Unesco : la bataille de Fontenoy fait rage
Baisse du budget, polémiques incessantes, absence de vision… L’institution de la place de Fontenoy, à Paris, traverse une crise grave. L’élection de son prochain directeur général se tiendra en novembre. Et la lutte s’annonce féroce à l’Unesco.
Unesco : la bataille de Fontenoy
Malaise dans l’organisation. "Nous, Égyptiens, en particulier les groupes d’archéologues et les employés du ministère des Antiquités, sommes mécontents et regrettons le lourd silence de l’Unesco", s’indignait Ahmad Chehab, vice-président de l’Association de protection du patrimoine égyptien après les saccages des monuments et des musées du pays depuis le 14 août. Plus tôt, le 4 juillet, devant le siège parisien de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco) une poignée d’employés manifestaient – pour la première fois depuis 1999 – leur angoisse face aux graves difficultés budgétaires de l’institution. La crise est "financière, budgétaire, institutionnelle et existentielle", avait déjà alerté un des deux syndicats en janvier. Entre autres causes : le gel des contributions américaines consécutif à l’admission par vote de la Palestine comme État membre en octobre 2011. Plus de 30 % du budget bisannuel 2012-2013 amputé, soit 150 millions d’euros sur les 490 millions prévus. Les quelque 52 millions versés par les États et les donateurs au fonds d’urgence mis en place sont loin d’avoir comblé le trou. "Les priorités ont été maintenues, nos comptes sont équilibrés", tente-t-on de rassurer au siège.
Une bataille cruciale va donc se jouer ces prochaines semaines place de Fontenoy, où trois candidats vont s’affronter pour diriger la destinée de l’organisation. Le 2 octobre, les trois bretteurs vont exposer leur stratégie aux 58 États membres du Conseil exécutif. Le vainqueur sera intronisé par la Conférence générale (du 5 au 20 novembre). Donnée favorite, la Bulgare Irina Bokova, directrice générale sortante, compte notamment sur les suffrages d’Europe de l’Est, du Caucase, de la Russie, de certains États d’Asie centrale et de la France. Face à elle, Rachad Farah, ambassadeur de Djibouti à Paris et champion de l’hémisphère sud, en campagne depuis un an. Dernier à s’être déclaré, l’universitaire libanais Joseph Maïla, qui espère des défections en sa faveur.
>> Lire l’interview de Rachad Farah : "L’Unesco a perdu de sa prestance"
L’actuelle patronne, au caractère d’acier, a pour elle un réseau déjà constitué et une compétence éprouvée. Mais bien des affrontements, lors de précédentes élections, se sont conclus par la débâcle du favori. Bokova elle-même n’a-t-elle pas été élue en 2009 contre le ministre égyptien de la Culture Farouk Hosni, en tête jusqu’au dernier moment ? Une polémique provoquée par des déclarations antisémites lui avait coupé l’herbe sous le pied. Les engagements des États votants – à bulletins secrets – sont souvent promesses de Gascon. "Bokova est talonnée par Farah. Elle court après les voix", croit savoir le candidat libanais.
>> Lire l’interview d’Irina Bokova : "Nous ne sommes pas un ministère français"
Novice, donc "incompétent"
"Les attaques viennent souvent de l’ombre", poursuit Joseph Maïla : "On dit de moi gentiment que je suis certes un homme intelligent, mais on ajoute que je suis novice, sous-entendu incompétent en la matière, alors qu’un directeur général aussi marquant que le Sénégalais Amadou Mahtar M’Bow était issu, comme moi, du milieu académique." Les offensives contre Rachad Farah ciblent d’abord son pays, Djibouti : comment le représentant d’un État décrit par Reporters sans frontières comme "un trou noir médiatique" pourrait-il diriger une entité chargée de promouvoir la liberté d’expression et la démocratie ? Le Djiboutien pare le coup en avançant que certes, son pays n’a pas les deux siècles d’expérience démocratique de la France, mais qu’il est sur la bonne voie et qu’un homme du Sud sera le mieux placé pour convaincre de l’universalité de ces valeurs.
Si Irina Bokova a toutes ses chances, elle est aussi la seule à avoir un bilan à défendre. L’institution a été ébranlée par de vives polémiques – prix Unesco-Teodoro Obiang Nguema, adhésion de l’État palestinien, dégâts infligés au patrimoine des pays touchés par le Printemps arabe, mausolées de Tombouctou détruits au Mali, musées égyptiens pillés et sites syriens pulvérisés -, mais sa directrice ne peut être tenue responsable de tout. Les critiques fusent cependant sur sa réaction tardive au problème égyptien et sur sa conduite de l’administration. En avril 2013, un rapport d’audit très négatif de la Cour des comptes française a enhardi ses concurrents – qui se demandent du même coup comment la France peut encore soutenir la candidate.
Le rapport évalue l’efficacité des mesures budgétaires d’urgence prises après le retrait américain de 2011. Il souligne que les réformes ont été "engagées à un rythme trop lent et sans cohérence" et dénonce "une gouvernance ambiguë, parfois inefficiente, dans laquelle les rôles respectifs de la direction générale et du directeur général adjoint ne sont pas clairement exercés comme ils devraient l’être". Pour Irina Bokova, les auditeurs ont considéré l’Unesco comme un ministère français, ce qui, selon elle, est inapproprié pour une organisation internationale soumise à la volonté de ses États membres. Elle met en avant les évaluations positives des gouvernements britannique, australien et suédois.
Suppressions d’emplois et réductions des frais
Dans la grande hélice de béton qui abrite la plupart des 1 428 employés de l’administration, le rapport de la Cour des comptes n’a fait qu’accroître le malaise des salariés. L’omerta règne, sauf dans cette vidéo publiée sur le site Dailymotion à l’issue d’une réunion du personnel le 16 juillet, où une employée avoue : "Les collègues veulent prendre la parole mais ils ont peur de perdre leur poste s’ils parlent." Dans la même séquence, la directrice annonce : "Nous devons envisager des licenciements." On parle de 300 emplois menacés, soit le cinquième des effectifs. "Je n’ai jamais annoncé une telle suppression. Ce sont des rumeurs, se défend Bokova. Nous avons lancé un programme de retraites anticipées, de départs volontaires, de non-renouvellement de postes."
Mais un diplomate hostile soupçonne une manoeuvre de dissimulation à l’approche de l’échéance électorale, et accuse : "Elle parle de réductions de frais, mais en trois jours, début septembre, elle s’est rendue en Côte d’Ivoire, au Nigeria et en Haïti. Pour le bien de l’Unesco ou pour ses campagnes ?" Car en plus d’un second mandat à l’Unesco qui prendrait fin en 2017, on prête de hautes ambitions à la fonctionnaire. Elle lorgnerait le poste de secrétaire général des Nations unies à New York, qui pourrait se libérer en 2016. "D’ailleurs, on la voit à peine à Paris, poursuit le diplomate. Entre nous on la surnomme Djamila : jamais là…" Place Fontenoy, les mousquets sont chargés. Quel candidat s’en tirera ?
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