Le temps des fossoyeurs

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  • Tshitenge Lubabu M.K.

    Ancien journaliste à Jeune Afrique, spécialiste de la République démocratique du Congo, de l’Afrique centrale et de l’Histoire africaine, Tshitenge Lubabu écrit régulièrement des Post-scriptum depuis son pays natal.

Publié le 11 septembre 2013 Lecture : 2 minutes.

La cinquantaine, le cheveu rare, le corps frêle, il travaille depuis cinq ans dans une pension de famille. Je l’appelle… Modeste. Chaque jour, il nettoie les chambres, fait les lits, lave et repasse le linge. Accessoirement, il se transforme en garçon de courses. À la fin du mois, il touche 75 000 F CFA, c’est-à-dire environ 114 euros ou 150 dollars. Modeste n’a pas de voiture, il n’est pas propriétaire. De cette somme, il retranche ce qu’il faut pour ses déplacements entre son domicile et son lieu de travail, le montant du loyer, les frais de scolarité et de transport de ses enfants. Avec le reste, il faut s’arranger pour assurer le repas quotidien. Quand je sors ma calculette, je me rends compte que ce Modeste est un faiseur de miracles. Et je ne résiste pas à la tentation de lui demander comment il s’en sort. Sa réponse est un mélange de fatalisme et de malice. Il me dit : "Par la grâce de Dieu."

Modeste en profite pour me raconter sa vie. "Vous savez, chef (ah bon ?), ma femme a accouché il n’y a pas longtemps. Elle avait ce jour-là 24 de tension. Le médecin m’a dit : "Si vous aimez votre femme, il ne faut plus qu’elle tombe enceinte." Elle a pris des médicaments contre l’hypertension. Mais je ne peux plus lui en acheter. Elle continue à vivre grâce à Dieu." Le visage de Modeste s’assombrit. L’émotion brise sa voix. Il se tait quelques minutes, avant d’enchaîner : "L’un de mes enfants a été reçu au baccalauréat l’année dernière. Je voulais l’inscrire à l’université. Je suis allé voir mon patron. Et je lui ai demandé de me prêter un peu d’argent pour cela, quitte à opérer des retenues mensuelles sur mon salaire. Mais mon patron a piqué une colère terrible, il s’est mis à crier, avant de m’intimer l’ordre de me taire si je ne voulais pas être renvoyé. Je me suis tu. Mon fils est toujours à la maison."

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Des gens comme Modeste, on en trouve des millions sur le continent africain. Ils ont un emploi, certes, mais ils sont payés au lance-pierre. Ils n’ont pas de contrat de travail, pas de sécurité sociale, pas d’assurance-maladie. Leurs employeurs ne les ayant déclarés nulle part, ne payant aucune cotisation, ils n’auront jamais de retraite et passeront leur vieillesse dans une misère révoltante. Leurs "employeurs" les chassent à la moindre contrariété. Ce lumpenprolétariat ou sous-prolétariat, comme disaient les marxistes-léninistes, représente l’essentiel des employés dans nos pays en butte à des armées entières d’inactifs. Ces hommes et ces femmes exploités à outrance, vous les voyez tous les jours dans les restaurants, les commerces, les hôtels, les bars… Vous les avez dans vos propres maisons, vous les "grands" de nos pays, les élites, les bien-pensants, les donneurs de leçons, les défenseurs de la veuve et de l’orphelin. Vous les traitez comme s’ils étaient des esclaves, corvéables à merci. Pourtant, vous savez que l’employeur et l’employé sont liés par un contrat de travail écrit, conformément à la législation. Vous avez vous-mêmes des contrats de travail. Dites-moi quelle fierté vous tirez de cette exploitation éhontée de vos propres compatriotes, à qui vous vous adressez comme s’ils valaient moins que vos chiens ?

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