Le retour des enfants prodigues
Ils ont grandi à l’étranger, appartiennent à l’élite et sont de plus en plus nombreux à rentrer pour créer ou développer leur activité.
Ghana : la démocratie à l’épreuve
«Ici, il y a tellement de choses à faire. Tout est nouveau, à construire. » Attablée à la terrasse d’un café dans un quartier chic d’Accra, Kissy Agyeman-Togobo, 37 ans, est enthousiaste. Née au Royaume-Uni, elle a grandi à Londres où elle a commencé sa carrière avant de revenir au Ghana, que ses parents avaient quitté dans les années 1960. « L’idée a germé en 2009. C’était le début de la crise en Europe et je me suis rendu compte que bon nombre d’options se présentaient, en revanche, sur le continent. » Elle décide alors de créer une société de conseil pour les entreprises étrangères souhaitant s’implanter en Afrique de l’Ouest et s’installe avec son mari, en février 2012, dans la banlieue d’Accra. Un cas de figure qui se fait de plus en plus fréquent.
Cette année, les autorités ghanéennes et les associations d’aide aux « migrants du retour » ont enregistré un record de demandes de la part de membres de la diaspora qui se renseignent pour revenir au Ghana. Le phénomène a pris une telle ampleur que les returnees, comme on les surnomme, devraient bientôt faire l’objet d’une série télévisée. Ils s’installent dans les quartiers résidentiels prisés d’Accra, intègrent les multinationales, les agences de services ou créent leur entreprise, et viennent grossir les rangs des classes moyennes et supérieures. Souvent, la décision de rentrer répond à l’amenuisement de perspectives en Europe. « Beaucoup appartiennent à l’élite et ont compris qu’ils ne pourraient jamais avoir d’aussi bons postes que chez eux », explique Afua Hirsch, correspondante en Afrique de l’Ouest pour le quotidien britannique The Guardian, et elle-même returnee.
Revenir au pays : pas si facile
Il faut dire que, avec une moyenne de croissance de 10 % entre 2010 et 2012 et une stabilité politique désormais exemplaire, le Ghana a de quoi attirer. « Nos parents ont quitté un pays en proie aux coups d’État. Cette époque est révolue. Aujourd’hui, c’est ici qu’il faut être. Il s’agit d’une prise de conscience collective », explique Andrew Tumi, 41 ans, chanteur.
Pourtant, le retour est souvent laborieux. « Il faut s’adapter à un environnement différent et être ouvert. On arrive excité, avec la conviction que l’on va pouvoir tout changer. Mais la réalité est différente », explique Kissy Agyeman. Un sentiment que partage Jules Acheampong, entrepreneur de 35 ans, revenu à Accra en 2010 : « J’ai sous-estimé le temps et les efforts qu’il faut faire pour s’adapter. Les premiers mois, j’étais optimiste. J’ai commencé à me poser des questions au bout d’un an et demi. Quand on vient de l’Occident, le Ghana n’est pas un endroit facile à vivre : il y a beaucoup de stress, toujours quelque chose qui ne fonctionne pas et, y faire du business est compliqué. » Beaucoup s’aperçoivent aussi qu’ils ne sont pas totalement chez eux. « On parle, on s’habille différemment », explique Kissy Agyeman. « La différence culturelle est importante, confirme Andrew Tumi. Mon retour m’a fait me poser des questions sur mon identité… et comprendre que je suis africain-européen. »
L’impact de ces milliers de retours sur l’économie n’est pas encore chiffré mais, les autorités font tout pour les faciliter. Une unité de soutien, la Diaspora Support Unit (DSU), a été créée en 2011 pour accompagner les returnees dans leurs démarches. Certains en tirent profit, comme la Ghana School of Law. Parmi les membres de la diaspora qui décident de rentrer, on trouve beaucoup d’avocats, établis à Londres. Or, pour être autorisés à pratiquer au Ghana, ils doivent suivre une formation. Initialement, celle-ci coûtait 3 600 euros. Cette année, l’établissement a fait passer ses tarifs à près de 12 000 euros.
Kissy Agyeman-Togobo
© Charles Acheampong pour J.A.
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