Anne Hidalgo, l’improbable héritière

Fille d’immigrés espagnols naturalisée à l’âge de 14 ans, elle ne partait pas dans la vie avec les meilleurs atouts. C’est pourtant elle que Bertrand Delanoë a choisie pour lui succéder à la mairie de Paris. Rencontre avec une femme ambitieuse.

Anne Hidalgo, 54 ans, est conseillère régionale d’Île-de-France depuis 2004. © AFP

Anne Hidalgo, 54 ans, est conseillère régionale d’Île-de-France depuis 2004. © AFP

Publié le 2 octobre 2013 Lecture : 6 minutes.

Elle court, elle court, Anne Hidalgo. En vraie marathonienne, elle enchaîne les kilomètres et les poignées de mains. Ici, elle donne le coup d’envoi d’un match de football ; là, elle rend hommage aux pompiers, participe à la Fashion Night ou découvre les produits du terroir. On l’a même vue participer à une émission culinaire à la télévision, dans laquelle, entre deux coups de fouet, elle a trouvé l’occasion de glisser : "Plus de 90 % des écoliers parisiens sont inscrits à la cantine, et nous, nous sommes très attentifs à la qualité de ce qu’ils mangent." Anne Hidalgo briguera la mairie de Paris en mars 2014. Commencée depuis au moins un an, sa campagne électorale s’est brusquement accélérée en cette rentrée. Le 23 septembre, elle a rendu publiques ses "priorités", au nombre desquelles le logement, le développement économique et les transports.

Première adjointe de Bertrand Delanoë depuis douze ans, la brune candidate du Parti socialiste sera peut-être, à 54 ans, la première femme à diriger la capitale française. Pourtant, les Parisiens la connaissent encore mal, bien que, depuis un an, elle se donne un mal de chien pour remédier à cette lacune : elle enchaîne les interviews et, en mars, a publié un livre, Mon combat pour Paris. Est-elle aussi "peu charismatique" et "effacée" que le prétendent ses adversaires ? "Si c’était le cas, grince-t-elle, je ne serais pas là. Je suis simplement loyale."

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Quoi qu’il en soit, les médias en redemandent, tant son parcours se prête au storytelling. La belle est née près de Cadix. Son grand-père est un républicain espagnol condamné à mort sous Franco, mais jamais exécuté. Son père, électricien, préfère fuir la dictature et, comme beaucoup d’autres, décide de s’installer en France. En 1961, il pose ses valises à Lyon, dans le quartier populaire de Vaise, avec sa femme couturière et ses deux filles, Marie et "Ana", laquelle est âgée de 2 ans.

En cet après-midi pluvieux, dans son bureau parisien, Anne Hidalgo, toute de noire vêtue à l’exception d’un foulard bleu électrique, revendique fièrement cette histoire familiale. "Oui, je suis une fille d’immigrés. Je viens d’un milieu populaire qui ne me prédestinait pas à être là où je suis aujourd’hui, mais j’ai beaucoup travaillé, dit-elle, presque avec emportement. Certains traitent ce genre de parcours avec condescendance : "Elle nous fait encore le coup de la fille qui s’est faite toute seule…" Mais je ne fais aucun coup, je n’invente rien, c’est mon histoire."

Le déclic politique

Elle devient française à l’âge de 14 ans. "Mon père a voulu nous épargner les files d’attente à la préfecture pour renouveler nos titres de séjour. Il disait que notre vie était désormais en France." La Constitution espagnole de l’époque interdisant la double nationalité, Anne Hidalgo perd sa nationalité d’origine, qu’elle ne retrouvera qu’en 2003. Elle rend un hommage appuyé à ses parents, qui ont "consacré toute leur énergie à la réussite de leurs filles" et étaient "convaincus que l’éducation et le travail sont les seuls moyens d’y arriver".

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Diplôme de droit en poche, la jeune femme est reçue cinquième au concours de l’inspection du travail. Son premier poste est dans le Val-de-Marne, aux portes de la capitale. Elle s’installe donc dans le 15e arrondissement de Paris, sa "ville rêvée" – où elle habite toujours -, et mène de front vie de famille et vie professionnelle. D’un premier mariage, elle a deux enfants, aujourd’hui âgés de 27 ans et 25 ans. Et un troisième (11 ans) de son union avec le député PS Jean-Marc Germain. Pour garder la forme, elle fait beaucoup de sport : "J’essaie de me ménager des créneaux pour courir ou nager, c’est indispensable."

Rien ne la prédestinait à la politique, mais, en 1997, sa rencontre avec Martine Aubry a tout changé : à 39 ans, elle fait son entrée dans le cabinet de la ministre du Travail. Par la suite, elle servira dans deux autres ministères de l’ère Jospin : Droits des femmes et Justice. Lentement mais sûrement, elle se fait remarquer. Pour les élections municipales de 2001, Bertrand Delanoë l’impose contre toute attente comme tête de liste dans le 15e arrondissement. Elle va mener une campagne que, jusque dans son propre camp, certains ont toujours du mal à digérer. "Il ne faut pas se fier aux apparences, elle peut être très méprisante", lâche une militante. La liste qu’elle conduit est devancée par celle de la droite, mais qu’importe : Anne Hidalgo fait son entrée au Conseil de Paris, désormais dominé par la gauche. Et c’est elle que Bertrand Delanoë, le nouveau maire, choisit comme première adjointe chargée, entre autres, de l’égalité hommes-femmes (lors du second mandat, elle s’occupera d’une tâche plus stratégique : l’urbanisme et l’architecture).

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Des sondages favorables à Anne Hidalgo © Jeune Afrique

D’après l’UMP, un "système monarchique"

Pour les municipales de 2014, il a suffi que son mentor l’adoube pour que les militants lui emboîtent le pas. "Le soutien de Delanoë est logique. Elle est restée à ses côtés pendant plus d’une décennie, sans tenter de lui faire de l’ombre", explique une socialiste du 15e arrondissement. L’opposition, elle, crie à l’archaïsme : "Au PS, ils ont inventé le dauphinat, un système monarchique dans lequel le roi désigne son héritière", ironise Nathalie Kosciusko-Morizet (NKM), sa rivale de l’UMP.

La bataille de Paris, Anne Hidalgo y pense depuis des années. "En me maquillant le matin", dit-elle. La malicieuse allusion à un ancien président de la République n’aura échappé à personne. À l’en croire, "la politique, c’est davantage un marathon qu’un sprint. Il faut construire les choses, avoir de la cohérence, des valeurs, des convictions". Elle cite Michelle Bachelet, l’ancienne présidente du Chili, son "modèle en politique", et Lionel Jospin, l’ancien Premier ministre, qu’elle admire pour sa "moralité". Quand François Hollande lui a proposé de devenir ministre, elle a décliné, parce qu’"il faut parfois savoir dire non". Elle se veut le contraire de ces "étoiles filantes utilisées puis lâchées" par Sarkozy que furent Rama Yade ou Fadela Amara. Elle leur préfère Najat Vallaud-Belkacem, l’actuelle porte-parole du gouvernement et ministre du Droit des femmes, ou la députée Seybah Dagoma, l’un de ses porte-parole. Parce qu’elles "prennent leur temps et bâtissent".

>> Lire aussi : Municipales françaises : Nathalie, Anne, Rachida et les autres

La voilà donc à l’aube de son grand rendez-vous électoral. Ceux qui la pensaient timide la découvrent en meneuse d’équipe capable de montrer les crocs. NKM, cette "parachutée", comme la surnomme Pascal Cherki, un autre de ses porte-parole, le camp Hidalgo l’attend "de pied ferme". Maire sortant du 14e arrondissement, ledit Cherki sait de quoi il parle lorsqu’il évoque la "fermeté" d’Hidalgo : c’est elle qui l’a écarté, comme d’autres barons socialistes, de la tête de liste d’arrondissement. Au nom du non-cumul des mandats et de la parité hommes-femmes. "Les discussions avec les maires ont commencé il y a un an, ils savaient qu’il n’y aurait pas d’exception", se défend la candidate. Chez les grognards, cette priorité donnée à la jeunesse passe difficilement.

Le dernier sondage la donne gagnante au second tour : 52,5 %, contre 47,5 % à NKM. Il y a quatre mois, le rapport était de 54 %-46 %. Principale raison de cet effritement, selon elle : un contexte national peu favorable et l’impopularité record de l’exécutif. Hidalgo ne se fait donc aucune illusion : "L’élection sera très difficile." Et le résultat "très serré".

Paris, ils en rêvent tous

La mairie de Paris a toujours fait rêver. À droite comme à gauche. Diriger la capitale française, c’est certes occuper un poste de prestige, au niveau national et international. Mais nombre de responsables politiques sont convaincus que c’est aussi un tremplin vers l’Élysée. En réalité, les locataires de l’Hôtel de Ville ont, après leur départ, connu des fortunes diverses. Jacques Chirac (1977-1995) a, c’est vrai, présidé par la suite aux destinées du pays. Mais Jean Tiberi (1995-2001) a surtout accumulé les déboires judiciaires. Quant à Bertrand Delanoë, le maire actuel, il a sans doute des chances limitées de devenir un jour président de la République, mais il quitte ses fonctions avec un taux de popularité enviable (60 %, début 2013). Et il a plusieurs fois refusé d’entrer dans le gouvernement de Jean-Marc Ayrault. Paris, c’est aussi un pactole : 8 milliards d’euros de budget, près de 51 000 salariés, des sièges de grandes entreprises (donc des rentrées fiscales) en pagaille… Contrairement à d’autres grandes métropoles comme Rome, New York ou Berlin, son premier magistrat n’est pas élu au suffrage universel direct. Les 1,3 million d’électeurs parisiens (sur 2,2 millions d’habitants) élisent dans chaque arrondissement des conseillers (dont le nombre est fonction de la population), qui, réunis en conseil, élisent à leur tour le nouveau maire, pour un mandat de six ans. La gauche détient actuellement douze arrondissements sur vingt, alors qu’elle n’en avait conquis que six en 1995, et aucun en 1983 et 1989.

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