Maroc : à Casablanca, le tram tram quotidien
Inauguré en grande pompe il y a neuf mois, le tramway de Casablanca s’est désormais fondu dans l’espace urbain. Reportage au fil de la T1, qui relie le quartier de Sidi Moumen à la corniche d’Aïn Diab.
Annoncé par un petit carillon, un serpent rouge et vert s’arrête à quelques dizaines de mètres de la gare de Casa-Voyageurs, quelques retardataires farfouillent dans leur poche à la recherche de la dernière pièce de 50 centimes pour acheter un billet. Les plus malins, porteurs d’une carte d’abonnement, sont déjà à bord. Trop tard pour le client devant le distributeur automatique, le tramway s’ébranle. Qu’à cela ne tienne, le train suivant est annoncé dans cinq minutes. Le temps de retenter sa chance avec cette satanée pièce. Un des agents fait patienter d’autres clients qui attendent, les redirige vers un autre distributeur, il contrôle aussi le franchissement de la barrière qui permet de valider son ticket. À bord, l’ambiance est plutôt calme en cette après-midi estivale. "Ah ! soupire Aymane, ça fait du bien ! Ça nous change des horribles bus de mon enfance." Tout le monde apprécie la climatisation, une bénédiction : le mercure affiche 34 °C à l’extérieur. Nettoyées tous les jours, les rames sont impeccables, mais on ne peut pas en dire autant des abords des stations. Si le tramway de Casablanca offre pour la première fois un service de transport de masse de qualité internationale, les mentalités, elles, n’ont pas changé du jour au lendemain.
Durant quatre longues années de travaux, les Casablancais ont maudit ce tramway censé révolutionner leurs déplacements et qui était surtout synonyme de poussière, de bouchons et de difficultés de stationnement. Sans aller jusqu’à provoquer l’hostilité générée par le projet de ligne à grande vitesse entre Tanger et Rabat (stoptgv.com), il a d’abord été accueilli avec scepticisme. Les critiques qui ont émaillé son douloureux enfantement témoignent d’un certain état d’esprit casaoui. Mais elles se sont vite tues à la naissance du bébé. Jusqu’à l’été 2012, la plupart des riverains interrogés répondaient avec aplomb qu’"il ne sera[it] jamais prêt à temps". La faute aux délais allègrement malmenés dans d’autres projets d’envergure ? "La faute aussi à une bonne dose de mauvaise foi en tout cas, puisque les grands projets d’infrastructure sont souvent réalisés dans les temps", avance, pour sa part, Leïla, consultante en organisation.
Pour le tramway, on a craint le pire avec la défaillance de certains contractants, mais les efforts de tous ont permis une inauguration le "12/12/12" (comme prévu) par le roi Mohammed VI, en présence du chef du gouvernement, Abdelilah Benkirane, et du Premier ministre français, Jean-Marc Ayrault. La venue de l’ancien maire de Nantes, première ville française à avoir remis en service un tramway urbain, n’était pas seulement symbolique. Deux entreprises françaises sont étroitement associées au projet. Il s’agit d’Alstom, qui a livré les rames et fourni l’installation électrique, et de RATP Dev, qui gère l’exploitation du réseau. Une exportation réussie du savoir-faire français, saluée comme il se doit par Jean-Marc Ayrault devant une assemblée de grands patrons marocains et français, rassemblés à quelques mètres du lieu de l’inauguration.
Mohammed VI et Jean-Marc Ayrault lors de l’inauguration
le 12 décembre 2012. © Azzouz Boukallouch/AFP
Le test du derby réussi
Moins d’une semaine après sa mise en service, le tramway était confronté à son premier test. Le derby local de football entre le Wydad et le Raja, souvent émaillé de violences, allait-il réduire à néant l’image d’un moyen de transport propre, silencieux et civilisé ? Les hordes de hooligans s’abattant sur le centre-ville allaient-elles ne faire qu’une bouchée des rames flambant neuves ? Et puis quelle idée d’habiller de rouge ces mêmes voitures, au risque de provoquer l’ire des Rajaouis, qui – comme chacun sait – voient vert. Le jour J, la présence remarquée des forces de l’ordre n’a pas surpris les habitués. La ville est quasiment en état de siège, deux fois par an, à chaque derby. Les riverains du complexe Mohammed-V, un stade de plus de 65 000 places situé en plein quartier résidentiel, se barricadent, mettent leur voiture à l’abri, imposent le couvre-feu à femme et enfants. Des milliers de tifosis se dirigent par longues cohortes au stade, le plus souvent à pied, escortés par des fourgons de police, toutes sirènes hurlantes. Miracle, le tram fonctionne ce jour-là. Normalement. "Il ne s’est rien passé", se souvient Réda, journaliste sportif. Caméras de surveillance embarquées dans les voitures et installées sur les quais, policiers en uniforme et en civil placés dans chaque module de rame, le dispositif de sécurité est suffisamment dissuasif.
En réalité, le tramway fait déjà partie du paysage. Les longs travaux ont habitué les Casaouis à sa venue ; les aménagements de voirie, plus de 200 000 mètres de trottoirs entièrement refaits, et les panneaux de signalisation ont préparé le terrain. Sur certains tronçons, le changement est spectaculaire. Une partie du boulevard Mohammed-V (anciennement boulevard de la Gare) est devenue piétonne. Sur cette artère, un vieux tramway circulait déjà jusqu’aux années 1950. Les façades d’immeubles, dont certaines, de style Art déco, sont classées, ont été ravalées. Une invitation à se réapproprier une partie du patrimoine architectural de la ville, menacée de destruction. Certains se réjouissent de cette gentrification progressive. Pour l’heure, le centre-ville reste très délabré, mais ceux qui sont convaincus du potentiel bobo du quartier ont déjà commencé à s’intéresser au prix du mètre carré, notamment les agences immobilières. Ce qui fait sourire Hassan, un habitué des lieux : "Avant, quand je levais la tête pour regarder les immeubles, les gens me prenaient pour un fou."
Long de 31 km, le tracé de la ligne T1 – de Sidi Moumen à la corniche d’Aïn Diab – réunit des quartiers que tout sépare. Cet été, le tramway a été très prisé des plagistes, qui ont supporté le long détour pour profiter de la climatisation. Surtout, l’argument du prix s’est révélé convaincant. Contrairement aux idées reçues, le transport coûte cher dans une ville comme Casablanca, où les transports publics sont insuffisants. La commune, qui a étudié les habitudes de la population, avait conclu il y a quelques années que les gens se déplaçaient surtout à pied, dans une ville tentaculaire. Le prix du billet a été fixé par le conseil de la ville à 6 dirhams (0,50 euro) le voyage. À ce tarif, l’équilibre d’exploitation n’est pas assuré, et la mairie doit en subventionner une partie. À titre de comparaison, le billet de bus coûte de 3,5 à 4 dirhams, le déplacement moyen en petit taxi de 10 à 12 dirhams. Surtout, Casa Tramway propose à ses usagers des formules d’abonnement avantageuses : 230 dirhams mensuels pour un nombre de voyages illimité et 150 dirhams pour les publics scolaire et étudiant.
1200 emplois créés
Même s’il ne remplace pas (encore) les autres modes de transport, le tramway reste une solution de choix pour rallier certains axes d’ordinaire très engorgés. Pour rejoindre le marché informel de Derb Ghallef, premier marché informatique et d’habillement de la ville, il est imbattable. De même qu’il dessert l’avenue Hassan-II, siège des grandes banques et compagnies d’assurance. Pour les étudiants souhaitant gagner les facultés du sud de Casablanca, c’est un secours appréciable. Dans le quartier de Sidi Moumen, célèbre pour avoir fourni les kamikazes du 16 mai 2003, la société d’exploitation a choisi d’installer son centre de maintenance, avec 1 200 emplois créés.
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