Syrie : comment neutraliser l’arsenal d’Assad ?

Il ne suffira pas de quelques raids aériens limités pour annihiler les capacités de nuisance du maître de Damas. De quel arsenal celui-ci dispose-t-il encore ? Laurent Touchard, historien spécialisé dans les questions militaires et le terrorisme, et animateur du blog Défense sur jeuneafrique.com fait le point.

Bachar Al-Assad au milieu de troupes loyalistes à Daraya, le 1er août. © HO/AFP

Bachar Al-Assad au milieu de troupes loyalistes à Daraya, le 1er août. © HO/AFP

Publié le 11 septembre 2013 Lecture : 6 minutes.

Déclarations plus ou moins bellicistes à Washington et à Paris… Atermoiements parlementaires à Londres… Mises en garde à Moscou… Dans la crise syrienne, la vraie-fausse détermination des autorités françaises, largement liée à des considérations de politique intérieure, étonne. Mais pas plus que la soudaine prudence de Barack Obama, ou que l’incroyable revirement de Vladimir Poutine, qui s’est dit prêt à agir si des preuves "concluantes" lui étaient fournies, avant de proposer un plan de destruction d’armes chimiques auquel tout le monde s’est empressé d’adhérer… du bout des lèvres.

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Les raisons de cette agitation diplomatique sont connues : le massacre perpétré au moyen d’armes chimiques par une unité de l’armée syrienne dans la Ghouta, non loin de Damas ; et la question de savoir si les pays occidentaux doivent infliger aux forces de Bachar al-Assad une "punition", avec quelle force et quels objectifs. En revanche, personne ne conteste, bien sûr, la nécessité de dissuader le régime syrien de recourir à nouveau à des substances chimiques. Et de le convaincre de mettre un terme à la guerre totale qu’il a déclenchée contre ses opposants.

Par rapport à 2011, à l’aube de l’insurrection, les forces gouvernementales sont indiscutablement affaiblies. À cause des défections dans leurs rangs (certains avancent le chiffre de cent mille déserteurs), des pertes en hommes et en matériels qu’elles ont subies, et du manque de pièces de rechange auquel elles sont confrontées. En outre, le régime n’utilise pas tous les moyens dont il dispose. Bachar al-Assad doute de la loyauté de certaines unités, qui, du coup, restent cantonnées dans leurs casernes. Quinze cents officiers sunnites ont même été arrêtés. Seules sont engagées les unités commandées par des officiers à la fidélité éprouvée.

L’armée de l’air n’a pas été épargnée par les désertions. Nombre des appareils dont elle dispose sont en outre dépourvus de toute capacité d’attaque au sol. Ces intercepteurs sont donc inopérants contre les opposants, tandis qu’en combat aérien ils sont désormais dépassés. Selon toute apparence, ils ne pèseraient pas bien lourd face à une armada étrangère. Pourtant, en dépit de ces lacunes, l’aviation reste l’une des pièces maîtresses du régime. Du moins pour l’instant. Car viendra sans doute le moment où la plupart de ses appareils ne seront plus en mesure de voler. Soit par manque de moyens, soit parce que les insurgés se seront dotés d’armes antiaériennes.

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Les civils : des "boucliers humains"

Même dans l’hypothèse où seul un tiers des moyens dont disposait le régime en 2011 seraient actuellement opérationnels, cela représenterait encore beaucoup de cibles potentielles ! En détruire une quantité significative afin de "punir" Assad autrement que symboliquement demanderait du temps. Beaucoup plus encore si l’objectif était de contribuer à son renversement.

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Point positif, en revanche, dans la perspective d’une éventuelle intervention : la question des dommages collatéraux se poserait avec moins d’acuité que lors d’autres conflits. Les forces du régime ont en effet chassé la plupart des habitants des zones urbaines reconquises ou contestées. On recense au moins 1,1 million de déplacés à l’intérieur du pays – compte non tenu de ceux qui l’ont quitté. Mais cet avantage a perdu de son importance. Pour décourager d’éventuelles frappes, les pro-Assad recourent en effet de plus en plus fréquemment aux "boucliers humains".

Concernant la neutralisation des vecteurs aériens d’armes chimiques, la tâche est relativement simple : les bases aériennes ne risquent pas de s’envoler ! Mais c’est une autre paire de manches s’agissant des pièces d’artillerie automotrices ou mobiles, ou des lanceurs mobiles de missiles balistiques. Détruire ces derniers implique de les repérer avant qu’ils n’aient eu le temps de tirer leur charge mortelle. Ce qui pourrait nécessiter d’accroître les effectifs des forces spéciales déjà présentes, clandestinement, dans la région. De concert avec des unités d’élite, elles pourraient aussi être chargées de sécuriser les installations chimiques.

Des frappes aériennes n’élimineraient pas totalement la capacité de nuisance des forces de Bachar al-Assad. D’autant que le commandement de ces dernières est aujourd’hui beaucoup moins centralisé qu’en 2011. Pour trois raisons essentielles. D’abord, la fragmentation du terrain contrôlé. Ensuite, le compartimentage qu’implique le combat en zone urbaine (rues, pâtés de maisons, quartiers). Enfin, la "milicisation" des unités loyalistes par l’intégration de divers groupes paramilitaires : forces nationales de défense, shabiha, etc.


Bases militaires anglaises, américaines et françaises. © Jeune Afrique

La milicisation à l’origine de l’attaque du Ghouta

Or les milices ne sont pas réputées pour leur discipline. Dans le cadre d’une guerre conventionnelle, c’est un handicap. Dans le cadre d’un affrontement dissymétrique, voire hybride, cela présente deux avantages. 1. Les milices peuvent se passer de hauts dirigeants ou d’officiers généraux pour combattre. Si ces derniers sont éliminés, la lutte peut se poursuivre sous le commandement de petits chefs locaux. 2. L’état-major ne peut être accusé de crimes commis par des groupes qui, en théorie, échappent à son contrôle.

La "milicisation" est donc bien pratique, comme en témoigne le drame survenu dans la plaine de la Ghouta. Les interceptions électroniques de communications syriennes semblent démontrer que l’ordre n’a pas été donné en haut lieu de tirer des roquettes à tête chimique. Il s’agirait de l’initiative individuelle d’un officier convaincu d’accomplir son devoir en tuant un maximum d’adversaires…

Reste que, même si Assad et ses généraux n’ont pas donné l’ordre fatal, ils ont créé les conditions de la tragédie. En transformant l’armée en un agglomérat de milices impitoyables. Et en inoculant le virus du terrorisme à toute une frange de l’opposition par la multiplication des massacres. Ils ont transformé la lutte contre une insurrection populaire en une guerre civile. Expulser la population des villes par le feu, le fer et les neurotoxiques est assimilable à un nettoyage ethnique. Amener des membres d’une communauté confessionnelle à se livrer à des massacres, c’est engendrer un monstre hideux. Peu importe que tous les Alaouites, tous les Druzes, tous les chiites et tous les chrétiens ne soutiennent pas le régime.

Peu importe que les sunnites ne soient pas tous des jihadistes fanatiques. C’est ce que beaucoup retiendront : Assad n’a pas simplement tué son peuple, il a assassiné toute une nation. Un interminable assassinat qui se prolongera bien au-delà d’une hypothétique intervention limitée. D’ailleurs, la guerre civile survivra à Assad et à ses généraux. La meilleure arme du dictateur, ce n’est pas son armée "milicisée". Ni ce qui lui reste de chars, de pièces d’artillerie et d’avions. Ni ses munitions chimiques ou ses missiles balistiques. Ni ses alliés russes, chinois et iraniens. Non, son arme de destruction ultime, c’est la haine qu’il a fabriquée et a réussi à instiller à son peuple.

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Les Russes bluffent-ils ?

Énigme stratégique : Bachar al-Assad dispose-t-il de missiles antiaériens S-300 très performants achetés à Moscou ? Un tel système de défense rendrait beaucoup plus risquée une frappe aérienne occidentale. Le contrat portant sur l’acquisition de quatre batteries S-300 (comprenant 144 missiles), version russe du Patriot américain, a été signé en 2010, livraison prévue en 2014. Problème : fin mai, Assad affirmait que "la Syrie [avait] reçu une première cargaison de missiles russes". Et que "le reste de la cargaison [arriverait] prochainement". Affirmation nuancée par Vladimir Poutine, le 4 septembre : "Nous avons fourni certains composants, mais nos livraisons sont pour l’instant suspendues." Le raid israélien dans la région de Lattaquié, début juillet, a prouvé que, si le système était déjà en place, il n’était pas encore opérationnel. Le 3 septembre, le tir d’un missile de croisière israélien à partir de la Méditerranée centrale visait-il à tester les défenses syriennes ? "Damas possède-t-il les S-300 ? Nous n’en savons rien, concède Peter Harling, de l’International Crisis Group. Le bluff est un élément important de la tactique russe." Laurent de Saint Perier

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