Irina Bokova : à l’Unesco, « nous ne sommes pas un ministère français »
Critiquée pour sa gestion interne et son manque de réactivité, la directrice générale de l’Unesco, Irina Bokova, se représente et défend son bilan.
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Élue en 2009 dans un climat de polémique qui avait fait perdre toute chance à son rival, l’Égyptien Farouk Hosni, la Bulgare Irina Bokova, 61 ans, est la première femme à avoir pris la tête de l’Unesco. Face aux malaises divers qui parcourent l’organisation depuis plus d’une décennie et aux crises majeures qui l’ont récemment frappée, la directrice générale a su maintenir le cap dans la tempête, même si elle n’a pas échappé à la critique, parfois sévère. Diplomate de carrière comme son rival djiboutien, elle se targue du soutien du deuxième groupe régional (Europe de l’Est, Caucase, Russie, certains États d’Asie centrale), mais aussi de la France.
Jeune Afrique : Quel est votre bilan à la tête de l’Unesco ?
Irina Bokova : J’ai été élue en 2009 pour ma vision, guidée par un concept auquel je tiens : le nouvel humanisme. Le monde connaît des changements très profonds – mondialisation, nouvelles technologies, développement, environnement, etc. La géopolitique change, de nouveaux pays émergent, en Afrique notamment, et l’Unesco a un rôle particulier à jouer dans ce mouvement. Mon ambition est de rendre l’organisation pertinente dans le monde actuel. J’ai donc oeuvré au développement de la culture de la paix, un concept né dans les années 1970 à Yamoussoukro et adopté comme priorité par l’Unesco, que j’ai voulu renouveler. Nous avons ainsi organisé l’an dernier un forum sur ce thème à Abidjan, puis un second en Angola, en mars. Et nous travaillons avec l’Union africaine (UA) au lancement d’une grande campagne en faveur de la paix et la réconciliation, primordiale pour des pays qui sortent de conflits comme la Côte d’Ivoire, le Mali ou même l’Angola.
L’Unesco a-t-elle réagi assez rapidement face au Printemps arabe ?
Nous nous sommes beaucoup impliqués dès les premières semaines des révolutions. En Tunisie, nous avons été associés à l’élaboration des lois sur la liberté d’expression. La formation des journalistes, l’accès à l’information, l’encadrement juridique font partie de nos grands projets, et l’organisation de la Journée mondiale de la liberté de la presse en Tunisie l’an passé a été une réussite.
Pourtant, l’écrivain égyptien Mohamed Salmawi vous a vertement critiquée pour votre inaction…
Je comprends sa frustration. Violences sociales, musées et sites pillés, églises incendiées : la situation est très difficile… Nous avons en ce moment même une mission d’experts en Égypte, nous mettons aussi en oeuvre des actions plus discrètes et j’ai multiplié les déclarations. Je reçois cette critique comme un cri du coeur adressé à l’Unesco, mais aussi à l’ensemble de la planète.
Autre jugement sévère, celui de la Cour des comptes française…
Il y a dans ce rapport des recommandations valables. Mais je ne suis pas d’accord avec toutes, et je l’ai dit. Nous ne sommes pas un ministère français. Il y a des décisions que je ne peux prendre moi-même, je dois suivre celles des pays membres. En outre, certains ont déduit de ce document qu’il existait des problèmes de gestion financière. Or malgré la perte de plus de 30 % de notre budget, nous sommes parvenus à préserver nos priorités. Selon certains, je serais restée passive pendant ces deux ans, mais comment alors avons-nous réussi à tenir avec une telle perte ?
L’Afrique soutient votre concurrent djiboutien de manière unanime, a priori. Lui en tiendrez-vous rigueur si vous êtes réélue ?
J’ai conduit de nombreuses actions sur le continent et je tiens particulièrement à la coopération entre l’Unesco et l’UA. Quelles que soient les décisions de vote, je maintiendrai cette priorité africaine.
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Propos recueillis par Laurent de Saint Périer
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