Ali Bongo Ondimba : « La seule chose qui compte, ce sont les résultats »
Bilan, réformes, opposition, pouvoir, critiques, crimes rituels, Mali, islamisme, François Hollande… Quatre ans après son élection, le chef de l’État gabonais répond sans détour aux grandes questions du moment.
En octobre prochain, Ali Bongo Ondimba (ABO) fêtera ses quatre ans à la tête du Gabon. Quatre années de réformes au pas de charge, pas toujours comprises ou digérées, pour réveiller un pays profondément endormi, vautré dans le relatif confort autorisé par la manne pétrolière et la politique politicienne. Car ici, il n’y a guère d’affrontements doctrinaires ou de débats de fond. La vie politique s’est longtemps résumée à un jeu de chaises musicales, un grand marché de troc où l’on s’échangeait postes, prébendes et privilèges et où l’on claquait la porte du parti au pouvoir, le Parti démocratique gabonais (PDG), pour rejoindre le camp d’en face dès lors que son statut social, et donc son portefeuille, était touché.
Héritier présumé d’un système mis en place par son emblématique père, Ali Bongo Ondimba a surpris tous ceux qui s’attendaient à ce qu’il maintienne les us et coutumes d’un pouvoir qui, sur la fin, brillait surtout par l’extraordinaire force d’inertie qui maintenait les grands équilibres ethniques et régionaux et interdisait toute dynamique de changement. Ses premiers pas ? Une série de coups de pied dans la fourmilière. Sévères remises en question de positions jusqu’ici gravées dans le marbre, mises à l’écart de ténors, audits lancés, rigueur instaurée, impératifs et objectifs concrets fixés, arrivée d’une nouvelle génération au pouvoir : la belle endormie gabonaise a été réveillée à coup de gifles…
"Ali", lui, a une vision pour son pays, élaborée et déclinée à travers le Plan stratégique Gabon émergent (PSGE) : industrialisation, diversification d’une économie trop dépendante des seules matières premières – par ailleurs pas ou peu transformées localement -, développement durable, lancement de très nombreux chantiers destinés à rattraper un retard criant en matière d’infrastructures, rédaction de feuilles de route sectorielles détaillées, création d’agences pour épauler (et surveiller) les ministères. Reste la question essentielle du degré de réalisation de ce plan et de son efficacité. Car le Gabon reste le Gabon : un pays gâté par la nature où le goût du travail cède souvent la place au culte de l’argent facile. Un petit émirat tropical où tout le monde se connaît, où les batailles se livrent en coulisses et où le mot "changement" ressemble à une menace pour les nantis. Chassez le naturel, et il revient au galop… Ali Bongo Ondimba n’est peut-être pas suffisamment allé au bout de sa démarche de rupture, de crainte certainement que le cocotier ainsi secoué ne finisse par s’effondrer. Il est aujourd’hui au milieu du gué et il lui reste un peu moins d’une moitié de mandat pour trouver un second souffle et tenir ses nombreuses promesses.
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ABO a pris volontairement du recul, depuis un an, confrontant le gouvernement Ndong Sima à ses responsabilités. C’est peu dire qu’il est déçu. Il semble donc peu probable que le Premier ministre s’éternise à son poste. Reste à trouver l’oiseau rare pour le remplacer : un Fang d’Oyem, selon toute vraisemblance, un homme (ou une femme, rêvons un peu) compétent et de devoir qui ne se mette pas en tête de devenir calife à la place du calife. Le chef de l’État ne le sait que trop bien : les Gabonais n’ont cure des querelles partisanes des dirigeants politiques. Ils veulent du concret, du pouvoir d’achat, des classes pour accueillir leurs enfants dans des conditions décentes, pouvoir être soignés, se déplacer sans y laisser le quart de leur salaire, manger à leur faim, pouvoir se loger. Car ce n’est pas parce qu’il n’a plus d’opposants de poids face à lui que la présidentielle de 2016 sera une sinécure. "Ali" s’est créé beaucoup d’ennemis, y compris dans son propre camp, parmi tous ceux qui ne goûtent guère d’avoir été mis de côté et qui regrettent la légendaire prodigalité de son père. À l’inverse, s’il atteint ses objectifs, il aura un boulevard devant lui…
Jeune Afrique : Les attentes des Gabonais sont importantes, à la mesure des promesses qui leur ont été faites pendant la campagne de 2009. Vous êtes déjà à mi-mandat. Quel bilan tirez-vous de cette période ?
Ali Bongo : Nous avons répondu en grande partie à la problématique des infrastructures routières, vitales sur le plan économique. Notre développement repose sur trois piliers : l’industrie, le développement durable, notion sur laquelle nous sommes pionniers en Afrique, et les services. L’objectif global étant le passage d’une économie de rente pétrolière à une économie diversifiée. D’où notre souci, pas toujours compris bien que cela ressemble à une évidence, d’inciter – pour ne pas dire obliger – à plus de transformations locales. Dans un pays comme le nôtre, les réformes prennent beaucoup de temps. Nous sommes sur la bonne voie, même si, il faut le reconnaître, nous avons rencontré de nombreuses difficultés et nous sommes parfois trompés. Je l’assume : mieux vaut agir, quitte à échouer, que de ne rien faire. Nous avons sous-estimé un certain nombre de paramètres ou d’écueils, n’avons pas toujours pris les bonnes décisions. Mais nous l’avons toujours fait en notre âme et conscience, pour l’intérêt général. Et aujourd’hui, nous savons parfaitement ce qui doit être corrigé.
Quels sont, par exemple, les chantiers qu’il vous reste à achever ?
En matière de logement, il est évident que je ne suis pas satisfait : nous avons pris beaucoup de retard par rapport aux engagements formulés pendant la campagne présidentielle (5 000 unités construites par an). Mais nous sommes en train de le rattraper. La santé est l’un des secteurs pour lesquels nous devons également poursuivre nos efforts et nos investissements. La mise en place de la CNAMGS – l’assurance-maladie – a représenté une véritable avancée. Mais si construire des hôpitaux, c’est bien, encore faut-il qu’ils soient bien gérés, avec un personnel soignant en nombre suffisant et bien formé. Sur l’éducation et la formation professionnelle, nous avons là aussi consenti d’importants investissements en matière d’infrastructures, mais nous nous heurtons à la même difficulté : les ressources humaines et le nombre largement insuffisant d’enseignants disponibles ou en voie de l’être. En résumé, nous progressons, dans de nombreux domaines. Mais nous sommes loin de nos objectifs, j’en ai conscience. Le plus difficile est cependant derrière nous : faire évoluer les mentalités, mettre fin à l’inertie qui frappait le pays et lancer les nombreux chantiers et réformes que nous souhaitions mettre en oeuvre.
Lors de l’entretien, à Libreville, au Palais du bord de mer. © Desirey Minkoh pour J.A.
Pensez-vous disposer des ressources nécessaires autour de vous pour mener à bien vos projets ?
C’est là le défi de n’importe quel dirigeant. Aujourd’hui, l’important est d’identifier les compétences, qu’elles se trouvent chez vous ou ailleurs. La seule chose qui compte, ce sont les résultats.
On vous reproche justement d’avoir trop recours à des étrangers, africains ou non…
Si des non-Gabonais peuvent m’aider à faire en sorte que les Gabonais soient plus heureux, je ne vois pas bien où est le problème. Nous n’allons d’ailleurs pas chercher à l’extérieur ce que nous pourrions trouver sur place. Soyons modestes : nous n’avons pas la science infuse et avons parfois besoin, surtout dans cette phase de rupture et de réformes urgentes, de nous faire assister, à condition bien sûr qu’il y ait transfert de compétences.
Votre arrivée au pouvoir a coïncidé avec une sévère remise en cause des pratiques en vigueur par le passé, des baronnies et des nombreux privilèges. De quoi susciter des vocations d’opposants. Certains pensent même que la menace pour la présidentielle de 2016 vient désormais de votre propre camp…
Ce n’est pas nouveau. La vie politique du Gabon a toujours été ainsi : ceux qui perdent leurs situations et avantages basculent dans l’opposition jusqu’à ce qu’ils les récupèrent. Malheureusement, ces funambules de la politique n’ont pas compris que les temps ont changé.
L’opposition gabonaise s’est considérablement affaiblie depuis le décès de Pierre Mamboundou et la maladie d’André Mba Obame. Sans parler de son absence à l’Assemblée nationale à la suite du boycott des législatives du 17 décembre 2011. Peut-elle se renforcer, selon vous, d’ici à 2016 ?
L’opposition ne peut pas se réduire à une ou deux personnes. Une chose est sûre, la politique de la chaise vide ne paie jamais : c’était une erreur de ne pas siéger à l’Assemblée. J’espère que la leçon a été retenue. Mais ce n’est pas parce qu’elle y est absente qu’on ne l’entend pas… Et c’est tant mieux : nombre de Gabonaises et de Gabonais ont un point de vue différent du mien. Il faut bien que quelqu’un les représente.
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Les principaux reproches que vos opposants formulent concernent la démocratie, la gouvernance ou la corruption. Que leur répondez-vous ?
Ils font leur travail. Mais encore faut-il que ces reproches soient étayés. Je ne reviendrai pas sur le curriculum vitæ de certains de ces opposants, qui ont visiblement la mémoire courte. Quand j’entends leurs cris d’orfraie sur les thèmes que vous venez d’évoquer, alors qu’eux-mêmes à une certaine époque, quand ils étaient au pouvoir, se comportaient comme des dictateurs et des brigands sans foi ni loi, je souris. Cela m’étonne d’ailleurs qu’on les écoute encore. Tout pays a besoin d’une opposition vigoureuse, active et responsable. Si la nôtre pouvait enfin devenir force de propositions et faire part aux Gabonais de ses projets pour le pays, ce serait parfait… Les attaques au ras des pâquerettes, les insultes ou l’invective ne peuvent suffire.
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Une partie de la société civile, souvent virulente à votre égard, est en pleine ébullition. On assiste à une véritable guerre des chefs et à la contestation de son héraut, Marc Ona Essangui. Voilà qui doit vous arranger…
On ne récolte que ce que l’on a semé. J’ai cru comprendre qu’il lui était reproché de dépasser la sphère qui devrait être la sienne, la société civile, donc, pour faire de la politique. Ce que j’ai d’ailleurs toujours dénoncé, car ce n’était pas sain. Nous l’avons toujours invité, lui et quelques autres, à franchir clairement le pas au lieu de se réfugier derrière ce voile bien commode.
Comment envisagez-vous le prochain scrutin, les élections locales prévues en novembre ?
Sereinement. Nous avons reçu l’ensemble de la classe politique pour discuter de ce scrutin, et déterminer ensemble ce qu’il convenait de mettre en place pour en garantir la transparence et la réussite. J’ai créé des commissions pour travailler à l’application d’un certain nombre de revendications et de recommandations. La plupart ont été retenues, d’autres pas, mais cela s’est fait dans la discussion.
Êtes-vous confiant pour votre parti, le PDG ?
Je dispose d’un parti qui fonctionne très bien et qui est prêt à relever ce défi, donc oui.
Le PDG a tenu son 10e congrès en avril. De grandes réformes ont été annoncées. On a même entendu parler d’un changement de dénomination, à l’image de ce que le président togolais Faure Gnassingbé a fait avec son parti, lui aussi historique et hérité de son père. Il n’en a finalement rien été. Il était urgent d’attendre ?
Ce sont vos confrères qui ont parlé de cela mais pas nous. Il n’en a même jamais été question. Une seule chose était à l’ordre du jour : amener davantage de démocratie au sein de l’appareil. C’est ce qui a été fait. Et les instances dirigeantes du parti ont été renouvelées de manière importante.
Plusieurs caciques du parti, véritables barons sous votre père, comme Paul Toungui, Jean Ping ou Idriss Ngari, n’ont pas été reconduits dans leurs fonctions, notamment au sein du bureau politique. N’est-ce pas périlleux, car susceptible de créer des tensions internes, voire des dissidences ?
Avant, les candidats étaient cooptés par le sommet du parti. Aujourd’hui, ils sont désignés par la base. Aucun dirigeant ne peut considérer qu’il occupe ses fonctions ad vitam æternam. Et à l’issue de ce congrès, vous n’avez pas entendu de claquements de porte, que je sache.
André Mba Obame, en janvier 2013. L’opposant, très affaibli, annonçant
son grand retour, sans cesse repoussé. © Patrick Fort/AFP
En quoi concrètement le PDG a-t-il changé sous votre présidence ?
Je ne me pose pas la question en ces termes. Avec ou sans moi, le PDG devait évoluer : nouvelles générations, nouvelles élites, autres idées ou méthodes. Lors des élections législatives, nous avons renouvelé près de 50 % de nos candidats. Ce mouvement s’est donc naturellement poursuivi au niveau des instances dirigeantes du parti.
Vous avez nommé un nouveau Premier ministre, Raymond Ndong Sima, en février 2012. Êtes-vous satisfait de son action et de son gouvernement ?
Ce gouvernement a réussi un certain nombre de missions, comme l’amélioration des équilibres macroéconomiques, la réforme du secteur bois ou la construction de structures sanitaires. D’autres beaucoup moins, nous en avons parlé. Les Gabonais attendent des réponses claires du gouvernement sur la sécurité, l’eau, l’emploi, l’éducation ou la santé.
Ces échecs seraient-ils de nature à remettre en cause la mission de Ndong Sima ?
Ma réflexion est en cours…
On parle également de tensions entre les membres de votre cabinet et le Premier ministre. Votre porte-parole a fait une sortie assez remarquée contre lui, expliquant que s’il n’était pas content, personne ne le retenait…
Le porte-parole auquel vous faites allusion a certainement traduit le mécontentement qui est le mien par rapport à un certain nombre de domaines dans lesquels je trouve l’action du gouvernement lente ou inefficace. Mais il ne peut y avoir de tensions. Le Premier ministre est là pour appliquer le programme sur lequel le président a été élu. Si le président n’est pas content, ce Premier ministre ne reste pas, point. Maintenant, entre les équipes qui travaillent, celles du président, du Premier ministre ou du gouvernement, il peut exister des divergences. Il n’y a rien de fondamentalement grave en cela.
Comprenez-vous les Gabonais qui pensent que les politiques, de quelque bord qu’ils soient, ne représentent qu’une caste de privilégiés qui n’ont qu’une idée en tête : se disputer un gâteau qu’ils ne partageront jamais avec la population ?
Il est difficile de ne pas comprendre ce point de vue. Les sujets de dispute ou les débats sont souvent assez éloignés des préoccupations de la population. Elle n’arrive plus à suivre les carrières des uns et des autres, véritables girouettes, un jour au parti au pouvoir, le lendemain dans l’opposition, et qui multiplient ainsi les allers-retours en fonction de leurs intérêts personnels. Nos politiques oublient trop souvent, en outre, que si la critique est nécessaire, elle ne peut être suffisante. Encore faut-il présenter une alternative, des propositions concrètes, un projet. Nous observons donc – et c’est un phénomène qui ne concerne pas uniquement le Gabon – une forte abstention, le développement d’une vraie lassitude, pour ne pas dire défiance, vis-à-vis du monde politique, au profit d’une société civile plus dynamique et concrète.
Quelles sont les conséquences de la crise européenne, et plus globalement du ralentissement de la croissance mondiale sur l’économie gabonaise ?
Jusqu’à présent, nous avons été relativement épargnés par la crise économique. Mais si celle-ci perdure… L’Europe n’est pas sortie d’affaire, la Chine ou les autres pays émergents achètent moins, notamment sur le plan minier ou pétrolier, l’investissement direct étranger fléchit. Raison de plus, même si ce contexte ne facilite pas les choses, pour accélérer nos réformes et diversifier notre économie mais aussi nos partenaires. Notamment en développant une coopération Sud-Sud, comme nous le faisons avec des pays d’Asie, mais aussi d’autres plus proches de nous, comme le Maroc.
Cette quête de nouveaux débouchés n’est-elle pas de nature à froisser vos partenaires historiques, en particulier la France, qui ne doit pas voir d’un très bon oeil l’arrivée de concurrents de poids ?
Aujourd’hui, nous vivons dans un monde où règne une compétition acharnée. Aucune situation n’est acquise. Nous avons certes un partenaire traditionnel, la France, avec lequel nous nous entendons très bien. Mais s’ouvrir à de nouveaux horizons ne signifie en rien abandonner ceux avec qui nous travaillons déjà depuis longtemps. La France elle-même diversifie ses partenaires en Afrique, au-delà de son ancien pré carré francophone.
>> Lire aussi : Gabon : pour une autre relation avec la France
En février dernier, le Gabon a été exclu de l’Initiative pour la transparence des industries extractives (Itie) pour non-respect du rythme de publication des rapports. Que s’est-il réellement passé ?
C’est le fruit du mauvais travail de quelques-uns de nos responsables. Il ne s’agit en aucun cas d’une volonté délibérée du Gabon de se soustraire à ses obligations. D’autant plus que c’est nous qui, à l’époque, sommes allés vers l’Itie, alors que rien ne nous y obligeait. Aujourd’hui, nous sommes en train de revoir ce dossier pour corriger ce qui doit l’être. Je ne vous cache pas que ce fut un épisode extrêmement désagréable, qui a donné une mauvaise perception du Gabon, comme si nous avions voulu déguiser ou camoufler quelque chose.
Avec le président américain, Barack Obama, le 27 mars 2012, à Séoul. © Saul Loeb/AFP
Selon vous, la crise malienne a-t-elle définitivement pris fin avec l’élection d’Ibrahim Boubacar Keïta, le 11 août ?
C’est en tout cas un pas extrêmement important, une grande victoire pour la démocratie, alors que beaucoup de sceptiques pensaient une élection au Mali impossible dans ces circonstances. Ce n’est que la première pierre d’un édifice qui sera long à reconstruire. Mais Ibrahim Boubacar Keïta, largement élu, légitime, soutenu par sa population et par la communauté internationale, a toutes les cartes en main pour réussir.
Ce qui est arrivé au Mali peut-il se reproduire ailleurs sur le continent ?
Malheureusement, oui. Il faut être vigilant. Les chefs d’État africains doivent se concerter davantage et se soutenir.
Lors de l’interview que vous nous avez accordée l’année dernière, à propos de l’arrivée au pouvoir des islamistes en Tunisie ou en Égypte, vous déclariez qu’il fallait leur laisser une chance et les juger une fois leur apprentissage achevé. Comment analysez-vous les crises égyptienne et tunisienne ?
Loin de moi l’idée de vouloir donner des leçons à qui que ce soit, d’autant qu’il s’agit de situations pour le moins complexes, qu’on a tendance à caricaturer. Et bien malin qui pourra prédire l’avenir des révolutions en Afrique du Nord. Je sais en revanche qu’un an, en politique, c’est court. Toutes ces années dans l’opposition, en prison ou en exil, ne prédisposent pas à diriger un État. L’important, dans les phases que traversent ces pays, c’est donc la concertation, le dialogue et l’union nationale, seuls viatiques pour régler des problèmes de fond, politiques mais surtout économiques et sociaux, avec efficacité et équité.
L’islam politique a-t-il encore un avenir ?
La religion ne devrait pas être utilisée en politique, elle doit être un élément consensuel et non pas un facteur de divisions. Et chacun devrait être libre de son rapport à la religion. Mais pour en revenir à votre question, je n’ai pas de boule de cristal. Je constate juste que les partis en question ont remporté les élections. Même s’ils ne jouissent plus du même soutien qu’à l’époque, et s’ils ont pu décevoir, je ne vois aucune raison qui les pousserait hors de la scène politique.
Dans cette même interview, vous disiez attendre des réformes de l’Union africaine. Vous évoquiez notamment le financement de l’institution et des ordres du jour kilométriques lors des sommets, qui ne permettaient pas de traiter les points importants sauf à les survoler… Un an après l’élection de Nkosazana Dlamini-Zuma à la tête de la Commission, les choses ont-elles évolué dans le sens que vous souhaitiez ?
Mme Zuma connaît notre point de vue. Elle a fait le tour de la boutique, comme on dit, et a écouté de nombreux chefs d’État, qui ont exprimé ce désir de changement. Je crois que nous sommes tous d’accord pour lui laisser une année de grâce.
L’arrivée au pouvoir de François Hollande, en mai 2012, a-t-elle modifié la relation entre la France et le Gabon ?
Les relations que nous entretenons avec la République française sont anciennes, solides, et ne dépendent pas des hommes. Chacun y amène son style, mais le plus important c’est qu’elles bénéficient à nos populations respectives. C’est dans cet esprit que François Hollande et moi travaillons.
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Les relations personnelles permettent de se dire les choses plus franchement, parfois d’obtenir plus. Hollande n’est pas Sarkozy, dont vous étiez plus proche…
Une relation, cela se construit. Il faut prendre le temps de se connaître.
Vous vous connaissez mieux aujourd’hui ?
Bien sûr, et les choses se passent très bien.
Il y a quand même quelques nuages entre la France et le Gabon : vos opposants misent beaucoup sur Paris pour faire pression sur vous. Il y a aussi l’affaire dite des biens mal acquis…
Cela n’est pas du fait de François Hollande. Nos opposants ont toujours écrit aux présidents français, avec des fortunes diverses. Cela veut bien dire qu’il y a encore, malheureusement, des compatriotes qui n’ont pas compris que les choses ont changé. Aujourd’hui, les questions gabonaises se traitent au Gabon. Et ce sont les Gabonais qui mettent le bulletin dans l’urne.
Concernant l’affaire des biens mal acquis, où en est la procédure actuellement ?
C’est un sujet pour lequel j’ai déjà indiqué l’intérêt qu’il suscitait chez moi : proche du néant. Nous avons tous autre chose à faire. Y compris ces pauvres juges, qui se mêlent de questions qui ne les regardent pas puisqu’elles concernent les Gabonais.
Vous avez pourtant changé d’avocats pour suivre ce dossier. Preuve que vous vous en préoccupez malgré tout…
Nous n’avons pas changé d’avocats, nous avons complété le dispositif de ceux qui gèrent la procédure. Je continue de dire que c’est une affaire qui, personnellement, ne me concerne pas. Sauf à inventer un nouveau délit, celui de patronyme…
Infrastructures, emploi, éducation, santé… ABO sera-t-il à la hauteur des attentes
des Gabonais ? © Gabon Presidential press office/AFP
Des crimes rituels particulièrement odieux se sont multipliés ces derniers mois, suscitant une vive inquiétude au sein de la population. Comment expliquez-vous ce phénomène et comment y mettre fin ?
Nous avons tous été choqués par l’atrocité des crimes commis. Cela a créé une psychose que nous pouvons aisément comprendre. Donc, nous mettons tous les moyens en oeuvre pour combattre la criminalité, toute la criminalité. Cela signifie plus de moyens d’investigation, y compris en ayant recours aux techniques modernes de la police scientifique, mais aussi au niveau de la justice. Il faut traduire puis juger les auteurs et mettre hors d’état de nuire les coupables. C’est simple à dire comme cela, mais cela n’a pas été suffisamment fait. Nos tribunaux sont engorgés, nos prisons surpeuplées, les délais entre arrestations et jugements trop longs. Nous sommes en train de remédier à tout cela, notamment en faisant appel à des experts internationaux. Attention cependant à l’instrumentalisation politique de ces crimes, qui frise l’inconscience.
Quatre ans après votre élection, qu’avez-vous appris sur l’exercice du pouvoir ?
Il faut s’armer de patience, ce qui n’est pas forcément ma qualité première [rires]… On apprend que les choses ne vont jamais aussi vite qu’on le souhaiterait. Pour le reste, on ne peut pas dire que j’ai fait de véritable découverte : j’étais à bonne école.
Êtes-vous toujours autant comparé à votre père ?
Ça ne s’arrêtera jamais…
Cela vous gêne ?
Non. Je ne serai jamais Omar Bongo Ondimba et je ne cherche pas à l’être. Je m’inspire de son oeuvre, de ce qu’il a fait. Mais autres temps, autres moeurs. Il faut aujourd’hui s’adapter et faire les choses différemment.
S’il vous observait de là où il est, que penserait-il ?
Il me dirait de travailler encore plus. Il a toujours estimé que je devais travailler beaucoup plus.
Vos relations avec votre soeur Pascaline sont l’objet de rumeurs depuis votre élection. Elles seraient froides, pour ne pas dire plus…
Comme vous dites, ce sont des rumeurs. On veut inventer une espèce de Dallas gabonais, cela doit faire vendre. Il n’y a rien de tout cela.
Votre directeur de cabinet, Maixent Accrombessi, est attaqué par vos opposants, notamment par André Mba Obame et d’ex-figures de l’ancien système. Comment le vivez-vous ?
La seule chose qui m’importe est qu’il fasse ce que j’attends de lui. Ceux qui lui crient dessus ne sont pas ses patrons.
La présidentielle de 2009 avait été marquée par un net repli identitaire. En résumé, les candidats fangs face à vous. Pensez-vous que la situation a évolué ?
Oui, nécessairement. D’abord parce qu’un certain nombre de mes compatriotes ne me connaissaient pas et avaient à l’époque des a priori sur moi. Lorsque vous êtes dans l’incertitude, généralement, vous vous repliez vers quelque chose que vous pensez connaître. Un parti, une religion, une ethnie. C’est ce que certains ont fait. Aujourd’hui, les choses se passeraient différemment.
Comment envisagez-vous la présidentielle de 2016, à laquelle personne ne doute que vous serez candidat ?
Je vais vous répondre ce que mon père aurait dit : la dernière chose à faire est de penser à la prochaine élection. Ma priorité c’est de faire mon travail et de remplir mes engagements, avant de penser à 2016.
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