Lamya Essemlali, la justicière de la mer
Fille de Marocains, Lamya Essemlali est une enfant de la banlieue parisienne qui se bat pour la conservation de la planète.
Cette pasionaria de la mer, on l’imaginait toute de noir vêtue, sabre au clair, prête à se lancer à l’abordage et à trancher dans le vif sans prendre le temps d’évaluer la nature de l’ennemi. Un journaliste ? Sans doute un bouffeur de thon rouge tenant Greenpeace pour une bande de gentils allumés et Sea Shepherd pour un ramassis d’écoterroristes en pâmoison devant un gourou à barbe blanche nommé Paul Watson. Mais si ses longs cheveux bouclés sont bel et bien tenus en respect par un foulard, celui-ci n’arbore aucune tête de mort : Lamya Essemlali, la présidente de Sea Shepherd France, ne cultive pas le look pirate. Menue, réfléchie et posée, elle a pour armes une rhétorique bien huilée et une batterie de chiffres terrifiante.
Il faut dire que, selon cette Cassandre pétillante, l’heure est grave : à force de massacrer le monde qui l’a vu naître, l’humain court à sa perte. « Il ne s’agit pas de sauver la planète, mais de la conserver dans des conditions propices à l’humanité, corrige-t-elle. On est en train de la transformer en un enfer, au détriment de nos descendants. La défense de l’environnement, c’est aujourd’hui la plus grande cause humanitaire. » À 34 ans, cette jeune femme née à Gennevilliers (banlieue parisienne) « d’une mère arabe et d’un père berbère du Maroc » serait prête à risquer sa vie pour une baleine menacée par le harpon d’un navire japonais. L’association Sea Shepherd, dont elle préside la branche française, n’hésite pas à s’en prendre aux braconniers et à envoyer leurs navires par le fond. Illégal ? Peu de chances qu’une flotte contrevenant aux lois internationales aille porter plainte…
Avant de s’engager pour la défense des phoques, dauphins, thons et globicéphales, Lamya Essemlali a été une petite fille élevée loin de la mer par une mère seule qui faisait des ménages. « L’immigration de mes parents, je l’ai vécue comme une malédiction, j’étais celle qui n’avait pas de chance, celle qui n’était chez elle nulle part, dit-elle. Avec le soleil, la mer, la famille, mes vacances au Maroc étaient comme des bulles d’oxygène. » En banlieue, « même s’il y a une certaine joie de vivre, il y a peu de place pour la faiblesse de caractère, l’apitoiement sur soi ». Cela n’empêche pas la petite fille de CE2 qu’elle fut d’être émue par un oiseau blessé dans la cour de récréation. Jusqu’en 5e, les résultats scolaires sont excellents. Avant qu’elle choisisse « d’avoir des amis » et devienne « très mauvaise ». Sans doute pas tant que ça, puisqu’elle obtiendra son bac. Elle confie avoir été confrontée alors à l’islamisation – elle est « de culture musulmane mais pas pratiquante » – et au risque de la délinquance : « Le nombre de jeunes hyperintelligents que j’ai vu dégringoler et finir vigiles dans un supermarché ou en prison… » Si la souffrance animale l’interpelle, si elle a rêvé, comme beaucoup d’enfants, d’être vétérinaire, elle commence par s’orienter vers un BTS en communication, qu’elle finance en travaillant dans le New Jersey (États-Unis). Neuf mois d’expérience en télémarketing agissent comme une révélation : « Tous les matins, quand je me levais, j’avais envie de mourir, dit-elle. C’était de l’esclavage, je n’étais qu’un pion dans une machine. »
Coup de barre à bâbord, elle reprend des études scientifiques à l’âge de 25 ans, obtient un mastère en sciences de l’environnement, s’engage un temps chez Greenpeace et au WWF, où elle regrette la présence de nombreuses personnes « blasées ». Paul Watson, qu’elle rencontre à Paris en 2005, est loin de l’être. « Êtes-vous prête à risquer votre vie pour une baleine ? » demande le capitaine charismatique. On sait la réponse. Et voilà Lamya Essemlali embarquée avec Sea Shepherd pour une campagne de lutte contre le braconnage aux îles Galápagos, puis en Antarctique. « J’étais quartier-maître, sous la responsabilité d’un officier qui m’a appris les bases de la navigation. » Elle n’en mène pas large dans une houle de 8 mètres de haut, mais Watson sait garder son calme face aux flots déchaînés.
Depuis, elle a coordonné plusieurs campagnes en mer (Méditerranée, îles Féroé), cofondé l’antenne française de Sea Shepherd en 2006, écrit un livre d’entretien avec Paul Watson (Capitaine Paul Watson, entretien avec un pirate, de Lamya Essemlali, Glénat, 290 pages, 22 euros.), et en toute logique cessé de voter comme de consommer des produits provenant « d’êtres sensibles »… « J’aime bien les causes perdues… Et les océans, c’est loin des yeux, il s’y déroule les pires atrocités mais elles passent inaperçues. » Occupée par sa passion, elle confie être « en manque de Maroc ». Mais dans quelques semaines, Sea Shepherd lancera ses pavillons noirs et ses drones à l’assaut des braconniers européens, chinois, russes et coréens qui pillent les rivages de l’Afrique de l’Ouest, volant en poissons « l’équivalent de 7 milliards de dollars (5,3 milliards d’euros) par an ». Elle dit : « L’Afrique n’a pas besoin de charité, elle a besoin de justice. » Et sans doute de justicières.
>> Lire aussi : Maroc : le bracconage du littoral menace l’écosystème marin
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