Le modèle démocratique ghanéen à l’épreuve
Ni le décès du chef de l’État John Atta Mills, en décembre 2012, ni la contestation des résultats de la présidentielle n’ont déstabilisé le pays. Mieux, le modèle ghanéen sort grandi de cette année de tous les dangers.
Ghana : la démocratie à l’épreuve
Le siège de la Cour suprême est un long bâtiment victorien recouvert de blanc immaculé. Une institution d’inspiration britannique plantée en plein coeur d’Accra. Pendant plus de huit mois, elle a rythmé la vie de toute une nation, nourri les pages des journaux et les discussions. C’est devant cette juridiction, la plus haute du pays, que Nana Akufo-Addo, candidat du Nouveau Parti patriotique (NPP), a contesté les résultats de l’élection présidentielle de décembre 2012. La Commission électorale avait donné John Dramani Mahama vainqueur dès le premier tour avec 50,7 % des suffrages exprimés, contre 47,7 % pour Akufo-Addo. Mais le NPP estimait que les chiffres produits par la commission électorale différaient de ceux constatés dans les bureaux de vote par ses agents. Une première dans l’histoire du Ghana. "Le procès du siècle, raconte Thomas Pappoe, journaliste à la chaîne de télévision GTV3. On n’avait jamais vu ça."
Le 29 août, la victoire de John Mahama a finalement été validée. Quelques heures plus tard, Nana Akufo-Addo l’appelait pour le féliciter. "Cette expérience a indéniablement renforcé notre démocratie. En acceptant le verdict de la cour, nos leaders ont respecté l’État de droit", analyse Franklin Cudjoe, président du think tank Imani. En optant pour la voie légale, Nana Akufo-Addo a réussi à contenir l’aile radicale du NPP. "Il a presque agi en homme d’État. C’est un juriste, il fait partie de ces dirigeants qui ont connu la période difficile des années 1970-1980", commente un observateur. Si des manifestations ont été organisées pendant une semaine après l’annonce des résultats, aucun incident notable n’a été signalé.
La gestion du contentieux électoral a considérablement renforcé l’autorité et la légitimité de la Cour suprême. Nommés par l’ancien président John Kufuor, les neuf juges qui la composent ont su jouer leur rôle d’arbitre entre le jeu constitutionnel et le jeu politique. D’abord parce qu’ils ont réussi à convaincre les deux parties de l’impartialité de leur jugement. "La Cour a permis l’égalité de traitement, c’est pour cela que sa décision a été acceptée", admet Gabby Otchere-Darko, l’un des avocats du NPP. Bien que soumis à une énorme pression, les juges ont accordé beaucoup de temps aux deux parties pour qu’elles puissent exposer leurs griefs. Les neuf avocats du demandeur, le NPP, ont ouvert le bal, suivis des trois défendeurs : le président Mahama, le Congrès national démocratique (NDC, son parti) et la Commission électorale. Très anglo-saxon, ce long processus des hearings a eu un effet thérapeutique et a calmé les esprits.
Suivies par des millions de Ghanéens, les audiences de la Cour étaient retransmises en direct à la télévision.
Autre nouveauté : les audiences de la Cour étaient retransmises en direct à la télévision. Suivies par des millions de Ghanéens, elles ont permis de donner un sens concret au travail de la vieille institution et un éclairage pédagogique au contentieux électoral. "Pour la première fois, les gens ont pu voir en quoi consistait le travail de ces personnes intouchables", estime Kwabena Mensah, journaliste indépendant.
Des failles dans le système
Le travail de la Cour suprême a cependant pointé du doigt les failles du système. Il a été établi qu’un grand nombre d’erreurs ont été commises : feuilles d’émargement mal remplies, mauvais comptages, nombre d’électeurs trop élevés dans certains bureaux de vote, etc. "La Cour a jugé que ces erreurs, bien qu’avérées, n’avaient pas eu d’impact sur le résultat du scrutin. Mais dans un pays qui compte seulement 11 millions de votants, c’est déjà trop !" peste Gabby Otchere-Darko. Ces dysfonctionnements sont liés au manque de préparation et de réactivité de la Commission électorale : dans les mois qui ont précédé le scrutin, des circonscriptions ont été ajoutées, de nouvelles lois électorales votées et le vote électronique a été mis en place.
Lors de certaines audiences, les juges de la Cour suprême ont tenu à rappeler les dirigeants politiques et médiatiques à leurs responsabilités. Début juillet, ils ont même condamné un membre de l’équipe de communication du NDC ainsi que le rédacteur en chef d’un journal proche du NPP à treize jours de prison. Le premier pour avoir déclaré que son parti n’accepterait pas le verdict s’il n’était pas en sa faveur, le second pour avoir critiqué de manière trop véhémente le travail des juges.
Le débat est toujours aussi vif et la campagne a été d’une rare violence verbale.
Si d’aucuns ont qualifié ces sentences de "liberticides", la plupart des analystes espèrent qu’elles permettront d’assainir l’atmosphère. "Elle ne sera plus la même", assure Nana Opoku Acheampong, un homme d’affaires proche du NDC. Car le débat est toujours aussi vif et la campagne a été d’une rare violence verbale. "Il faut que la liberté de la presse soit encadrée, estime un journaliste. Trop de médias sont tenus par des partis politiques." Et un diplomate en poste à Accra de conclure : "La décision de la Cour a valeur d’avertissement pour tous les acteurs de la vie politique. Le message est qu’il y a beaucoup de choses à revoir."
Une chose est sûre, la fin du "procès du siècle" arrive à point nommé. Car depuis le décès du président John Atta Mills, en juillet 2012, le pays vivait dans l’attente. La transition politique s’est déroulée sans accroc. Mais Mahama, vice-président d’Atta Mills, avait dû assurer l’intérim, s’imposer à la tête de son parti, puis mener une éprouvante campagne. Depuis son investiture en janvier, les décisions importantes ont été retardées, ce qui commençait à peser sur les activités économiques, notamment pétrolières.
Garde-fous bien ordonnés
Franklin Cudjoe, 36 ans, dort peu. Président-fondateur du think tank ghanéen Imani, invité quotidiennement à s’exprimer dans les médias, il termine sa thèse d’économie à l’université de Buckingham, au Royaume-Uni. Très actifs et influents, les 11 salariés de son organisation publient des rapports critiques sur la situation économique du pays et tentent d’évaluer tous les projets du gouvernement. "Notre but est de forcer les décideurs politiques et économiques à rendre des comptes", explique-t-il, déplorant le comportement parfois agressif à leur égard d’une partie d’entre eux. Au Ghana, il existe une dizaine de structures bien organisées comme Imani. Les plus connues sont l’Institut de gouvernance démocratique (Ideg), le Centre pour le développement démocratique (CDD), l’antenne africaine du Third World Network, dirigée par Yao Graham, et l’Institut des affaires économiques (IEA), qui a organisé les trois débats télévisés lors de la dernière campagne présidentielle. Très dynamiques également, nombre d’associations, de réseaux et d’organismes sont présents dans les grandes villes du Ghana. C’est le cas du Forum socialiste ghanéen, dirigé par l’activiste Kwesi Pratt, à Accra. L’ancien cadre du Parti de la convention du peuple (CPP, le parti fondé par Kwame Nkrumah, père de l’indépendance et premier président du pays), y anime de sa voix rauque des réunions-débats au cours desquelles sont décryptées les questions d’actualité. On dit même que le président Mahama y avait, il y a quelques années, ses habitudes.
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