Sénégal : pourquoi le décès d’un manifestant proche de l’opposition pose question

Plusieurs organisations de défense des droits humains réclament une enquête indépendante après la mort de François Mancabou, arrêté le 17 juin à Dakar par les forces de l’ordre en marge des manifestations de l’opposition interdites par le gouvernement.

François Mancabou. © DR

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Publié le 15 juillet 2022 Lecture : 4 minutes.

Les manifestations organisées le 17 juin par la coalition de l’opposition Yewwi Askan Wi pour protester contre l’invalidation de sa liste nationale de candidats titulaires aux législatives du 31 juillet avaient officiellement fait trois morts. Mais le décès de François Mancabou, survenu un mois plus tard, s’ajoute désormais à la liste.

Arrêté avec dix autres individus en marge de la journée de protestation pour « des faits d’actes de terrorisme et d’atteinte à la sûreté de l’État » et détenu à la Sûreté urbaine, cet ancien militaire de 51 ans, reconverti dans la protection rapprochée, est mort dans la nuit du 13 juillet dans des circonstances troubles à l’Hôpital principal de Dakar, où il avait été admis trois semaines plus tôt pour de graves blessures.

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Une « mort accidentelle » ?

L’annonce de sa « mort accidentelle », comme l’indique l’avis de décès, a suscité l’indignation et des interrogations dans les rangs des défenseurs des droits humains, qui ont très vite appelé à une enquête indépendante. François Mancabou, qui a notamment travaillé à titre privé pour l’ancien ministre des Affaires étrangères, Cheikh Tidiane Gadio, entre 2012 et juillet 2019, aurait-t-il été victime de tortures ou de sévices corporels lors de sa garde-à-vue ? C’est en tout cas ce qu’affirment les membres de sa famille.

Dans une vidéo qui a fait le tour des réseaux sociaux, Clémentine Coly, l’épouse de la victime, explique avoir retrouvé dans le centre hospitalier son mari en fauteuil roulant, le corps ensanglanté, éprouvant des difficultés à parler. « Il m’a dit “tu as vu ce qu’ils m’ont fait”. Il m’a dit, “tu as vu, on m’a torturé” », raconte-t-elle. « Nous voulons qu’une autopsie soit ordonnée avec des experts indépendants, neutres et ayant toutes les compétences requises, a ajouté le 14 juillet Me Amadou Diallo, l’un des avocats de la famille qui s’adressait à la presse. Mais nous savons de notre côté, qu’il est mort des tortures dont il a été victime. »

Des blessures auto-infligées, selon le procureur

Une thèse que réfutait quelques heures plus tôt Amady Diouf, le procureur de la République. Selon ce dernier, c’est François Mancabou qui se serait lui-même infligé ses blessures en se cognant violemment contre « le mur et les grilles de la cellule de rétention sans que l’on ne sache réellement ses motivations ». « J’ai donné instruction à la Division des investigations criminelles [DIC] d’ouvrir instamment une enquête diligente, exhaustive et rigoureuse sous mon autorité directe afin de déterminer les causes et circonstances exactes du décès », a affirmé le magistrat, avant d’ajouter que ses services disposaient « d’images vidéo de 13 mn qui seront versées dans la procédure ».

Les ONG de défense des droits humains sont d’ores et déjà vent debout. Sur Twitter, Seydi Gassama, directeur d’Amnesty International au Sénégal, peu convaincu par les explications officielles, a incité « les avocats de la famille de François Mancabou à soumettre les vidéos que le procureur prétend détenir à des experts pour authentification ». D’autant que « toute personne placée en garde-à-vue est sous la responsabilité de la police qui doit veiller à ce que rien ne lui arrive, que ce soit du fait d’autrui ou de lui-même, a-t-il ajouté. Si le dossier médical et l’autopsie – qui ne doit en aucun cas être pratiquée par un médecin désigné par le seul Parquet – révèlent qu’il a été torturé, les tortionnaires et l’État du Sénégal rendront des comptes. »

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« On doit entrer debout et en bonne santé dans un lieu de détention et en sortir debout. La torture est bannie par la communauté internationale, a dénoncé de son côté Alioune Tine, fondateur du think tank Africajom. Les tortionnaires n’ont pas leur place dans la police nationale. La Constitution du Sénégal [pays qui plus est signataire également de la Convention des Nations unies contre la torture] protège les citoyens. »

Détention d’arme à feu

François Mancabou avait été arrêté à son domicile en possession d’un pistolet de type Walter calibre .22 avec 9 munitions, sans autorisation régulière pour détenir ce type d’armes à feu. Selon le procureur Amady Diouf, il avait été interpellé en même temps que plusieurs autres membres d’un groupe appelé « Force spéciale », lequel travaillait à « développer des stratégies d’attaque et de harcèlement contre les forces de sécurité », lors des manifestations du 17 juin.

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À l’exception de François Mancabou – sans doute en raison de son état de santé –, les dix autres personnes mises en cause avaient été déférées et inculpées « sur la base de charges réelles de complot contre l’autorité de l’État, d’actes de nature à occasionner des troubles politiques graves et à compromettre la sécurité publique, d’association de malfaiteurs, de destruction de biens appartenant à l’État ou intéressant la chose publique, de détention et transport de substances et produits incendiaires, de détention d’armes en rapport avec une entreprise terroriste, de financement du terrorisme et complicité ».

Deux plaintes avec constitution de partie civile seront déposées dès la semaine prochaine au tribunal de première instance de Dakar contre les services de la Sûreté urbaine et du ministère de l’Intérieur pour « séquestration et tortures ayant entraîné la mort », ont annoncé les avocats de la famille.

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