RDC : l’opium des peuples

Prière dans une paroisse pentecôtiste, près de Kinshasa. © Corinne Dufka/Reuters

Prière dans une paroisse pentecôtiste, près de Kinshasa. © Corinne Dufka/Reuters

ProfilAuteur_TshitengeLubabu
  • Tshitenge Lubabu M.K.

    Ancien journaliste à Jeune Afrique, spécialiste de la République démocratique du Congo, de l’Afrique centrale et de l’Histoire africaine, Tshitenge Lubabu écrit régulièrement des Post-scriptum depuis son pays natal.

Publié le 3 octobre 2013 Lecture : 2 minutes.

Kinshasa, un dimanche après-midi. J’ai rendez-vous avec un pasteur évangélique. Il m’a rappelé nos liens familiaux et tient à me prouver qu’il est parmi les pontes de l’évangélisme. Alors, rien de mieux qu’un tour là où il officie au moins trois fois par semaine. Sur les lieux, une foule impressionnante d’ouailles l’attend fébrilement. Son véhicule s’arrête. Hommes, femmes, jeunes et vieux trépignent. Une haie d’honneur se forme. Mon parent pasteur met pied à terre. C’est l’hystérie. Sans que je sache pourquoi, il prend ma main dans la sienne. Ne la lâche plus. Prisonnier, j’assiste alors à une scène inouïe : chacun veut le toucher ou s’agenouiller devant lui pour recevoir une bénédiction.

Des gros bras tentent, en vain, d’écarter la foule. Au bout du parcours, un podium. On m’installe à cet endroit réservé aux "hôtes de marque". Un groupe musical joue, le public danse comme dans un bal. Le pasteur, en véritable maître de cérémonie, prend la parole, mêlant versets bibliques et bons mots. Les témoignages de "délivrés du démon", de nouveaux adeptes, de ceux qui ont fait des rêves merveilleux s’enchaînent. Puis vient l’apothéose : l’offrande. Sous mes yeux ébahis, des seaux se remplissent. Le pasteur donne des instructions : francs congolais et dollars doivent être mis dans des seaux distincts. Précision importante : à chaque récipient correspond un type de coupure de dollars (pas question, donc, de mélanger les coupures de 5, 10, 20, 50 ou 100 dollars). Sans attendre, il circule parmi la masse des ouailles pendant que l’orchestre redouble d’ardeur, incitant l’assistance à donner, encore et encore. Je ne peux pas rester jusqu’à la fin.

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Quelques jours après, je revois mon parent pasteur sur un chantier. Grâce aux offrandes des adeptes, confie-t-il, il construit un immeuble de sept étages qui comprendra des boutiques, un hôtel et une salle de prières. La pudeur m’empêche de lui demander si ses ouailles y trouveront leur compte. Mon jeune frère éclairera plus tard ma lanterne : "Ce n’est pas à lui qu’ils donnent, mais à Dieu." Évidemment !

Depuis le développement exponentiel des Églises dites de réveil, prier entre "frères et soeurs en Christ" sous la supervision du "papa pasteur" est devenu une activité à part entière. Pour les chaînes de télévision publiques ou privées, c’est un filon intarissable : payantes, les prédications occupent l’antenne matin et soir. Les bondieuseries sont également relayées par des officiels dans le cadre de leurs fonctions presque partout sur le continent. Ministres, députés, sénateurs, chefs de parti ou d’entreprise n’hésitent pas à citer Dieu, le seul à pouvoir résoudre les problèmes auxquels les citoyens sont confrontés. Il en est de même de ces présentateurs, à la télévision comme à la radio, qui ne peuvent s’empêcher de mettre Dieu à toutes les sauces. Pourtant, dans l’espace public, la laïcité doit être respectée. Car tout le monde ne croit pas en Dieu. À moins qu’on ne cherche à endormir les populations. Question : pourquoi les plus démunis s’investissent-ils à ce point dans le fait religieux ? Ils espèrent, m’a-t-on dit, recevoir un don de Dieu. Mais quoi, sacredieu ? Tout : santé, fortune, emploi, amour, bonheur en plus de l’éden… À mon avis, cette énergie dépensée en priant pourrait servir à créer le progrès.

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