Soudan : Omar el-Béchir, envers et contre tous

Les manifestants veulent le chasser du pouvoir, Omar El-Béchir le sait. Il sait aussi que rien ne va plus depuis la sécession du Sud et qu’il est contesté jusque dans les rangs de son propre parti… Mais il s’accroche !

Khartoum, le 3 septembre. Omar El-Béchir vit dans la peur et change de domicile toutes les nuits. © Ashraf shazly/AFP

Khartoum, le 3 septembre. Omar El-Béchir vit dans la peur et change de domicile toutes les nuits. © Ashraf shazly/AFP

Christophe Boisbouvier

Publié le 14 octobre 2013 Lecture : 5 minutes.

Omar el-Béchir ne dort plus tranquille. Par deux fois, en 1964 et en 1985, les manifestants de Khartoum ont fait tomber le régime en place. Depuis le 23 septembre, le président soudanais vit dans la peur d’une troisième révolution et multiplie les précautions. Déjà, avant la crise, il logeait prudemment dans une villa mitoyenne du haut commandement militaire, non loin de l’aéroport. Aujourd’hui, il change de domicile toutes les nuits. Et ses gardes du corps sont soigneusement choisis par le général Bakri Hassan Saleh, son vieux frère d’armes, devenu le tout-puissant ministre des Affaires présidentielles.

Surtout, El-Béchir confie la répression des manifestants aux éléments les plus durs de son régime, les miliciens du National Intelligence and Security Services (NISS). Véritable armée dans l’armée, ce service de sécurité dirigé en sous-main par Nafié Ali Nafié, l’un des durs du régime, s’est doté d’une unité de choc de 3 000 hommes, qui se déplacent en hélicoptère ou en 4×4 et peuvent s’infiltrer en civil dans les quartiers de Khartoum. Ont-ils mis le feu à des stations-service pour jeter le discrédit sur l’opposition ? En tout cas, ils ont l’autorisation de tirer à balles réelles. Le 2 octobre, la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH) a publié un terrible bilan : au moins 170 personnes tuées et plusieurs cas d’exécutions sommaires. La terreur règne sur Khartoum.

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Jusqu’à présent, Omar el-Béchir gouvernait par un savant mélange de force et de séduction. Certes, en juin 1989, l’officier parachutiste était arrivé au pouvoir par un coup d’État. Mais, en partageant ce pouvoir avec les islamistes, il avait eu l’habileté de donner à son régime une légitimité spirituelle. Et après le boom pétrolier de l’an 2000, il avait su répartir les revenus de l’or noir entre les trois grandes tribus arabes des rives du Nil qui constituent le socle de son pouvoir, les Danagla, les Jaaliyyine et les Chayqiyya. Ces dernières années avait surgi une nouvelle génération d’hommes d’affaires qui circulaient entre Khartoum et le Golfe. En février 2011, au plus fort du Printemps arabe, seuls les étudiants étaient descendus dans la rue. La nouvelle classe moyenne de la capitale s’accommodait fort bien du régime.

Le problème, c’est que, depuis l’indépendance du Soudan du Sud, en juillet 2011, plus rien ne va. Avec cette sécession, le régime de Khartoum a perdu les trois quarts de ses puits de pétrole. Surtout, il n’a pas anticipé cette perte de revenus par une politique de développement agricole et industriel. Pris à la gorge, le gouvernement a mis fin brutalement aux subventions sur le carburant. Du jour au lendemain, les Soudanais ont vu le prix du gallon d’essence passer de 12,50 livres à 20,80 livres ! Avec bien sûr une réaction en chaîne sur les prix de tous les produits de base. Dans les quartiers populaires d’Omdurman, la ville jumelle de Khartoum sur la rive gauche du Nil, mais aussi dans les quartiers résidentiels de la capitale, Burri, Nasir et Riyad, des milliers d’hommes et de femmes ont envahi les rues aux cris de "We don’t want Bashir !" ("Nous ne voulons plus d’El-Béchir !"). Derrière cette révolte sans précédent, c’est toute une classe moyenne qui joue sa survie.

Salah Sanhouri Mudathir, le martyr

Le 1er octobre, lors d’une cérémonie de remise de diplômes à des militaires, le chef de l’État soudanais a affirmé que c’était "une conspiration menée par des saboteurs" – sous-entendu par les rebelles du Darfour et du Kordofan du Sud. De fait, il y a deux ans, les quatre principaux mouvements armés de l’ouest et du sud du pays se sont réunis en un Front révolutionnaire du Soudan (FRS) "pour renverser le régime d’El-Béchir". Mais ces derniers jours, les jeunes qui ont défilé dans les rues de Khartoum et de Wad Madani étaient, pour beaucoup, des Arabes de la région du fleuve. Le 27 septembre, dans le quartier de Burri, à Khartoum, un pharmacien de 28 ans a été tué d’une balle dans le dos pendant une manifestation pacifique. Salah Sanhouri Mudathir appartenait à une grande famille d’entrepreneurs arabes qui avait fait fortune à Abou Dhabi. Le lendemain, des milliers de jeunes ont participé à son enterrement. L’un d’eux a twitté : "Salah, tu es un symbole de liberté et ta mort pourrait marquer la fin de vingt-quatre années de tyrannie."

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Omar el-Béchir doit-il partir ? Aujourd’hui, quelques grands dignitaires du régime posent publiquement la question. Parmi eux, l’idéologue Ghazi Salahadine est sans doute le plus respecté. Membre de la conspiration islamiste de 1989, cette figure du Parlement s’est opposée, il y a dix ans, au projet de référendum d’autodétermination dans le sud du Soudan. Maintenant, il a beau jeu de dire que, sans la partition, le gouvernement ne serait pas en état de banqueroute. Et il est à l’origine du courrier de quelque cinquante cadres du Parti du congrès national (PCN, au pouvoir) qui, le 28 septembre, ont demandé au chef de l’État de cesser la répression et de rétablir la subvention sur le carburant.

Sacrificer le numéro un pour garder l’essentiel

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Cette sécession, Omar el-Béchir risque de la payer cher. Les uns l’accusent d’avoir cédé le Sud aux États-Unis, les autres de ne pas avoir préparé l’après-partition. Depuis un an, Ghazi Salahadine s’oppose ouvertement à une nouvelle candidature d’El-Béchir à la présidentielle de 2015. Évidemment, depuis les derniers événements, sa position se renforce. Comme beaucoup de ses camarades de parti, il est prêt à sacrifier le numéro un du régime afin de garder l’essentiel, c’est-à-dire le pouvoir aux mains des trois grandes tribus arabes du fleuve. En fait, au PCN comme dans les deux principales forces de l’opposition, l’Oumma et le Parti démocratique unioniste (PDU), qui sont en réalité deux confréries musulmanes transformées en partis, beaucoup veulent avant tout éviter l’arrivée au pouvoir d’un non-Arabe, c’est-à-dire d’un chef rebelle du Darfour ou du Kordofan du Sud. Va-t-on vers un gouvernement d’union nationale PCN-Oumma-PDU ? Au Soudan, tout est possible. Il y a deux ans, le vieux leader de l’Oumma, Sadek al-Mahdi, a placé son fils aîné au coeur du pouvoir – il y est conseiller à la présidence. Et une cousine de Sadek al-Mahdi n’est autre que… l’épouse de Ghazi Salahadine.

Omar el-Béchir va-t-il se laisser faire ? Non. Depuis qu’il a été inculpé par la Cour pénale internationale pour crimes contre l’humanité au Darfour, il craint d’être livré par un éventuel successeur et va s’accrocher. Jusqu’à quand ? L’armée est divisée. Il le sait. C’est pourquoi il a confié la répression aux services de sécurité. Problème : le NISS aussi est divisé ! Son ex-patron, le charismatique Salah Gosh, y conserve des partisans. Le 23 septembre, El-Béchir a voulu le faire arrêter. Prévenu à temps, Gosh s’est enfui et se cache quelque part dans Khartoum. Décidément, Omar el-Béchir doit avoir un sommeil bien agité.

El-Béchir ne manquerait ni à Salah Gosh, ni à Sadek al-Mahdi, ni à Ghazi Salahadine. © Jeune Afrique

 

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