Livres : Messali Hadj à hauteur d’homme
La fille de Messali Hadj, « l’inventeur » du nationalisme algérien, livre un portrait inédit du leader indépendantiste. Un témoignage aussi émouvant que pudique.
"Printemps 2012. Il est minuit à Montréal. […] J’ai fini. Ce livre, je le porte en moi depuis trente-cinq ans. Comme une braise dans mon corps […]. C’est une promesse. Un serment fait à un homme d’honneur qu’on a voulu déshonorer." On comprend dès les premières lignes de l’ouvrage que ce récit très sensible de la vie de Messali Hadj par sa fille n’est pas un simple compte rendu de l’existence "privée" de celui qui est considéré à juste titre comme le père du nationalisme algérien.
L’auteure nous livre là trois ouvrages en un seul. D’abord, comme elle l’avait promis à Messali sur son lit de mort – où elle avait recueilli une sorte de "testament oral" du vieux combattant -, elle propose ici une histoire du nationalisme algérien du point de vue de son principal "inventeur", l’homme qui avait pris la tête de l’Étoile nord-africaine, au nom de laquelle il réclamait, bien seul alors, l’indépendance de son pays dès 1926. Elle poursuit ainsi en quelque sorte l’entreprise dans laquelle s’était lancé son père en rédigeant ses Mémoires, qu’il n’avait pu terminer, rattrapé par un cancer qui l’emporta en 1974 (il n’était pas allé, hélas, au-delà de 1938). Mais sa constante proximité avec Messali, pour avoir à la fois vécu, milité et travaillé en permanence avec celui-ci jusqu’à sa disparition, lui permet également de dresser un portrait inédit du leader indépendantiste, croqué "de l’intérieur", à hauteur d’homme. Enfin, et c’est là encore ce qui fait son prix, ce témoignage aussi émouvant que pudique nous permet de suivre l’incroyable parcours d’une enfant, puis d’une jeune fille et enfin d’une adulte, emportée par le vent de l’Histoire au côté de son père ; ce qui l’amena à fréquenter, avant même l’âge de raison, autant l’arène politique que les parloirs des prisons où Messali fut régulièrement enfermé par les autorités françaises.
Le témoignage est d’autant plus précieux que Messali a fini du côté des vaincus de l’Histoire, et l’on sait bien que celle-ci est toujours écrite par les vainqueurs. Ce sont en effet des dissidents de son parti – alors le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD) -, fédérés par Mohamed Boudiaf, qui ont créé le Front de libération nationale (FLN) et ont ensuite combattu férocement les messalistes après 1954 pour apparaître comme les seuls détenteurs de la légitimité indépendantiste et, le jour venu, négocier en position de force face au pouvoir colonial. Une stratégie dont le concepteur principal fut Abane Ramdane et qui s’avérera gagnante. Du coup, le rôle de Messali a souvent été présenté de façon mensongère non seulement pour son action pendant la guerre d’indépendance – on l’accusa faussement de traîtrise -, mais même pour son parcours d’avant 1954 – on a sous-estimé son action pionnière en faveur de l’émancipation de l’Algérie. Le livre de Djanina Messali-Benkelfat, même si l’on peut discuter certaines de ses analyses, a ainsi pour mérite de permettre un rééquilibrage de l’Histoire.
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Des éléments inédits sur l’histoire de l’Algérie
Il nous livre au passage de nombreux éléments jusqu’ici inédits qui enrichissent la connaissance de l’histoire de l’Algérie – la petite mais aussi la grande. Quelques exemples ? Personne, jusqu’ici, n’avait proposé de récit précis de la façon dont Messali, alors en résidence surveillée, a été totalement surpris par le lancement de la lutte armée la nuit du 1er novembre 1954. Un lancement dont il sera informé tardivement – à une heure de l’après-midi, au restaurant ! Le double jeu auquel s’est souvent livré l’Égyptien Nasser vis-à-vis des indépendantistes pendant la guerre apparaît par ailleurs on ne peut mieux illustré par le récit de l’arrivée d’un envoyé du raïs à la fin de l’été 1956 pour proposer à Messali une alliance avec Ben Bella afin de contrer Abane Ramdane, qui se méfiait des ingérences du Caire dans la direction du FLN ! On apprendra aussi, non sans un serrement de coeur, la façon proprement inhumaine dont le leader indépendantiste fut traité au début des années 1940 dans le bagne de Lambèse, à côté de Batna, afin de le décourager et de décourager ses partisans : chaînes et boulets au pied, crâne et sourcils rasés, enfermé dans une cage à la vue de tous les détenus dans la cour de l’établissement.
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