« Photographies du sud de l’Afrique » : ensemble malgré tout…

Regroupant 14 artistes du sud de l’Afrique, la Fondation Gulbenkian à Paris interroge les tensions du quotidien et la difficulté de construire un vivre-ensemble. Sans clichés ni exotisme.

Edenvale XVI X, de Paul Samuels (Afrique du Sud). © Paul Samuels

Edenvale XVI X, de Paul Samuels (Afrique du Sud). © Paul Samuels

NICOLAS-MICHEL_2024

Publié le 3 octobre 2013 Lecture : 3 minutes.

Un homme tatoué, les bras croisés, vous regarde. Il est dans une cour, éclairé par la lumière de ce qui pourrait être un lampadaire, quelque part dans l’une de ces banlieues qui se ressemblent tant, où que ce soit dans le monde. Vous ne savez pas exactement ce que signifie son regard, entre "tu n’es pas chez toi" et "n’avance pas". Mais de toute façon vous ne le regardez pas dans les yeux, puisque la seule chose que vous voyez c’est, contre un mur de briques rouges, en arrière-plan, un chien bondissant pour attraper un morceau de viande suspendu à une corde. À moins qu’il ne joue ? Difficile à dire dans cette pénombre caravagesque…

Troublante, cette photographie signée du Sud-Africain Paul Samuels est tirée de la série Edenvale XVI X, du nom d’une bourgade de la périphérie de Johannesburg (code postal 1610). Elle fait partie de l’exposition "Present Tense, photographies du sud de l’Afrique", présentée à Paris par la Fondation Calouste Gulbenkian du 18 septembre au 14 décembre. Et comme la plupart des oeuvres réunies ici par le commissaire portugais Antonio Pinto Ribeiro, elle porte sur ce que l’on pourrait appeler les "tensions de convivialité" au sein de l’espace public. C’est d’ailleurs là l’exceptionnelle réussite de cette exposition. Non contente d’évacuer tout exotisme, tout afrocentrisme et tout pathos, la Fondation Gulbenkian a relevé le défi de réunir sur un même thème, abordé sous des angles différents, quatorze photographes (sept Sud-Africains, un Congolais, deux Mozambicains, une Malgache, un Zimbabwéen, deux Angolais) qui pas une fois ne se répètent.

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À la recherche d’une photo universelle

Se trouve-t-on en Afrique ? C’est loin d’être sûr, d’ailleurs les photos du Sud-Africain Pieter Hugo ont été réalisées le long de la voie de chemin de fer reliant autrefois New York à Washington. Mais au fond, aucune importance : nous sommes partout, au coeur des tensions contemporaines les plus sourdes, au coeur d’un quotidien individualiste en perte de repères, éloigné de l’extraordinaire que peut représenter la guerre – par exemple. "Nous avons choisi des photographes qui appartiennent à trois générations différentes, explique Pinto Ribeiro. Certains sont nés sous l’apartheid, d’autres dans des régimes démocratiques ou postcoloniaux. Tous sont des photographes du monde, et nous avons voulu nous détacher d’une photographie africaine bien identifiée." Autrement dit : rechercher l’universel.

Comme Samuels, la plupart des artistes s’intéressent à la violence contenue du vivre-ensemble, aux tensions urbaines, à l’incarnation du pouvoir dans le paysage ou le bâtiment. Le jeune Sud-Africain Mack Magagane photographie ainsi, de nuit, ces jardins minuscules entourés de hauts murs où l’on enferme sa voiture, possession à protéger du voisin, derrière un portail métallique. Jo Ractliffe, sa professeure au Market Photo Workshop, va, de son côté, s’intéresser aux stigmates laissés dans le paysage par la guerre de la frontière, qui s’acheva avec l’indépendance de la Namibie.

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"On peut aussi dire que le régime politique d’une société fondée sur un régime de contrôle, comme l’était celui de l’Afrique du Sud pendant l’apartheid ou d’autres pays à l’époque coloniale et dont la responsabilité directe relevait du gouvernement, s’est métamorphosé en une société toujours de contrôle, mais sans que l’on puisse identifier l’entité qui exerce ce contrôle, écrit Pinto Ribeiro. C’est le régime de la peur et de la tension constantes, dont la plus haute expression se produit en particulier en milieu urbain." Une forme de totalitarisme inavoué, donc ? Inversant les points de vue, le Mozambicain Mauro Pinto préfère se concentrer sur le foisonnement de vie – et même d’amour – dans un cimetière décati. Et au fond, l’exposition montre simultanément nos enfermements et l’incroyable inventivité humaine pour se ménager des espaces de liberté, de vie.

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