relayer ce type de message exhortant à la violence terroriste. On connaît l’impact létal que peut avoir la diffusion de telles images, a fortiori au Maroc, où une demi-douzaine de cellules jihadistes ont été démantelées depuis un an, cent vingt depuis une décennie. Ali Anouzla, lui, a choisi de s’abstraire de cette responsabilité de façon détournée, en connectant ses visiteurs au site d’un quotidien espagnol certes respectable, El País, mais dont le tropisme à l’encontre du régime marocain obscurcit parfois le jugement – nul n’a oublié sa couverture des événements de Gdaïm Izik, au Sahara occidental, il y a trois ans, illustrées de photos d’enfants palestiniens blessés… à Gaza – et qui n’a eu aucune hésitation à se faire le vecteur de la propagande d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi).
Reste qu’afficher son désaccord avec cette initiative et critiquer les méthodes de Lakome ne valent pas approbation de l’incarcération de son directeur. La jurisprudence en vigueur dans tout État de droit veut qu’un journaliste, s’il est évidemment un justiciable comme les autres, donc susceptible d’être poursuivi et au besoin condamné, n’aille pas en prison pour un délit de presse. En outre, comme on le sait, embastiller un journaliste est tout aussi contre-productif, en termes d’image, pour qui en donne l’ordre que productif, en termes de notoriété, pour celui qui se voit ipso facto propulsé au rang de martyr de la liberté d’expression.
Du coup, le nécessaire débat de fond sur ce qu’il est possible d’écrire et de diffuser dans le cadre d’affaires aussi délicates que celle-là – relayer une vidéo d’Al-Qaïda appelant au terrorisme fait-il de celui qui s’y livre le complice d’une apologie de crimes de guerre ? – passe à la trappe. Il n’est plus question d’éthique et de déontologie, encore moins des motivations d’un homme passé du conformisme makhzéno-compatible de la presse saoudienne au journalisme débridé des févriéristes à la suite d’un accident de parcours professionnel, mais de pénal et de punition pour l’exemple.
Certes, le "cas" Anouzla n’émeut guère au Maroc au-delà du cercle restreint de la société civile politisée. Mais on sait cette dernière active sur la Toile, audible auprès des chancelleries et des médias occidentaux et surtout inspirée, si ce n’est organisée, par des leaders d’opinion dont l’objectif affiché est de contraindre le roi Mohammed VI à revêtir les étroits habits constitutionnels d’un Juan Carlos d’Espagne ou d’un Philippe de Belgique. Eux font flèche de tout bois, sans se préoccuper des conséquences dans un pays aussi complexe et fragile que celui-là. Pourquoi leur donner des munitions supplémentaires ?
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