Algérie : le quotidien El Watan en grave difficulté
Il est l’un des rares médias francophones encore ouvert à l’opposition. Mais, criblé de dettes, ce titre emblématique risque bien de disparaître dans les prochains mois.
Privé de publicité, ses comptes bancaires bloqués et en redressement fiscal, El Watan, le grand quotidien francophone algérien, vit sa plus grave crise depuis sa fondation en 1990 par un collectif de journalistes. Il risque de connaître la même triste fin que l’autre grand quotidien algérien, Liberté, sabordé au mois d’avril par son propriétaire, le fondateur du groupe Cevital Issad Rebrab.
Regroupés autour de leur syndicat, sans salaire depuis près de cinq mois, les travailleurs de l’entreprise El Watan ont décidé le 12 juillet de lancer une grève cyclique et graduelle pour interpeller leur direction sur « la situation intenable qu’ils subissent ».
Les employés estiment avoir choisi de travailler sans salaire durant ces cinq longs mois pour « permettre la parution quotidienne du journal » et « donner le temps à la direction de trouver une issue aux problèmes financiers que traverse l’entreprise ». Seulement, aujourd’hui, ils « constatent avec regret qu’en plus de son incapacité à trouver une issue à la crise, la direction ne propose aucun dialogue sérieux au partenaire social ».
Découvert abyssal
De son côté, dans un communiqué publié le 12 juillet dans la matinée sur le site web du journal, le conseil d’administration de l’entreprise SPA El Watan avait pris les devants en informant de la volonté des travailleurs de recourir à la grève pour protester contre le non paiement de leurs salaires.
Avant de préciser que la direction du journal « s’attelle depuis des mois à trouver des solutions avec l’administration fiscale et la banque principale de la SPA, le Crédit Populaire d’Algérie (CPA), qui lui ont bloqué tous les comptes financiers ». El Watan, qui avait vu son contrat avec l’Agence nationale d’édition et de publicité (Anep), principal distributeur de la publicité étatique, rompu unilatéralement par celle-ci, regrette de ne pas bénéficier de la manne publicitaire de l’État.
Depuis le blocage de ses comptes, du fait d’un découvert bancaire de 70 millions de dinars (474 000 euros), le journal n’est plus en mesure de payer ses salariés ni les traites dues aux banques qui lui ont fait crédit, principalement pour construire son siège.
Achevé depuis juin 2016, l’imposant immeuble de 8 étages fait toujours l’objet d’une mesure conservatoire de la part des pouvoirs publics pour des « irrégularités » lors de sa construction. Pour ne rien arranger, le journal fait l’objet d’un redressement fiscal d’un montant de plusieurs millions de dinars.
L’entreprise avait bien obtenu un accord de rééchelonnement dans un premier temps, mais celui-ci a finalement été annulé de façon unilatérale par l’administration fiscale. Cette situation a obligé l’entreprise à liquider quelques-uns de ses actifs immobiliers. Sans qu’elle parvienne pour autant à équilibrer ses comptes.
Années fastes
Au début des années 2000, à l’ouverture du marché algérien aux géants de la téléphonie mobile et de la construction automobile, El Watan, à l’instar des autres journaux indépendants, comptait plusieurs pages de publicité au quotidien. Cependant, regrettent plusieurs journalistes, les centaines de milliards de dinars engrangés durant ces années fastes n’ont pas servi à pérenniser le titre ni à lui faire prendre le virage du numérique.
Aujourd’hui, il ne subsiste sur le marché que la publicité institutionnelle confiée en totalité à l’Agence nationale de l’édition et de la publicité (Anep). Un monopole depuis longtemps dénoncé par les partis de l’opposition et par les professionnels du secteur des médias. Mais tous les appels visant à permettre une distribution de ce marché selon une logique économique et commerciale, et non politique, sont restés vains.
Considéré comme un journal de référence en Algérie, El Watan comptait il y a encore quelques années plus de 300 employés pour un tirage qui a souvent dépassé les 120 000 exemplaires.
Le journal a vu sa rédaction se vider et ses effectifs réduits de moitié. L’instabilité a touché également sa direction. Depuis le départ de l’emblématique directeur de la publication Omar Belhouchet en 2019, deux journalistes actionnaires, Tayeb Belghiche et Mohamed Tahar Messaoudi, se sont succédé à la tête de la rédaction. L’un des rares espaces encore ouverts à l’opposition et à la société civile, El Watan, suspendu à six reprises en 32 ans d’existence, risque donc de mourir. Étouffé sous le poids de ses dettes.
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