Dites-le avec des signes
On connaît tous la phrase de Talleyrand : "Quand je m’examine, je m’inquiète. Quand je me compare, je me rassure." C’est à elle que j’ai pensé la semaine dernière, alors que je me trouvais en Belgique, du côté de Menin.
La Belgique, je l’adore, on y mange bien, les autochtones sont courtois, cultivés et spirituels (si, si), il y a des musées partout et la plupart des villes sont belles et pétries d’Histoire. Mais dès qu’on touche à la question linguistique, ça devient ubuesque, on n’y comprend rien, Tintin fait un gros Kafka. C’est là qu’il faut se comparer aux Belges : on se sent bien loti, même dans nos pays bizarroïdes. Les Maghrébins croient qu’ils ont un problème entre arabophones, francophones et amazighophones : ils devraient aller outre-Quiévrain, ça les rassurerait.
Supposez que vous soyez en France, dans le Nord, dans la bonne ville d’Halluin. Vous marchez le long de la rue de Lille, le nez au vent et l’esprit serein. Au bout de quelques minutes, sans même vous en apercevoir, vous traversez la frontière et la ville devient flamande : elle s’appelle Menin. Jusque-là, rien de grave, on est toujours en Europe. Mais supposez que vous entriez dans la mairie, ou dans n’importe quel service administratif. Vous allez au guichet et vous posez, très poliment, une question en français. Que se passe-t-il ?
Il se passe alors quelque chose d’étrange. Le maire, Martine Fournier (qui, malgré ce joli nom, est flamande de chez Flamand), vient d’interdire à ses employés de s’exprimer en français. La seule langue autorisée est le néerlandais, même si tout le monde comprend et parle la langue de Molière. Mais alors, comment communiquer ? C’est simple, réplique l’édile : il faut répondre avec des signes, avec les mains, avec le langage des sourds (tel que vous l’entendez). Par exemple, vous dites à l’employé : "Bonjour, puis-je avoir les horaires des transports en commun ?" et l’employé, mobilisant ses dix doigts, sa tête, sa collection de grimaces et son chapeau vous répond : "Bien sûr, à vot’ service, voulez-vous ceux des bus ou des trains ?" Tout cela sans prononcer un seul mot. Essayez. Ce n’est pas simple. Et si vous rétorquez : "Excusez-moi, êtes-vous sourd ? Je ne comprends pas vos simagrées", le fonctionnaire tend la main gauche en angle aigu, retrousse le nez, se fourre un doigt dans l’oreille et sanglote un petit coup ; ce qui signifie, bien sûr : "Simagrées ? Dites donc, restez poli, je ne fais qu’appliquer le règlement."
La mairesse a un autre lapin dans son chapeau. Les employés qui le désirent peuvent se constituer une collection de pictogrammes qu’ils pourront brandir sous les yeux des ignorants qui ne maîtrisent pas le néerlandais. Le plus usuel sera, paraît-il, un poing fermé d’où émerge un majeur pointé vers le haut. (Je ne sais pas ce qu’il signifie, n’ayant pas étudié la pictologie.) Vous me dites : "Tu te fous de nous, c’est un sketch de Devos, etc." Pas du tout. Googlisez Menin et vous verrez. En tout cas, je suis revenu ragaillardi de mon tour des Flandres. Au moins, chez nous, jamais un boutiquier berbère ou un fonctionnaire doukkali ne m’a brandi des pictogrammes au visage parce que je ne parlais pas correctement sa langue. Pourvu que ça dure…
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