Quelle révolution syrienne ?
Pour les démocrates arabes, le régime de Bachar al-Assad était parmi les plus honnis. Sa chute aurait marqué la fin d’une époque et ouvert de nouvelles perspectives pour l’ensemble de la région. Dans le flux des révolutions de 2011, la tentation de croire à un printemps syrien a été forte. Mais à peine né, le soulèvement populaire a été tué dans l’oeuf ; très vite, sous la pression de forces régionales, les mots d’ordre de "liberté", "dignité" et "justice sociale" ont fait place à des slogans idéologiques où il était question de religion et de volonté divine. Le peuple syrien, qui n’avait jamais formulé de telles revendications, n’avait plus qu’à choisir entre la peste et le choléra. Qu’il réchappe de l’une ou de l’autre, les séquelles sont déjà lourdes : la population est divisée, l’infrastructure économique gravement endommagée, le patrimoine ravagé.
Il appartiendra aux générations futures d’effacer tous ces stigmates. Mais encore faut-il que la Syrie conserve sa souveraineté. Le pays n’a pas été le théâtre d’une révolution mais d’événements nés d’une realpolitik orchestrée par la Turquie, le Qatar et l’Arabie saoudite pour neutraliser l’Iran, avec les États-Unis et la Russie en chefs marionnettistes. On peut même dire que le premier mouvement de cette révolution présumée laïque et démocratique était un leurre tant il a été rapidement pris en otage par ces rivalités fratricides et régionales. L’Occident n’y a rien compris, ou a feint de ne pas comprendre, au point d’adopter des positions absurdes. Au prétexte de destituer Bachar, les Occidentaux ont soutenu les extrémistes religieux et les jihadistes, dont ils combattent par ailleurs l’idéologie, fournissant ainsi des armes qui se retourneront tôt ou tard contre eux. À vouloir coûte que coûte la perte d’un dictateur, qu’ils choyaient quelques mois auparavant, ils se sont rangés du côté des ennemis de la démocratie. L’Armée syrienne libre, qui manque cruellement de moyens, a été réduite à peu de chose, tandis que les ultra-religieux étaient organisés et soutenus, notamment par Al-Qaïda. Bien évidemment, enjeux économiques et régionaux obligent, les exactions commises au nom d’un wahhabisme rampant ont été absoutes. Les rapports de force politiques ne sont jamais à un paradoxe près. L’axe Washington – Tel-Aviv – Riyad s’est abrité derrière des prétextes humanitaires pour prendre en tenailles le Hezbollah, allié de Damas et avant-garde de la résistance anti-israélienne. L’éviction, aussi rapide qu’inattendue, de l’émir du Qatar Hamad Ibn Khalifa Al Thani s’inscrit dans cette logique : couper le Hezbollah de ses soutiens et le priver au maximum de ressources extérieures. Dans ce contexte régional tendu et fluctuant, la Turquie se verrait bien jouer le rôle de l’Iran. Et Israël, qui lorgne avec convoitise le Liban, est au bout du compte le vainqueur du conflit.
La révolution syrienne est bel et bien finie, et depuis longtemps. La Tunisie ne l’a pas compris, qui a lancé trop vite les concertations des "amis de la Syrie", trahissant un manque de discernement diplomatique, d’autant qu’elle n’a pas pris position contre une éventuelle intervention occidentale, alors que 1 900 Tunisiens sont morts dans cette guerre. Le résultat est aussi triste que terrible. Nos fils, armés par les puissances dites démocratiques, tuent nos frères. Les Arabes sont devenus les ennemis des Arabes, faute de lucidité et de maturité politique. Dans cette manipulation, qui dépasse largement le cadre syrien et régional, la seule issue est une solution négociée. Tout comme l’opinion internationale, nous gardons à l’esprit les précédents irakien et libyen, et rejetons catégoriquement une intervention militaire.
>> Lire aussi : Syrie : le grand malaise maghrébin
Mais ne soyons pas naïfs ; ce n’est pas la pression anti-interventionniste qui a fait reculer Obama, mais une forme de réalisme. Car on a beau dénoncer et expliquer, les leaders du monde restent sourds à tout argument qui n’irait pas dans le sens de leurs intérêts. Nous ne sommes plus, si tant est que nous l’ayons jamais été, dans un contexte où il s’agit de soutenir une révolution. Ce n’est qu’un prétexte pour mettre à genoux un pays clé de la région et substituer à son régime un pouvoir favorable aux États-Unis et neutre vis-à-vis d’Israël. Mais l’Iran et la Russie ne l’entendaient probablement pas de cette oreille. À preuve, Bachar n’est pas tombé.
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Samir Taïeb, porte-parole d’Al-Massar (parti de gauche tunisien)
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