ONU : ce que nous avons appris

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  • Béchir Ben Yahmed

    Béchir Ben Yahmed a fondé Jeune Afrique le 17 octobre 1960 à Tunis. Il fut président-directeur général du groupe Jeune Afrique jusqu’à son décès, le 3 mai 2021.

Publié le 1 octobre 2013 Lecture : 5 minutes.

À partir du 17 septembre, les chefs d’État des pays membres de l’Organisation des Nations unies ont presque tous convergé vers le siège de l’ONU, à New York, pour la session annuelle de l’Assemblée générale, 68e du nom.

Tous ont la possibilité de prononcer "leur discours à l’ONU", un texte préparé avec soin dans lequel ils font part à leurs citoyens – qui peuvent écouter le discours dans son intégralité – et au monde de ce qui les préoccupe ou de ce qui leur arrive.

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C’est "un moment" de l’année politique : chacun des chefs d’État veut montrer qu’il existe, qu’il a voix au chapitre et que son pays compte.

Ils sont accompagnés d’une délégation plus ou moins nombreuse selon l’ego du chef de l’État, l’importance de son pays et la richesse de son gouvernement.

Ils se rencontrent et se parlent, ou se snobent et s’évitent.

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Les avantages de ce salon politique mondial où il faut avoir été vu sont multiples, dont celui de nous permettre de répondre à ces deux questions :

1- Que s’est-il passé d’important dans les semaines qui ont précédé l’Assemblée générale ?

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2- Quelles perspectives immédiates découlent du climat dans lequel elle se sera déroulée, des discours qui y auront été prononcés et des échanges qu’elle aura permis ?

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S’agissant de l’Afrique, plusieurs allocutions nous ont confirmé qu’au coeur du continent un État qui s’appelait la République centrafricaine s’était éteint avec la chute, en mars, de son président, François Bozizé.

À vrai dire, l’État centrafricain était menacé de ce funeste sort depuis plus de deux décennies : pour affligeant qu’il soit, ce qui lui arrive était prévisible et, quoi qu’on fasse désormais, la Centrafrique mettra une génération à sortir du fossé où l’ont précipitée ses hommes politiques.

L’exemple de la Somalie est là pour montrer qu’il est presque impossible de remettre en place et de redresser un État qui s’est défait.

Déjà cassé en deux (ou trois) morceaux, l’immense et malheureux Soudan est menacé du même sort : cela fait plus de cinquante ans qu’il est gouverné aussi mal que possible et cela va finir par craquer.

Plus au nord, l’Égypte vit une contre-révolution (ou un ersatz de révolution). Les Frères musulmans ont conquis le pouvoir en 2012 après avoir enduré huit décennies de répression et de semi-clandestinité. Ils l’ont si mal exercé qu’au bout d’un an, à la demande des autres Égyptiens ou avec leur accord, l’armée les en a chassés sans ménagement et les a condamnés à une exclusion encore plus complète que les précédentes.

Plusieurs signes laissent à penser que le général Abdel Fattah al-Sissi, commandant en chef des forces armées, sera le prochain président de l’Égypte et son nouveau Nasser…

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Mais la bonne nouvelle nous est venue du Mali : en mars 2011, un coup d’État avait mis la République en suspens ; des jihadistes venus d’ailleurs en avaient profité pour conquérir le nord du territoire et menacer la capitale.

L’ancienne puissance coloniale a volé au secours du Mali en danger, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), l’ONU et l’Union africaine ont conjugué leurs efforts pour aider les Maliens à sauver leur nation, à se donner, par les urnes, une nouvelle République et un nouveau président : Ibrahim Boubacar Keïta.

Bien élu en août, investi en septembre, il a dit, d’abord à Bamako puis à l’ONU, qu’il était déjà à pied d’oeuvre et a expliqué comment il allait s’y prendre pour que le Mali retrouve la place de choix qu’il avait en Afrique et l’aura qui était la sienne.

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À l’ONU, nous avons aussi vu en action, pour la première fois, Hassan Rohani, le nouveau président de l’Iran : quel changement par rapport à Mahmoud Ahmadinejad !

Plus spectaculaire encore que le changement qu’ont connu les États-Unis lorsqu’ils sont passés, au début de 2009, de George W. Bush à Barack Obama.

Bien qu’élu au suffrage universel, ce qui lui donne une assise, Hassan Rohani n’est en fait que le Premier ministre d’un pays dont le chef de l’État est le Guide suprême, Ali Khamenei.

Des discours prononcés à la tribune de l’ONU, des interviews données à la presse, des déclarations faites dans les couloirs et des confidences recueillies, nous avons appris ceci, qui éclaire ce qui va se passer au cours des six prochains mois. 

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C’est Hassan Rohani lui-même qui a fixé à la négociation sur le nucléaire iranien (et, par voie de conséquence, à la solution politique qu’il faut donner à la guerre civile syrienne) un délai limite de six mois.

Ce faisant, il a introduit le facteur temps dans l’équation ! Et, surtout, a indiqué que l’Iran ne cherche pas à faire traîner les choses, comme on l’a cru, mais veut, au contraire, aboutir rapidement à une solution qui lui permette de retrouver sa place au Moyen-Orient et un rôle à sa mesure sur la scène internationale.

Les forces qui s’opposent à ce come-back de l’Iran sont nombreuses et puissantes. Il est prudent de ne pas exclure qu’elles prévalent.

Dans ce cas, la guerre civile syrienne redoublera d’intensité et déstabilisera les pays voisins. Quant à l’Iran, il retombera entre les mains des plus conservateurs et des plus sectaires de ses dirigeants: écartés du pouvoir par l’irruption de Rohani, ils n’attendent pour revenir que de le voir essuyer un cuisant échec.

Les Gardiens de la révolution se hisseront alors au centre du pouvoir, transformant ce pays de vieille civilisation en un nouveau Pakistan, pauvre mais doté de l’arme nucléaire.

C’est donc en Iran même que se trouvent d’abord ceux qui s’opposent à la réconciliation entre leur pays et les États-Unis (avec, derrière ce "Grand Satan", le Royaume- Uni, la France et le reste de l’Occident). Ali Khamenei lui-même a le plus grand mal à croire que les États-Unis, Israël et ceux qui se situent dans leur orbite acceptent de traiter avec son régime plutôt que de s’échiner à le changer. Il a dit à Rohani :"Puisque vous le croyez, vous, montrez-moi que vous n’êtes pas dans l’erreur."

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Les meilleurs alliés de ces jusqu’au-boutistes iraniens sont, paradoxalement :

  • l’Aipac, ce lobby qui le soutient à Washington, notamment auprès du Congrès des États-Unis,
  • l’Arabie saoudite, qui utilise ses moyens humains et financiers pour empêcher Rohani et Obama de sceller la réconciliation entre leurs deux pays.

Si la France suit l’instinct d’indépendance de François Hollande plus que l’activisme de Laurent Fabius – qui soutenait de manière déraisonnable que l’Iran devait être exclu de la conférence de Genève sur la Syrie –, si le Royaume-Uni et l’Allemagne font, eux aussi, preuve d’indépendance et de responsabilité, ils donneront à Rohani et à Obama une chance sérieuse d’éviter que la guerre de Syrie n’échappe à tout contrôle et que l’Iran ne demeure dans "cet axe du mal" où George W. Bush a cru pouvoir l’enfermer.
 

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