Mali : complots et trahisons, retour sur 17 mois de chaos
Du putsch de mars 2012 à l’élection d’IBK, que de péripéties ! Un chef d’État a frôlé la mort, le pays est passé à deux doigts de la dictature militaire… Retour sur dix-sept mois de chaos, à la veille de l’investiture du nouveau président.
Mali : renaître !
Des législatives cruciales pour l’avenir du pays doivent encore avoir lieu, mais la page qui s’est ouverte avec le coup d’État de mars 2012 semble s’être définitivement refermée avec l’élection à la présidence d’Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), le 11 août 2013. Le Mali revient de loin. Pas seulement du fait de l’agression touarègue et jihadiste dans le Nord. Le putsch lui-même aurait pu avoir des conséquences beaucoup plus désastreuses sur la stabilité du pays s’il avait abouti à la mise en place d’une transition militaire dont le succès était plus qu’incertain.
Sanogo, au bon moment et au bon endroit
Selon la plupart des témoignages, le 22 mars 2012, les mutins prennent le pouvoir un peu par hasard et ne savent qu’en faire. Même si IBK apparaît déjà comme un recours tant il est populaire dans les casernes, impossible pour lui d’entamer une carrière de dictateur… "Il a toujours voulu le pouvoir, mais de manière démocratique et pacifique", explique l’un de ses proches collaborateurs. Même lorsque le capitaine Amadou Haya Sanogo, dans la nuit du 21 au 22 mars, le harcèle au téléphone, IBK tient bon et ne décroche pas. Mieux : dès le lendemain, il condamne clairement le coup d’État.
Les militaires tentent alors d’imposer leur propre style avec la proclamation d’une loi fondamentale, le 26 mars. Sanogo assume lui-même la fonction de chef de l’État, avant de reculer et de rétablir la Constitution, le 1er avril, devant les menaces d’embargo diplomatique et financier de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Aurait-il lâché si facilement du lest si les militaires avaient été mieux préparés ? Rien n’est moins sûr. Et la communauté internationale aurait vraisemblablement eu beaucoup plus de mal à rétablir un semblant d’ordre constitutionnel.
"Sanogo est arrivé au bon endroit au bon moment. Ce n’était ni le plus populaire ni le plus charismatique, il était juste le plus gradé. Le coup d’État était spontané, même si, après, on a appris qu’une "petite chose" avait été organisée…" confie Yamoussa Camara, nommé ministre de la Défense du deuxième gouvernement de Cheick Modibo Diara, en août 2012, et reconduit dans ses fonctions dans celui de Diango Cissoko, en décembre. Ce général proche des putschistes fait référence à deux sous-officiers de l’ex-junte, le major Djinama Fomba et l’adjudant-chef Seyba Diarra, qui ont été, selon plusieurs sources, les cerveaux de la révolte.
Il n’est pas interdit non plus de penser qu’on a frôlé l’instauration d’une dictature militaire avec la tentative d’assassinat du président de la transition, le 21 mai 2012. Ce jour-là, une foule de manifestants en colère se dirige sur le palais de Koulouba. Objectif : protester contre la reconduction au poste de président de Dioncounda Traoré (investi le 12 avril) au-delà des quarante jours d’intérim constitutionnel pour engager une transition d’un an, selon le souhait de la Cedeao, qui prévoit aussi l’envoi de troupes étrangères pour sécuriser les organes de la transition. Alors que le dispositif renforcé instauré par Tiéfing Konaté, le ministre de la Sécurité intérieure, a été démobilisé – vraisemblablement à la suite d’un contrordre venu du camp militaire de Kati, quartier général de la junte -, aucun policier ni gendarme n’est visible dans Bamako. Les militaires en faction au palais, dont certains sont hilares, ne tireront même pas un coup de semonce pour protéger le président. Qui est lynché et laissé pour mort.
En convalescence à l’hôtel Pullman-Montparnasse, à Paris, après avoir été évacué en France le 23 mai, Dioncounda Traoré confie à ses proches qu’il est persuadé que Sanogo (qu’il nommera pourtant plus tard général quatre étoiles) est responsable de son agression. "Il y a bien eu complot, mais mené par qui ?" fait mine de s’interroger Tiéman Hubert Coulibaly, l’ex-ministre des Affaires étrangères. Les responsables de la junte, eux, avancent tous la même explication : "Les gardes ont été débordés et n’ont pas voulu tirer sur la foule…"
>> Lire aussi : Comment Diango Cissoko a supplanté Modibo Diarra
"Rouyer a déjoué le coup d’État"
Ce n’est pas la seule fois où Dioncounda Traoré l’aura échappé belle. Le 10 janvier 2013 au soir, alors que l’armée malienne subit une lourde défaite face aux jihadistes à Konna (au centre du pays), la résidence du président à Bamako est envahie par des militaires menaçants, qui prétextent un renforcement de sa sécurité pour le mettre aux arrêts. Sentant que "c’est la fin", celui-ci passe alors des coups de fil pour appeler à l’aide. Informé de la situation, Christian Rouyer, l’ambassadeur de France à Bamako, prévient Paris. "Cette nuit-là, Rouyer a déjoué le coup d’État", assure un collaborateur de Traoré. De fait, les frappes de l’opération Serval commencent dès le lendemain, le 11 janvier.
Mais pour bien saisir le contexte et les enjeux de l’intervention française, il faut considérer en détail la chronologie des événements au tournant de l’année 2012-2013. Les 9 et 10 janvier, en pleine offensive jihadiste, des groupes proputschistes manifestent violemment à Bamako et à Kati contre Dioncounda Traoré, dont ils réclament le départ. Ils protestent en particulier contre sa récente décision d’annuler l’organisation de concertations nationales avec les différents partis et contre la résolution 2085 du Conseil de sécurité de l’ONU du 20 décembre 2012, qui autorise le déploiement de la Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine (Misma).
Des écoutes françaises prouveraient la collusion de certains manifestants proches de la junte avec les jihadistes, dont l’offensive aurait pu fournir un prétexte à l’instauration d’un régime militaire de type comité de salut public. Des mouvements antiputsch regroupés dans le Front uni pour la sauvegarde de la démocratie et de la République (FDR) vont jusqu’à accuser IBK d’être complice de ce qui est, selon eux, une évidente tentative de coup d’État. "Il est vrai que des responsables du RPM [Rassemblement pour le Mali, le parti de Keïta] faisaient partie des manifestants, mais c’était contre l’avis d’IBK qui, bien qu’il se sentît trahi par Dioncounda après l’annulation des concertations nationales, savait qu’il y aurait des infiltrations et des manipulations, témoigne Mahamadou Camara, son porte-parole de campagne. Nous avons mal communiqué, nous ne pensions pas que ces accusations pourraient se propager !" IBK ne se démarquera vraiment des manifestants que le 12 janvier. Trop tard : le mal est fait. Le nouveau chef de l’État devra redoubler d’efforts pour regagner la confiance d’opposants qui le considèrent comme "le président de la junte".
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