Ridha Khadher, un Tunisien boulanger de l’Élysée

Bon pain, bon grain ! Depuis le 13 mai, Ridha Khadher livre ses baguettes à l’Élysée. Élu boulanger de la République, ce Tunisien de 41 ans mange son pain blanc et prend goût aux délices de la célébrité.

À 11 heures direction l’Élysée : la baguette de François Hollande vient de Ridha Khadher. © Bruno Levy

À 11 heures direction l’Élysée : la baguette de François Hollande vient de Ridha Khadher. © Bruno Levy

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Publié le 3 octobre 2013 Lecture : 4 minutes.

Ce matin, Ridha Khadher n’a pas plongé ses mains imposantes dans la farine ni pétri la pâte de ses petits pains. Seul son regard a touché les viennoiseries et la fameuse baguette tradition du Paradis du gourmand, sa boulangerie du 14e arrondissement de Paris. Délaissant son tablier pour une veste noire, le grand gaillard de 41 ans s’apprête à s’envoler pour Beyrouth (Liban), afin de participer à une énième émission de télévision. Voyages, hôtels, le boulanger n’a plus la vie dure de ses années de formation. Depuis que sa baguette a été élue parmi 152 autres, il se fait dorloter par les médias et le leur rend bien, à coup de sourires blancheur et de tapes sur l’épaule.

Jusqu’à en oublier parfois la belle craquante et alvéolée qui l’a élevé au rang de « boulanger de la République ». Avant même de faire goûter sa baguette, il montre les articles le concernant comme ses apparitions télévisées sur son smartphone. Il est le second Tunisien à remporter ce précieux sésame permettant d’accéder aux cuisines de l’Élysée. Sa victoire incarne à nouveau la maîtrise des habitants du pays du Jasmin, de plus en plus nombreux à pétrir le pain dans la capitale française. C’est aussi le symbole d’une intégration heureuse. « Cela prouve qu’on peut réussir en étant immigré ! »

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Dernier garçon d’une fratrie de onze, Ridha Khadher grandit au milieu des oliviers, à Sousse (nord de la Tunisie), dans la ferme familiale. Allergique à l’agriculture, il quitte le cocon familial à l’âge de 15 ans, poussé par ses parents, et rejoint son frère aîné, Ali, boulanger à Paris. À son arrivée, l’acclimatation est compliquée par la fraîcheur de novembre et l’aigreur hivernale des Parisiens. Tiré du lit à minuit, il ne s’habitue ni à l’odeur des croissants ni au rythme imposé par le métier. Pourtant, il travaille parfois quinze heures d’affilée pour acquérir le savoir-faire des boulangers. Parfois découragé, il recharge ses batteries grâce au coup de téléphone de sa mère, chaque lundi. « Montre à quel point tu peux réussir avec de bons parents ! » recommande-t-elle. « J’ai toujours été le chouchou à sa maman », lance le colosse au coeur de guimauve.

Il intègre la garde rapprochée des vedettes et des émirs, la nuit. Le jour, il continue de mettre la main à la pâte.

Très vite, le jeune boulanger veut ouvrir sa propre affaire. Pour ce faire, il ajoute une corde à son arc et intègre la garde rapprochée des vedettes et des émirs, la nuit. Le jour, il continue de mettre la main à la pâte. Ce double gagne-pain lui permet d’acheter sa boulangerie en 2006. À pain dur, dent aiguë : il travaille d’arrache-pied pendant plusieurs années.

Aujourd’hui, le Paradis du gourmand est une affaire qui roule. Dans le fournil, au sous-sol, les onze employés s’activent pour faire tourner la boutique. Chaque matin, vers 11 heures, Ridha Khadher quitte ce tumulte pour se rendre à l’Élysée, muni de cinquante baguettes tradition. « Je ne suis plus impressionné, c’est comme si je rentrais à la maison », s’amuse le boulanger, qui aime plaisanter avec le président quand il le croise, mais avec qui « [il] ne parle jamais de politique ». Sa nouvelle relation a d’ailleurs une place de choix au Paradis du gourmand. Sur le mur, la photographie encadrée du patron, baguette à la main, au côté de François Hollande, dans les jardins de l’Élysée. « Depuis que j’ai remporté le concours, j’ai 25 % de clientèle supplémentaire », déclare-t-il. « Les gens sont curieux de savoir si le président mange le pain de Ridha », confie Isabelle, son épouse, laborantine de métier, qui a décidé de prêter main-forte à la caisse. De loin, elle observe d’un regard tendre le manège médiatique autour de son époux. « Ridha est le premier surpris par cet emballement », déclare-t-elle. À ses yeux, son mari n’a pas pris la grosse tête.

Il est vrai que, sous ses airs de communicant, Ridha Khadher ne semble pas avoir oublié sa vocation première : satisfaire tous les clients. Il va même jusqu’à apporter parfois les invendus de la journée aux plus démunis qui habitent dans le parc de la Villette. « Le président n’est pas plus bichonné qu’un autre », confie Patrick, nouvelle recrue dans l’équipe. La recette est la même pour tous, inspirée du bon pain de sa mère. « Un minimum de levure, du repos pendant vingt-quatre heures et un façonnage à la main, sans trop appuyer avec la paume », récite Khadher. Hygiène, dosage précis, il ne laisse rien au hasard et vérifie, d’un oeil averti, le nappage et la coupe des desserts qui trônent dans la vitrine. Pas ces pâtisseries orientales qu’il n’a jamais appris à réaliser, mais des tartelettes sablées qu’il couve d’un regard gourmand, mais auxquelles il ne touche pas. Cet épicurien aime « la bonne bouffe et le bon vin », mais suit un régime protéiné de boxeur régulier.

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Si la ronde des touristes curieux prendra bientôt fin, Ridha espère profiter le plus possible de l’expérience. Dans quelques mois, il devra passer le flambeau. Sa réussite restera néanmoins une attraction pour les amateurs d’intégration à la sauce française…

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