Lampedusa : un naufrage africain
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Marwane Ben Yahmed
Directeur de publication de Jeune Afrique.
Publié le 7 octobre 2013 Lecture : 2 minutes.
Lampedusa, petite île italienne de 20 km2 incrustée entre la Sicile, Malte et la Tunisie. Le plus grand cimetière marin du monde, théâtre paradisiaque de cauchemars à répétition : 17 000 morts depuis 20 ans… Le 3 octobre, énième tragédie avec le naufrage d’une embarcation qui transportait près de 500 de ces damnés de la terre que sont, au XXIe siècle, ces migrants africains qui ne cherchent qu’à survivre. Ici originaires de la Corne de l’Afrique pour la plupart, mais aussi du Maghreb, d’Afrique de l’Ouest ou d’Afrique centrale. La maire de Lampedusa, Giusi Nicolini, résume en quelques mots l’horreur de ces drames permanents : "On n’a plus de place, ni pour les vivants ni pour les morts [plus de 300 !]." Avant d’accuser l’Europe de "détourner le regard".
L’Europe, cette citadelle assiégée qui ne cesse d’élever ses remparts. Seul résultat : l’augmentation exponentielle du nombre de victimes, noyées ou mortes d’épuisement, contraintes à des itinéraires toujours plus longs et plus dangereux, souvent hors saison, c’est-à-dire en hiver, quand les tempêtes se déchaînent. Échec patent d’une guerre déclarée aux clandestins, au regard des principes moraux qui ont fondé l’UE mais aussi, comme on le voit, sur le plan de l’efficacité. Les différentes politiques menées jusqu’ici (expulsions musclées, camps de refoulement au Maghreb, entraves au regroupement familial, à la scolarité, à l’accès aux soins, immigration "choisie", arrangements avec le droit international, etc.) sont loin d’avoir tari le flot des candidats à une vie meilleure.
>> Lire aussi : Immigration : les damnés de la mer
Le procès de cette forteresse qui se transforme chaque jour un peu plus en tour d’ivoire ne doit pas cacher la responsabilité, immense, des Africains et de leurs dirigeants en particulier. Qui font comme si ce problème ne les concernait pas – a-t-on entendu une quelconque réaction de nos chefs, Union africaine comprise, au drame de Lampedusa ? Ce serait donc aux seuls pays européens, par ailleurs en plein marasme économique, de s’en charger, d’accueillir leurs ressortissants, pendant qu’eux se pavanent de sommets en conférences pour vendre leurs marottes du moment, l’émergence, les taux de croissance à deux chiffres, les investissements ? Si l’Europe détourne le regard, que dire de l’Afrique ? Qui n’est même pas capable de se soucier d’une jeunesse active, inventive, courageuse, prête à tout pour s’en sortir ou réussir. Ceux qui en arrivent à traverser des océans au péril de leur vie ne sont pas, contrairement à ce que certains pensent, la lie de leurs populations, des problèmes en moins à gérer dont on se débarrasse chez les autres comme des poubelles chez le voisin. Au contraire, ils pourraient soulever des montagnes chez eux. Qu’ils soient de plus en plus nombreux à vouloir affronter le Styx méditerranéen, dans l’indifférence générale, en dit long sur l’état de nos sociétés…
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