Qudus Onikeku, acrobate sans frontières

De tradition yorouba, Qudus Onikeku revendique les influences du hip-hop, de la capoeira ou encore du taï-chi. Et s’affranchit de tous les codes artistiques.

« Comment se réancrer dans nos cultures d’origine et dialoguer avec le monde ? » © Christophe Lebedinsky/J.A.

« Comment se réancrer dans nos cultures d’origine et dialoguer avec le monde ? » © Christophe Lebedinsky/J.A.

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Publié le 14 octobre 2013 Lecture : 4 minutes.

Interprète pour des grands noms de la danse contemporaine tels Sidi Larbi Cherkaoui, Heddy Maalem, Boris Charmatz ou encore Jean-Claude Gallotta, primé en 2010 lors de la biennale Danse, l’Afrique danse ! à Bamako, distingué en 2012 par la Société française des auteurs et compositeurs dramatiques, programmé lors de la dernière édition du Festival d’Avignon… À 29 ans, Qudus Onikeku a une carrière déjà bien remplie. À la fois sûr de lui et hésitant, ambitieux et sans cesse en questionnement, cet artiste nigérian a entrepris un riche dialogue entre l’ici et l’ailleurs, soi et l’autre.

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Né en 1984 au coeur de la tumultueuse capitale économique du Nigeria, Lagos, Qudus Onikeku a le voyage chevillé au corps ; ce qui l’amène à se situer davantage aux frontières qu’au centre d’un territoire bien défini. Cet ancien acrobate autodidacte a d’abord été formé au sein des Ballets du Nigeria avant d’aller chercher du côté du contemporain de quoi briser les gestes répétitifs du traditionnel. Adolescent, il intègre une compagnie basée à Ibadan, Alajota, avec laquelle il se produit à l’étranger (Madagascar, Croatie…). « Dès le début, la danse et le voyage allaient ensemble pour moi », explique-t-il aujourd’hui. En 2002, il rencontre Heddy Maalem, venu retrouver au Nigeria les énergies de son continent natal. Le chorégraphe français est alors intrigué par un jeune danseur « un peu timide mais audacieux », qui veut travailler avec lui. Il lui proposera l’année suivante d’intégrer sa compagnie. Qudus Onikeku devient ainsi l’un des interprètes du Sacre du printemps monté avec quatorze interprètes d’Afrique de l’Ouest. Cette pièce conçue par Maalem pour « bousculer le regard des Occidentaux sur le corps noir » connaît un succès international, et, à 18 ans, le Nigérian repart sur les routes.

Désireux d’améliorer sa technique, il cherche à se former. Mais, rebuté par l’académisme des écoles françaises de danse et toujours aussi curieux, il préfère se tourner vers l’acrobatie et intègre le Centre national des arts du cirque de Châlons-en-Champagne (nord-est de la France). Influencé par le hip-hop et la capoeira, Qudus Onikeku a su s’affranchir des codes artistiques de toutes ces disciplines et composer un savant mélange alliant puissance et finesse. Athlétique, robuste, dynamique, sa danse est aussi fragile, tout en émotion. « Il faut la regarder attentivement, conseille Heddy Maalem. Elle est profondément africaine et le fruit de bien des influences, mais elle est avant tout le geste sensible et intelligent d’un homme libre. »

Les festivaliers d’Avignon l’ont découvert dans Qaddish, une pièce voulue par le jeune homme comme un hommage à son père, âgé de 80 ans. Et comme un retour à son identité yorouba. Car après tant de déplacements et de décentrements, Qudus Onikeku s’est demandé « comment se réancrer dans nos cultures d’origine et dialoguer avec le monde ». Pour ce faire, cet inlassable explorateur a entrepris une sorte de pèlerinage. En compagnie de son père, il s’est rendu pour la première fois dans le village natal de ce dernier, Abeokuta. Interrogeant la mémoire familiale, Qudus Onikeku s’est confronté à l’histoire de son pays. « Mon grand-père a vu les colons arriver. Mon père est né sous la colonisation. À son époque, parler yorouba, être yorouba, ce n’était pas chic. Il fallait parler anglais. Entreprendre ce voyage avec mon père lui a permis de revenir à sa propre culture et d’en être fier », confie le chorégraphe, qui a poursuivi son chemin jusqu’en Malaisie et aux États-Unis, où des résidences d’artiste lui ont permis de poursuivre la création de Qaddish.

S’il est vrai que l’on se découvre à travers le regard de l’autre, il faut d’abord se connaître pour voir ce qui nous différencie justement de lui.

En Asie, il a découvert le taï-chi, dans lequel il a « retrouvé et mieux compris des éléments qui composent la danse traditionnelle africaine ». « S’il est vrai que l’on se découvre à travers le regard de l’autre, il faut d’abord se connaître pour voir ce qui nous différencie justement de lui. La culture yorouba nous enseigne comment se mêler à l’autre sans se perdre », précise-t-il, philosophe. Pour transmettre cet enseignement, Qudus Onikeku a choisi le sublime Kaddish de Maurice Ravel. « Le terme « kaddish », qui désigne la prière juive des morts, signifie « saint », mot qui, en arabe, se dit qudus », précise ce musulman pratiquant qui voit, avec consternation, son pays ensanglanté par la barbarie fanatique de Boko Haram. Et pour qui il est important de rappeler que « le kaddish a la même signification que le Notre Père dans la liturgie catholique et que la fatiha musulmane ». « Qudus a les pieds bien campés dans notre monde en y assumant une origine et un authentique engagement spirituel, confirme Heddy Maalem. En ce sens, il est une conscience africaine. »

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Par Séverine Kodjo-Grandvaux

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