Algérie : Bouteflika forever…

Après être parvenus à retourner la situation à leur avantage, les partisans du président semblent déjà en ordre de bataille pour assurer la réélection de leur champion en 2014 – ou du moins obtenir le prolongement de son mandat de deux ans.

Abelaziz Bouteflika et son frère Saïd dans un bureau de vote d’Alger, en mai 2012. © Samir Sid

Abelaziz Bouteflika et son frère Saïd dans un bureau de vote d’Alger, en mai 2012. © Samir Sid

FARID-ALILAT_2024

Publié le 7 octobre 2013 Lecture : 6 minutes.

La scène se déroule dans la moiteur de cette fin d’août caniculaire. Mohamed Rougab, secrétaire particulier du président, appelle Dahou Ould Kablia, ministre de l’Intérieur et des Collectivités locales, pour exiger une autorisation préfectorale permettant la tenue de la sixième session du comité central du Front de libération nationale (FLN). Le ministre refuse d’obtempérer, arguant qu’il ne reçoit d’instructions que d’Abdelaziz Bouteflika. Nouveau coup de fil. Cette fois de la part de Saïd, frère cadet de ce dernier et conseiller à la présidence. Nouvelle fin de non-recevoir du ministre de l’Intérieur. "Je ne me réfère qu’au président de la République", répond-il en substance.

Finalement, la préfecture d’Alger sera sommée par Saïd Bouteflika de délivrer de nuit la fameuse autorisation, passant outre à la décision du Conseil d’État de suspendre la tenue de cette réunion, dont l’unique ordre du jour est l’élection d’un nouveau secrétaire général. Le 29 août donc, Amar Saadani, 63 ans, candidat adoubé par Saïd Bouteflika, est élu nouveau chef de la première force politique du pays, restée sans patron depuis la destitution d’Abdelaziz Belkhadem en janvier 2013. Deux semaines plus tard, Dahou Ould Kablia est débarqué du gouvernement avec dix autres ministres à la faveur d’un important remaniement. N’ayant pas été prévenu à l’avance, le ministre de l’Intérieur apprendra son limogeage par voie de presse. Ould Kablia a-t-il payé pour avoir tenu tête au frère-conseiller, pour qui l’élection d’Amar Saadani est une étape cruciale pour rester dans le jeu politique ? Commentaire d’un haut responsable de l’État, encore choqué par la manière très cavalière dont les ministres ont été congédiés. "La présidence n’a eu aucun état d’âme, confie-t-il. Les ministres n’ont même pas eu droit à un mot de remerciement, alors que certains ont fidèlement servi Bouteflika depuis son arrivée au pouvoir, en 1999."

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Il faut dire que, pour les partisans du chef de l’État, le temps presse. À six mois de la publication, en février 2014, du décret portant convocation du corps électoral pour le scrutin présidentiel, qui doit normalement se tenir en avril, le clan Bouteflika tente de mettre en place sa machine électorale pour assurer un quatrième mandat à l’actuel locataire d’El-Mouradia ou prolonger son bail de deux ans. Le maintien du président, défi jugé impossible sinon hautement improbable au milieu de l’été, passait par la reconquête du FLN, la mise en place d’un exécutif constitué de fidèles, comme les ministres de l’Intérieur et de la Justice, la refondation de l’alliance présidentielle et la révision, le cas échéant, de la Constitution, déjà amendée en novembre 2008.

Candidature Benflis

Une première tentative pour récupérer la direction de l’ancien parti unique – peut-être par crainte qu’elle ne soutienne l’ancien rival de Bouteflika en 2004, Ali Benflis, dont la candidature devrait être annoncée dans les prochaines semaines – est engagée en février 2013, peu de temps après le départ de Belkhadem. Amar Saadani, ex-président de l’Assemblée nationale tombé en disgrâce en 2007, tente alors une OPA sur le FLN. Contré par ses détracteurs, qui moquent son manque de consistance, son affairisme présumé, ses bourdes diplomatiques ou son allégeance au clan présidentiel, Saadani a dû battre en retraite. Momentanément.

C’est qu’entre-temps Bouteflika est tombé malade, et sa longue convalescence, en France puis en Algérie, a laissé à penser que le raïs était fini, que son clan avait perdu de sa puissance et que l’après-Bouteflika allait se préparer sans lui. Rien n’était moins vrai. Depuis sa résidence de Sidi Fredj, où il poursuit désormais sa rééducation, le président donne sa caution à l’intronisation de Saadani à la tête du FLN. En l’espace de quelques jours, l’entourage du chef de l’État parvient à retourner la situation à son avantage.

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Ex-coordonnateur général des comités de soutien au programme du candidat Bouteflika, Saadani, que la presse accuse d’avoir trempé dans un scandale de corruption, se met aussitôt en action, défendant bec et ongles l’idée d’un quatrième mandat tant, argue-t-il, le président a prouvé "son incomparable compétence à diriger le pays". Quid de la maladie, qui pourrait empêcher Bouteflika de faire campagne ? "Pourquoi le président ferait-il campagne ? ose le nouveau secrétaire général du FLN. Les Algériens le connaissent très bien." En fidèle soldat, ce père de sept enfants ne voit même pas la nécessité d’organiser une élection présidentielle."

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Amar Saadani, nouveau secrétaire gnéral du FLN, le jour de son élection
à la tête du parti, le 29 août. © Samid Sid

Nouvelles alliances

Le FLN désormais domestiqué, reste à refonder l’alliance présidentielle. Créé en février 2004 pour soutenir le programme de Bouteflika, l’attelage qui constituait la charpente politique du pouvoir présidentiel était composé du FLN, du Rassemblement national démocratique (RND) et des islamistes du Mouvement de la société pour la paix (MSP). Sauf que, depuis la désertion du MSP en janvier 2012 et la crise de leadership qui mine encore aujourd’hui le RND huit mois après la démission d’Ahmed Ouyahia, la majorité s’est effilochée au fil des mois. Certes, le RND continue d’apporter son soutien au chef de l’État, mais l’éventuelle candidature de celui-ci en 2014 ou l’adoption par les deux chambres du Parlement – la voie référendaire est totalement exclue pour l’heure – d’une nouvelle Constitution qui prolongerait de deux ans le troisième mandat du président nécessitent d’élargir l’alliance à de nouveaux partenaires.

Les nouveaux alliés se trouvent au sein même du gouvernement. Ministre depuis le premier gouvernement Bouteflika, formé en décembre 1999, Amar Ghoul est d’une fidélité sans faille envers le chef de l’État, si bien qu’en retour il a réussi à échapper au scandale qui a emporté bon nombre de ses collaborateurs dans le cadre de l’enquête pour corruption visant le projet de l’autoroute est-ouest. À la tête du parti Rassemblement Espoir de l’Algérie (TAJ), le désormais ministre des Transports vient de rejoindre l’alliance et fait campagne avec zèle pour la réélection de Bouteflika. "Si nous n’apportons pas notre soutien à Laaziz ["le bien-aimé"], les générations futures ne nous le pardonneront jamais !" s’exclame sans rire Ghoul. Son collègue dans l’exécutif, Amara Benyounes, secrétaire général du Mouvement populaire algérien (MPA), devrait également adhérer à la coalition présidentielle. Ami de Saïd Bouteflika, avec lequel il dîne souvent, Benyounes n’a jamais ménagé sa peine pour soutenir le chef de l’État, y compris quand des voix se sont élevées pour réclamer l’application de l’article 88, qui prévoit la destitution du président en cas de maladie grave et durable. Alors, un quatrième mandat ? Benyounes répète à l’envi qu’il signerait des deux mains. Mais si les partisans du président se mettent déjà en ordre de bataille pour reconduire leur champion (qui, lui, ne s’est toujours pas exprimé) à la tête de l’État, ce scénario reste in fine tributaire d’une grande inconnue : le bulletin de santé de l’intéressé.

Casse-tête constitutionnel

Confession du Premier ministre Abdelmalek Sellal au sortir d’une récente audience avec Abdelaziz Bouteflika : "Il veut un quatrième mandat…" Soit. Mais comment faire si son état de santé l’empêchait de briguer sa propre succession ? Pour le président, la solution passe par l’instauration d’un septennat renouvelable une fois, tandis que son entourage songe plutôt à amender la Constitution pour prolonger son actuel mandat de deux ans. Des instructions dans ce sens ont été transmises aux membres de la commission chargée de la révision de la loi fondamentale. Mais si le passage du quinquennat au septennat ne pose aucun problème juridique, il n’en est pas de même pour la prolongation du mandat en cours. Une telle opération se heurte à deux écueils. L’article 71 de la Constitution dispose en effet que "le président de la République est élu au suffrage universel, direct et secret", et l’article 178 que "toute révision constitutionnelle ne peut porter atteinte au caractère républicain de l’État, à l’ordre démocratique, basé sur le multipartisme". Un véritable casse-tête constitutionnel qui pourrait avoir de graves conséquences politiques.

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