« TJ & Double negative », le roman-photo de Jo’burg
L’un est photographe, l’autre écrivain. David Goldblatt et Ivan Vladislavic proposent dans un projet commun une approche fine de la ville sud-africaine, permettant de rallier des mondes différents.
Souvent, la collaboration entre un photographe et un écrivain se limite à un échange de bons procédés. En rédigeant une préface ou un commentaire analytique, le second met sa plume au service d’une oeuvre et voit son texte imprimé dans un beau livre. Quant au premier, il peut bénéficier de la renommée de l’auteur et/ou imposer une coloration particulière à son travail. Généralement, il s’agit d’un emballage marketing visant à donner à l’album une plus grande visibilité. Ce n’est pas le cas des deux livres publiés par le photographe sud-africain David Goldblatt et l’écrivain, sud-africain lui aussi, Ivan Vladislavic. Le projet TJ & Double négative réunit un roman et un album d’images intrinsèquement liés qui se questionnent, se répondent, se complètent et permettent une approche très fine de la ville de Johannesburg.
Des deux auteurs, Goldblatt est bien entendu le plus connu. Ses photos, qui racontent l’apartheid, mais aussi l’évolution de l’Afrique du Sud depuis 1994, sont régulièrement exposées dans les plus grands musées du monde, et son oeuvre, massive, subtile, explique en partie la profusion de talents éclos dans son pays. TJ est une sélection de ses images prises entre 1948 et 2010. Aujourd’hui âgé de 82 ans, le photographe fait référence avec ce titre à l’ancien système d’immatriculation : TJ signifie Transvaal, Johannesburg (la ville est désormais la capitale de la province de Gauteng).
Ce n’est pas un hasard. La voiture revient souvent dans les images de Goldblatt et, lorsqu’elle en est absente, on devine qu’elle a permis de relier, de rallier, des quartiers que tout sépare. "Il y a des lignes de fracture structurelles nées de la création de Johannesburg qui l’empêchent de devenir une ville plus cohésive, plus "une", écrit Goldblatt dans sa préface. La première est sa géographie presque irréversiblement fracturée par un siècle de discrimination raciste. En dépit d’un système de bus rapide qui rapprochera les fractures, sur lesquelles un début d’effort a été consenti, la séparation physique des townships noirs, coloured et indiens des centres névralgiques de la cité s’avérera sévèrement inhibante pour de nombreuses années à venir."
Une Afrique du Sud insaisissable
Mais si l’image de la voiture s’impose avec autant de force, c’est parce qu’elle joue aussi un rôle fondamental – le même, rallier des mondes différents – dans le texte d’Ivan Vladislavic, Double négatif. Élégamment écrit, vivifié par un humour discret et des images fortes, le roman raconte l’évolution de Neville Lister, jeune étudiant vaguement déconnecté du réel, qu’une journée passée avec un photographe célèbre, un certain Saül Auerbach, va lentement mais radicalement transformer. La scène essentielle est celle-ci : Auerbach, accompagné d’un journaliste et de Neville, choisit au hasard une maison de Johannesburg, y entre et y réalise une de ses meilleures photos. Goldblatt le reconnaît : il a lui-même plusieurs fois utilisé cette méthode dans son travail… Le roman de Vladislavic se développe autour de cette expérience que Neville mettra du temps à intégrer : il n’est pas de ceux qui s’affrontent aux frontières, franchissent les murs, abattent les cloisons. L’apartheid ? Il n’a pas fait grand-chose contre, à part fuir au Royaume-Uni. La nouvelle Afrique du Sud ? Il ne parvient pas vraiment à la saisir. Devenu artiste, il est le "double négatif" d’Auerbach-Goldblatt, se déplaçant – en voiture – pour aller photographier des personnes devant le mur de leur maison, sans jamais entrer chez eux… Une correspondance parmi d’autres dans cet exaltant jeu littéraire qui n’est pas sans rappeler les expérimentations de l’Oulipo.
>> Lire aussi : Photographie : regards d’artistes africains
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