Congo-Brazzaville : louangeurs à louer
Au Congo, les atalakus jouent le rôle de chauffeurs de salle pour les artistes… et monnaient parfois leurs services auprès des politiques.
Brazzaville, juillet 2013, cérémonie d’ouverture du Festival panafricain de musique (Fespam), avant l’arrivée de Roga Roga et ses Extra-Musica. Trois chanteurs et danseuses entrent sur scène. Vêtements de marque, coupe de cheveux travaillée, ils haranguent la foule pour la faire danser. Ils sont là pour préparer l’entrée du patron, Roga Roga. La scène est inspirée par les grandes revues soul et funk des années 1960 et 1970, aux États-Unis, où des maîtres de cérémonie annonçaient James Brown, Otis Redding ou Tina Turner.
Ces atalakus, puisque c’est ainsi qu’on les nomme, peuvent arriver deux ou trois heures avant le patron afin d’assurer le spectacle et de préparer l’audience. Leur rôle ? Inventer de petits refrains et créer des pas de danse. Aux musiciens et danseurs de comprendre les changements de rythme. En clair, les atalakus donnent le tempo du morceau et sa couleur. La force d’un groupe congolais réside dans la complémentarité entre atalakus et musiciens.
Des Atalakus qui font de l’ombre aux "patrons"
Leur origine remonte au début des années 1980. En rupture avec une musique qui mettait en avant les instrumentistes, certains artistes comme Zaiko Langa Langa décident de combler les longues plages musicales. L’effet fait mouche, et chaque groupe se voit presque dans l’obligation d’avoir son ou ses atalakus. Le phénomène traverse les frontières et on le retrouve en Côte d’Ivoire où l’avènement du coupé-décalé provoque l’apparition de DJ qui tressent les louanges de leur public, à la manière des griots.
Lors de cette soirée à Brazza, l’un des atalakus d’Extra-Musica a pris la lumière sur scène, jusqu’à faire de l’ombre à Roga Roga. Son nom est Youyou Mobangué. Vêtements griffés, crâne rasé d’un côté et dreadlocks de l’autre, il ne se fait pas seulement remarquer pour son look. Sa manière de chanter et d’apostropher le public est époustouflante. "On ne devient pas atalaku par hasard, il faut beaucoup de travail, savoir chanter, danser et même improviser", confie-t-il. Dernier à avoir intégré la troupe, il y a huit ans, il est toujours considéré comme le nouveau. Mais ce n’est pas pour autant qu’il existe une hiérarchie entre les atalakus. Tous au même rang, ils fournissent le même travail sur scène comme en répétition, et seul le respect des anciens prime.
Une implication politique des atalakus
Pour débuter, il faut passer une audition, et la compétition est rude : il n’y a que peu de places et les détails font la différence. L’un des atalakus les plus populaires du Congo est Bill Clinton Kalonji, qui officia longtemps auprès de Werrason. Lors de son audition, il avait eu l’idée de venir avec un teeshirt à l’efwfigie du président américain… Il n’est d’ailleurs pas le seul à emprunter outre-Atlantique : un ancien atalaku de Koffi Olomidé s’est baptisé CNN et un atalaku d’Extra-Musica a opté pour… États-Unis d’Amérique. À long terme, l’objectif de tout atalaku est d’être le patron de son groupe, et Werrason, Fally Ipupa, Bill Clinton Kalonji et Celeo Scram sont tous passés par cette étape.
Mais le phénomène atalaku a aussi ses dérives. Certains artistes n’hésitent plus à employer des atalakus indépendants appelés "nzonzing". Ces derniers font payer leurs louanges à des chanteurs en mal de notoriété. Dans un pays où le piratage de CD est une pratique très répandue, même les artistes s’y mettent. On a pu ainsi voir Papa Wemba se présenter avec une liste de personnes à promouvoir… Un procédé qui a pour but de financer des albums aux ventes faméliques. Il arrive aussi que des nzonzing viennent en boîte de nuit et monnaient leurs louanges à des clients cherchant à bien se faire voir, quitte à en mettre plusieurs en concurrence pour faire grimper les enchères. Lors des dernières élections en RD Congo, les différents candidats ont chacun employé plusieurs atalakus. Ceux-ci, sans réelle conviction, allaient au plus offrant…
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