François Hollande, la métamorphose
On le croyait débonnaire, et on l’attendait plutôt en politique intérieure. Surprise : du Mali à la Syrie, le président français, François Hollande, s’est coulé dans les habits du chef de guerre. Histoire d’une métamorphose.
C’était le 4 septembre, sous un chaud soleil de fin d’été, au milieu des ruines calcinées d’Oradour-sur-Glane, graine brûlante sur le long chapelet de ces villages martyrs qui sont autant de symboles de la barbarie humaine : My Lai, Deir Yassin, Halabja, Sakiet Sidi Youssef, Thiaroye et, depuis le 21 août, ceux qui parsèment la plaine de la Ghouta, à l’est de Damas. À l’issue d’une cérémonie cathartique scénarisée à l’extrême, au cours de laquelle il a étreint avec fougue son homologue allemand Joachim Gauck, François Hollande prend la parole. On le sent à la fois tétanisé et exalté, grave et transporté, comme s’il vivait un moment d’Histoire, sans savoir encore s’il sera à la hauteur du rôle qu’il s’est donné. Puis il se redresse, droit dans ses bottes, le menton relevé. Notre présence en ces lieux, dit-il, est une promesse, "promesse de refuser l’inacceptable partout où il se produit. Près de chez nous, loin d’ici". Singulière dissociation : du Mali à la Syrie, d’une guerre à l’autre, le "président pépère" se mue en procureur intraitable et le "capitaine de pédalo" devient général d’armée. Jamais la France n’avait fait avant lui l’expérience d’une telle schizophrénie au sommet de l’État. On attendait beaucoup de François Hollande en politique intérieure, à commencer par ce qu’il se fasse churchillien face à l’ampleur de la crise, et bien peu du même en politique étrangère tant il semblait sur ce point s’inspirer de Léon Blum. Seize mois plus tard, c’est l’inverse qui s’est produit et c’est à fronts renversés qu’il convient désormais de décrypter l’hôte de l’Élysée.
Nicolas Sarkozy se voulait transgresseur, voire brutal, au-dedans comme au-dehors. François Hollande, lui, peut soupeser pendant des semaines un arbitrage sur le marché du travail, le mariage pour tous ou le conflit qui oppose deux de ses ministres les plus emblématiques, et décider en une heure d’engager son armée dans un conflit lointain. Ce Hollande-là, ses collaborateurs l’ont découvert, stupéfaits, en janvier dernier lorsqu’il s’est agi d’envoyer dans le ciel malien les Rafale de Saint-Dizier et les Mirage de N’Djamena. Martial, penché sur les cartes et les photos satellite montrant l’avancée des colonnes jihadistes sur Bamako, briefé en accéléré par une multitude de fiches de synthèse sur les mouvements touaregs, les katibas d’Aqmi, l’effondrement de l’armée régulière et la déliquescence du personnel politique malien, il prend en monarque républicain le pari solitaire et risqué d’intervenir. Un coup d’audace, une thérapie de choc pour cet adepte de l’acupuncture et des médecines douces quand il s’agit de gouverner la France. Mais un coup de maître.
Une morale universelle plus qu’un engagement pour la France
La récompense de cet engagement au Mali, François Hollande l’a déjà savourée dans les rues de Tombouctou, comme Nicolas Sarkozy il y a deux ans sur la place Al-Tahrir de Benghazi. Certes, pas plus qu’à son prédécesseur ce poker gagnant ne rapporte à l’actuel chef de l’État le moindre gain durable dans les enquêtes d’opinion auprès des Français, que la crise a rendu isolationnistes, mais rien ne vaut, quand on cherche à laisser une trace dans l’Histoire, cette foule qui vous acclame et, à travers vous, la France. Il y a là une émotion, une jouissance personnelles qui vous font oublier un instant que votre pays va mal et que votre popularité est en berne. Ce sentiment d’avoir enfin les coudées franches et d’être un point fixe quand tout est flou n’a pas de prix.
Le 19 septembre, François Hollande devrait goûter à Bamako, où il sera l’hôte du président élu Ibrahim Boubacar Keïta, aux ultimes douceurs de son conte de fées malien. À moins que, d’ici là, il ne soit à nouveau entré en guerre contre un adversaire autrement plus coriace, organisé et soutenu que les bandes du narcojihadiste Belmokhtar : Bachar al-Assad. Cela fait près de trois semaines maintenant que le président français s’y prépare. À l’instar de Sarkozy face à Kadhafi – et à cette différence près qu’il n’a, lui, jamais dîné avec le diable -, Hollande a pris la tête de l’"opération punition" du dictateur syrien, et sa détermination en ce domaine ne fait aucun doute. Comme l’affaire malienne, celle qui s’annonce est loin d’être gagnée d’avance, plus imprévisible encore dans ses conséquences et beaucoup moins évidente à expliquer au peuple français tant les intérêts stratégiques immédiats de la France apparaissent ici peu concernés, tant les objectifs revendiqués d’une telle action (faire en sorte que l’emploi d’une arme de destruction massive ne se banalise) semblent aléatoires.
Mais pour François Hollande comme pour son ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius, certainement le plus acéré des faucons de son entourage, il ne s’agit pas ici de realpolitik, il s’agit avant tout de morale universelle, au risque d’apparaître bien arrogant dans un monde devenu multipolaire. Une sorte de devoir impératif et quasi messianique qui impose, au nom d’une certaine idée de la France, de débarrasser l’humanité d’un criminel de guerre. Plus prosaïquement, le fait d’être le seul à vouloir agir ainsi, en tête à tête avec le chef de la première puissance mondiale dont le leadership militaire lui est indispensable, mais dont les procrastinations l’exaspèrent, renforce chez Hollande l’impression de jouer enfin dans le carré VIP des grands de la planète. Personne, pas même lui, n’aurait cru à ce miracle lorsqu’un jour de mars 2011 le député de la Corrèze annonça sa candidature à l’Élysée.
Ceux qui l’ont vu, lors d’un récent conseil restreint de défense, indiquer lui-même du doigt sur une carte de la Syrie les cibles à frapper ont été sidérés par une transformation qui n’avait rien d’une posture. Est-ce bien le même homme ? "On ne fait président que lorsqu’on a été élu président. Et encore, il peut y avoir des exceptions", confiait-il à Jeune Afrique en 2011 peu après son entrée en campagne. Si certains nourrissent toujours bien des hésitations sur le Hollande du dedans, équilibriste au point d’en donner le tournis, aucun ne devrait plus en avoir sur le Hollande du dehors. En chef de guerre, le politicien culbuto de jadis, tant brocardé par ses adversaires, au surnom ravageur et injuste d’un flan caramélisé, ne fait pas président. Il est président. Pour le meilleur et pour le pire.
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